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que

fort peu de gens se purent sauver. Le maréchal de La Ferté fut pris; le comte d'Étrées, le comte de Grand-Pré et Gadagne, lieutenans-généraux, pris; Moret, Rubempré, le marquis de Renel, Vervin, Tianges, La Trousse, Pradel, Poillac, La Luserne, et plus de quatre cents officiers, cavalerie ou infanterie, pris; le marquis d'Étrées, volontaire, tué; La Roque-Saint-Chamarant, mestre de camp de cavalerie, pris; Belsunce, mestre de camp d'infanterie, tué; et bien d'autres que nous ne savons pas encore.

Le marquis d'Uxelles se sauva par la digue, Bellefonds à la nage; les débris de cette armée qui pouvoit être de deux mille hommes, cavalerie ou infanterie, se retira à Condé. Notre armée marcha au Quesnoy sans ordre de bataille; nous y trouvâmes deux mille hommes qui venoient de France pour nous rejoindre.

Le lendemain 17, ayant fait revue, nous trouvâmes huit mille hommes de pied et huit mille chevaux dans l'armée de Turenne; cinq cents chevaux et trois cents hommes de pied dans celle de La Ferté.

Le mardi 18, les ennemis se vinrent poster à notre vue de l'autre côté du Quesnoy, un petit ruisseau entre deux. Leur dessein étoit, à ce que nous croyons, d'assiéger le Quesnoy, si nous en eussions déjà été éloignés, ou de nous attaquer, si nous eussions fait devant eux une méchante démarche; mais, malheureusement pour eux, ils nous ont trouvés bien postés, fiers et témoignant ne respirer que la vengeance de la défaite de nos camarades.

Ce matin ils ont décampé de devant nous, et nous ont laissés douter deux heures durant, s'ils ne vouloient point nous livrer bataille; mais enfin ils ont repris le chemin de Valenciennes, et nous croyons qu'ils vont faire le siége de Condé, que nous aurons bien de la peine à secourir. Voilà notre aventure, Madame, que vous ne pouvez apprendre plus véritablement.

Le 17, j'envoyai mon trompette savoir ce qu'étoit devenu La Trousse; il revint le lendemain sans avoir pu parler à lui, mais ayant appris qu'il se portoit fort bien. J'oubliois de vous dire que toute l'armée de La Ferté a perdu son bagage, hormis Bellefonds, qui a sauvé sa vaisselle d'argent.

28 *

Du même à la même.

Au camp de Blecy, le 4 août 1657.

Votre lettre est fort agréable, ma belle cousine; elle m'a fort réjoui. Qu'on est heureux d'avoir une bonne amie qui ait autant d'esprit que vous ! Je ne vois rien de si juste que ce que vous écrivez, et l'on ne peut pas vous dire ce mot-là seroit plus à propos que celui que vous avez mis. Quelque complaisance que je vous doive, Madame, vous savez que je vous parle assez franchement pour ne pas vous dire ceci, si je ne le pensois; et vous ne doutez pas que je ne m'y connoisse un peu, puisque j'ose bien juger des ouvrages de Chapelain, et que je censure quelquefois assez justement ses pensées et ses paroles. Je vous envoie copie de la lettre que j'ai écrite à la marquise d'Uxelles. Elle me mande que si j'aime les grands yeux et les dents blanches, elle aime de son côté les gens tendres et les amoureux transis; et que, ne me trouvant pas comme cela, je me tienne pour éconduit: elle revient après; et sur ce que je lui mande que je la quitterai si elle me rebute, et qu'à moins de se déguiser en maréchale pour me surprendre, elle ne m'y rattrapera plus; elle me répond que je ne me désespère point, et qu'elle me promet de se donner à moi, quand elle sera parvenue à la dignité pour laquelle, à ce qu'elle dit, on la mange jusqu'aux os; que mon poulet ne pouvoit lui être rendu plus mal à propos, et que, n'ayant pas un denier, elle étoit dans la plus méchante humeur du monde.

J'écris à Corbinelli de vous dire ce qui s'est passé entre M. de Turenne et moi depuis que je suis à l'armée, et qu'enfin nous avons fait une réconciliation qui me paroît assez sincère; je ne sais si cette paix durera.

J'ai gagné huit cents louis d'or depuis quatre ou cinq jours; si je n'en gagne pas davantage, c'est qu'on appréhende ma fortune: je ne trouve plus personne qui veuille jouer contre moi.

Voulez-vous savoir la vie que nous faisons, Madame? je m'en vais vous la dire. Quand l'armée marche, nous travaillons comme des chiens; quand elle séjourne, il n'y a pas de fainéantise égale à la nôtre. Nous poussons toujours les choses

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Vous me dites des choses si obligeantes de l'estime que vous avez donnée de moi à M. Servien, qu'encore que de moi j'y aie peu contribué, et que je craigne même de la détruire, si j'ai l'honneur de le voir, je ne laisse pourtant pas d'en sentir une certaine gloire, que toute autre personne ne m'auroit pu donner; et je ne sais si je ne serai point obligée, pour reconnoître en quelque façon les civilités que vous me faites de sa part, de m'informer plus soigneusement de sa santé, ayant appris qu'il étoit malade. En attendant que vous m'en ayez dit votre avis, j'espère que, lorsque vous avez été si ponctuel à me mander ses sentiments, vous le serez de même à lui en témoigner ma reconnoissance, et que vous voudrez bien l'assurer pour moi que je suis sa très-obéissante servante. M. DE RABUTIN-CHANTAL.

» que j'en eus fut le comble de mon injustice : je » ne saurois jamais assez me condamner en cette » rencontre, ni avoir assez de regret d'avoir of» fensé la plus jolie femme de France, ma proche » parente, que j'avois toujours fort aimée, et de » l'amitié de laquelle je ne pouvois douter. C'est » une tache à ma vie que j'essayai véritablement » de laver quand on arrêta le surintendant Fou» quet, en prenant hautement à la cour le parti » de la marquise, contre des gens qui la von» loient confondre avec les maîtresses de ce mi>>nistre. Ce ne fut pas seulement la générosité » qui m'obligea d'en user ainsi, ce fut encore la » justice. Avant que de m'embarquer à la dé» fense de la marquise, je consultai Le Tellier, » qui seul avoit vu avec le roi les lettres qui étoient » dans la cassette de Fouquet. Il me dit que celles » de la marquise étoient des lettres d'une amie >> qui avoit bien de l'esprit, et qu'elles avoient » bien plus réjoui le roi que les douceurs fades des >> autres lettres; mais que le surintendant avoit » mal-à-propos mêlé l'amour avec l'amitié. La » marquise me sut gré de l'avoir défendue; son bon » cœur et le sang l'obligèrent de me pardonner; » depuis ce temps-là, qui a été celui de ma dis>> grace, elle s'est réchauffée pour moi; et, hors

quelques éclaircissements, et quelques petits >> reproches, qu'un fâcheux souvenir lui a arra» chés, il n'y a point de marques d'amitié que je » n'en aie reçues, ni aussi de reconnoissance que » je ne lui en aie donnée, et que je ne lui en donne >> le reste de ma vie. »

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A partir de cette époque, la correspondance de Madame de Sévigné avec le comte de Bussy-Rabutin éprouve une interruption de huit années. On a cru devoir en insérer ici le motif, tel que l'a donné Bussy lui-même, dans son manuscrit, véritable monument de famille destiné à ses enfants. On verra plus loin Bussy entrer avec sa cousine dans de vives explica. tions; mais on aimera mieux encore le voir seul avec lui-même, rendre une entière justice à Madame de Sévigné.

« Un pen avant la campagne de 1658 je me » brouillai avec madame de Sévigné. J'eus tort dans » le sujet de ma brouillerie, mais le ressentiment

31.

De madame DE SÉVIGNÉ à M. DE POMPONNE.

Aux Rochers, ce 11 octobre 1661.

Il n'y a rien de plus vrai que l'amitié se ré chauffe quand on est dans les mêmes intérêts: vous m'avez écrit si obligeamment là-dessus, que je ne puis y répondre plus juste qu'en vous assurant que j'ai les mêmes sentiments pour vous que vous avez pour moi, et qu'en un mot je vous honore et vous estime d'une façon toute partienlière. Mais que dites-vous de tout ce qu'on a trouvé dans ces cassettes? Eussiez-vous jamais cru

que mes pauvres lettres, pleines du mariage de M. de La Trousse et de toutes les affaires de sa maison, se trouvassent placées si mystérieusement? Je vous assure que, quelque gloire que je puisse tirer par ceux qui me feront justice, de n'avoir jamais eu avec lui d'autre commerce que celuilà, je ne laisse pas d'être sensiblement touchée de me voir obligée de me justifier et peut-être fort inutilement à l'égard de mille personnes qui ne comprendront jamais cette vérité. Je pense que vous comprenez bien aisément la douleur que cela fait à un cœur comme le mien. Je vous conjure de dire sur cela ce que vous en savez; je ne puis avoir assez d'amis en cette occasion. J'attends avec impatience monsieur votre frère pour me consoler un peu avec lui de cette bizarre aventure : cependant je ne laisse pas de souhaiter de tout mon cœur du soulagement aux malheureux, et je vous demande toujours, Monsieur, la continuation de l'honneur de votre amitié.

32.

RABUTIN-CHANTAL.

A MÉNAGE.

Aux Rochers, le 22 octobre 1661.

Je me doutois bien que vous auriez prévenu ma prière, et qu'il ne falloit rien dire à un ami aussi généreux que vous. Je suis au désespoir de ce qu'au lieu de vous écrire comme je fis, je ne vous envoyai point tout d'un train une lettre de remerciements: vous la méritiez dès-lors, et je suis honteuse d'avoir tant perdu de temps avant de vous la faire. Je m'en acquitte présentement, et vous supplie de croire que j'ai toute la reconnoissance que je dois de vos bontés. Je vous demande un compliment à mademoiselle de Scudéri sur le même sujet. Je crois que vous n'aurez pas manqué de faire ceux dont je vous chargeois dans ma dernière. Vous m'avez fait un extrême plaisir de me mander le détail de la grande nouvelle dont il est présentement question; il n'en falloit pas une moindre pour faire oublier celles que l'on découvre tous les jours dans les cassettes de monsieur le surintendant. Je voudrois de tout

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Aujourd'hui lundi 17 novembre 1664, M. Fouquet a été pour la seconde fois sur la sellette; il s'est assis sans façon comme l'autre fois. M. le chancelier a recommencé à lui dire de lever la main: il a répondu qu'il avoit déjà dit les raisons qui l'empêchoient de prêter le serment. Là-dessus M. le chancelier s'est jeté dans de grands discours, pour faire voir le pouvoir légitime de la chambre; que le roi l'avoit établie, et que les commissions avoient été vérifiées par les compagnies souveraines.

M. Fouquet a répondu que souvent on faisoit des choses par autorité, que quelquefois on ne trouvoit pas justes, quand on y avoit fait réflexion. M. le chancelier a interrompu : Comment! vous dites donc que le roi abuse de sa puissance? M. Fouquet a répondu C'est vous qui le dites, Monsieur, et non pas moi ce n'est point ma pensée, et j'admire qu'en l'état où je suis, vous me vouliez faire une affaire avec le roi; mais, Monsieur, vous savez bien vous-même qu'on peut être surpris. Quand vous signez un arrêt, vous le croyez juste, le lendemain vous le cassez : vous voyez qu'on peut changer d'avis et d'opinion.

Mais cependant, a dit M. le chancelier, quoique vous ne reconnoissiez pas la chambre, vous lui répondez, vous lui présentez des requêtes, et vous voilà sur la sellette. Il est vrai, Monsieur, a-t-il répondu, j'y suis; mais je n'y suis pas par ma volonté, on m'y mène; il y a une puissance à laquelle il faut obéir, et c'est une mortification que Dieu me fait souffrir, et que je reçois de sa main; peut-être pouvoit-on bien me l'épargner après les services que j'ai rendus, et les charges que j'ai eu l'honneur d'exercer.

Après cela, M. le chancelier a continué l'interrogatoire de la pension des gabelles, où M. Fouquet a très bien répondu. Les interrogations comtinueront, et je continuerai de vous le mander

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fidèlement; je voudrois seulement savoir si mes lettres vous sont rendues sûrement.

Madame votre sœur, qui est à nos Dames du faubourg, a signé (le formulaire); elle voit à cette heure la communauté et paroît fort contente.

Madame votre tante ne paroît pas en colère contre elle; je ne croyois point que ce fût celle-là qui eût fait le saut, il y en a encore une autre. Vous savez sans doute notre déroute de Gigeri; et comme ceux qui ont donné les conseils veulent jeter la faute sur ceux qui ont exécuté, on prétend faire le procès à Cadagne; il y a des gens qui en veulent à sa tête tout le public est persuadé pourtant qu'il ne pouvoit pas faire autrement. On parle fort ici de M. d'Alet, qui a excommunié les officiers subalternes du roi qui ont voulu contraindre les ecclésiastiques à signer. Voilà qui le brouillera avec M. votre père, comme cela le réunira avec le P. Annat.

Adieu, je sens l'envie de causer qui me prend, je ne veux pas m'y abandonner, il faut que le style des relations soit court.

34.

Au même.

Mardi au soir. (18 novembre 1664. )

J'ai reçu votre lettre qui m'a fait bien voir que je n'oblige pas un ingrat; jamais je n'ai rien vu de si agréable, ni de si obligeant: il faudroit être bien exempte d'amour-propre pour n'être pas sensible à des louanges comme les vôtres. Je vous assure donc que je suis ravie que vous ayez bonne opinion de mon cœur, et je vous assure de plus, sans vouloir vous rendre douceurs pour douceurs, que j'ai une estime pour vous infiniment au-dessus des paroles dont on se sert ordinairement pour expliquer ce que l'on pense, et que j'ai une joie et une consolation sensible de vous pouvoir entretenir d'une affaire où nous prenons tous deux tant d'intérêt. Je suis bien aise que votre cher solitaire en ait sa part. Je croyois bien aussi que vous instruiriez votre incomparable voisine. Vous me mandez une agréable nouvelle, en m'apprenant que je fais un peu de progrès dans son cœur; il n'y en a point où

je sois plus aise d'avancer: quand je veux avoir un peu de joie, je pense à elle et à son palais enchanté. Mais je reviens à nos affaires; insensiblement je m'amusois à vous parler des sentiments que j'ai pour vous et pour votre aimable amie.

Aujourd'hui notre cher ami est encore allé sur la sellette. L'abbé d'Effiat l'a salué en passant; il lui a dit en lui rendant le salut : « Monsieur, je » suis votre très humble serviteur »>, avec cette mine riante et fixe que nous connoissons. L'abbé d'Effiat a été si saisi de tendresse, qu'il n'en pouvoit plus.

Aussitôt que M. Fouquet a été dans la chambre, M. le chancelier lui a dit de s'asseoir. Il a ré pondu : « Monsieur, vous prites hier avantage de » ce que je m'étois assis; vous croyez que c'est re» connoître la chambre: puisque cela est, je vous » prie de trouver bon que je ne me mette pas sur » la sellette. » Sur cela M. le chancelier a dit qu'il pouvoit donc se retirer. M. Fouquet a répondu : « Je ne prétends point par-là faire un incident » nouveau; je veux seulement, si vous le trouvez » bon, faire ma protestation ordinaire, et en pren» dre acte, après quoi je répondrai. »>

Il a été fait comme il a souhaité; il s'est assis, et on a continué la pension des gabelles, à quoi il a parfaitement bien répondu. S'il continue, ses interrogations Ini seront bien avantageuses. On parle fort à Paris de son admirable esprit et de sa fermeté. Il a mandé une chose qui me fait frissonner. Il conjure une de ses amies de lui faire savoir son arrêt par une voix enchantée, bon ou mauvais, comme Dieu le lui enverra, sans préambule, afin qu'il ait le temps de recevoir la nouvelle par ceux qui viendront la lui dire; ajoutant que, pourvu qu'il ait une demi-heure pour se préparer, il est capable de recevoir sans émotion tout le pis qu'on lui puisse apprendre. Cet endroit-là me fait pleurer, et je suis assurée qu'il vous serre le cœur.

(Mercredi.) On n'est point entré aujourd'hui en la chambre, à cause de la maladie de la reine, qui a été à l'extrémité: elle est un peu mieux. Elle a reçu hier au soir Notre Seigneur comme viatique. Ce fut la plus magnifique et la plus triste chose du monde, de voir le roi et toute la cour, avec des cierges et mille flambeaux, aller conduire et requérir le S. Sacrement. Il fut reçu avec une infinité de lumières. La reine fit un effort pour se sou

lever, et le reçut avec une dévotion qui fit fondre en larmes tout le monde. Ce n'étoit pas sans peine qu'on l'avoit mise en cet état; il n'y avoit en que le roi capable de lui faire entendre raison; à tous les autres elle avoit dit qu'elle vouloit bien communier, mais non pas pour mourir : on avoit été deux heures à la résoudre.

L'extrême approbation que l'on donne aux réponses de M. Fouquet déplaît infiniment à Petit; on croit même qu'il engagera Puis... à faire le malade pour interrompre le cours des admirations, et avoir le loisir de prendre un peu haleine des autres manvais succès. Je suis très humble servante du cher solitaire, de madame votre femme et de l'adorable Amalthée.

55.

Au même.

Le jeudi 20 novembre 1664.

M. Fouquet a été interrogé ce matin sur le marc d'or; il a très bien répondu. Plusieurs juges l'ont salué; M. le chancelier en a fait reproche, et a dit que ce n'étoit point la coutume, étant conseiller breton. « C'est à cause que vous êtes de Bretagne que vous saluez si bas M. Fouquet. » En repassant par l'arsenal, à pied pour se promener, M. Fouquet a demandé quels ouvriers il voyoit : en lui a dit que c'étoient des gens qui travailloient à un bassin de fontaine ; il y est allé, et a dit son avis, et puis s'est retourné en riant vers Artagnan, et lai a dit : « N'admirez-vous point de quoi je me mêle? mais c'est que j'ai été autrefois assez ha<bile sur ces sortes de choses-là. » Ceux qui aiment M. Fouquet trouvent cette tranquillité admirable, je suis de ce nombre; les autres disent que c'est une affectation : voilà le monde. Madame Fouquet, sa mère, a donné un emplâtre à la reine, qui l'a gérie de ses convulsions, qui étoient, à propreent parler, des vapeurs.

La plupart, suivant leurs desirs, se vont imagitant que la reine prendra cette occasion pour demander au roi la grâce de ce pauvre prisonnier; mais, pour moi, qui entends un peu parler des tendresses de ce pays-là, je n'en crois rien du tout.

Ce qui est admirable, c'est le bruit que tout le monde fait de cet emplâtre, disant que c'est une sainte que madame Fouquet, et qu'elle peut faire des miracles.

:

Aujourd'hui (Vendredi) 21, on a interrogé M. Fouquet sur les cires et sucres : il s'est impatienté sur certaines objections qu'on lui faisoit, et qui lui ont paru ridicules. Il l'a un peu trop témoigné, et a répondu avec un air et une hauteur qui ont déplu. Il se corrigera, car cette manière n'est pas bonne; mais, en vérité, la patience échappe il me semble que je ferois tout comme lui. J'ai été à Sainte-Marie, où j'ai vu madame votre tante qui m'a paru abymée en Dieu; elle étoit à la messe comme en extase. Mademoiselle votre sœur m'a paru jolie, de beaux yeux, une mine spirituelle: la pauvre enfant s'est évanouie ce matin; elle est très incommodée : sa tante a toujours pour elle la même douceur. M. de Paris (M. de Péréfixe) lui a donné une certaine manière de contre-lettre qui lui a gagné le cœur; c'est cela qui l'a obligée de signer ce diantre de formulaire : je ne leur ai parlé ni à l'une ni à l'autre; M. de Paris l'avoit défendu. Mais voici encore une image de la prévention; nos sœurs de Sainte-Marie m'ont dit : « Enfin Dieu soit loué! Dieu a touché le cœur de » cette pauvre enfant; elle s'est mise dans le che>> min de l'obéissance et du salut. » De là je vais à Port-Royal: j'y trouve un certain grand solitaire (Arnauld d'Andilly) que vous connoissez, qui com mença par me dire: « Eh bien! ce pauvre oison a >> signé; enfin Dieu l'a abandonnée, elle a fait le » saut. » Pour moi, j'ai pensé mourir de rire, faisant réflexion sur ce que fait la préoccupation. Voilà bien le monde en son naturel. Je crois que le milieu de ces extrémités est toujours le meilleur.

Samedi au soir... M. Fouquet est entré ce matin à la chambre, on l'a interrogé sur les octrois; il a été très-mal attaqué, et s'est très-bien défendu.. Ce n'est pas, entre nous, que ce ne soit un endroit des plus glissants de son affaire. Je ne sais quel bon ange l'a averti qu'il avoit été trop fier; il s'en est corrigé aujourd'hui, comme on s'est corrigé de le saluer. On ne rentrera que mercredi à la chambre; je ne vous écrirai aussi que ce jour-là. Au reste, si vous continuez à me tant plaindre de la peine que je prends à vous écrire, et à me prier de ne point continuer, je

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