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Un original de laville d'Angers partit, un jour de cette ville en robe de chambre et en pantouffles, pour voir à Paris J. Jacques Rousseau, qui se refusa à sa curiosité et s'obstina à lui fermer la porte. L'Angevin écrivit une grande lettre qu'il termina en demandant un oui ou un non. Il reçut sous cachet une grande feuille de papier sur laquelle le philosophe de Genève avait mis en gros caractères: « Non. » (Roussœana.)

Un jeune abbé, léger d'argent, mais plein d'enthousiasme pour les écrits de Rousseau, se rend à pied de Paris à Ermenonville, attiré surtout par le tombeau du célèbre philosophe. A peine arrivé, il va sur les bords du lac, demande à son conducteur le bateau pour passer dans l'ile des peupliers. Celui-ci répond qu'il faut absolument une permission de madame Girardin; que les ordres à ce sujet sont précis « Je n'ai pas l'honneur de la connaître, répond l'abbé. En ce cas, vous ne passerez pas, réplique le conducteur. Je passerai. Vous ne passerez pas. Oh! parbleu, je passerai.

Je

répète que vous ne passerez pas sans permission. Pendant cette altercation, l'abbé met bas son habit, et dans un clin d'œil, le voilà tout nu; à l'instant il s'élance dans l'eau, traverse le lac, aborde dans l'ile, contemple le tombeau, rassasie sa curiosité, se rejette dans le lac, regagne le bord, s'habille et souhaite le boujour au conducteur surpris et qui ouvrait de grands yeux.

(Roussœana.)

Admirateur naïf.

Le désir de voir Voltaire avait attiré chez ma mère cinquante ou soixante personnes qui faisaient foule dans son salon, s'entassaient sur plusieurs rangs près de son lit, allongeant le cou, se levant sur la pointe de leurs pieds, et qui, sans faire le moindre bruit, prêtaient une oreille attentive à tout ce qui sortait de la bouche de Voltaire, tant ils étaient avides de saisir la moindre de ses paroles et le plus léger mouvement de sa physionomie.

tion et s'approchent du ridicule. Ma mère, questionnée par Voltaire sur les détails de l'état de sa santé, lui dit que sa souffrance la plus douloureuse était la destruction de son estomac et la difficulté de trouver un aliment quelconque qu'il pût supporter.

Voltaire la plaignit, et, cherchant à la consoler, il lui raconta qu'il s'était vu, pendant près d'une année, dans la même langueur, qu'on croyait incurable, et que cependant un moyen bien simple l'avait guéri il consistait à ne prendre pour toute nourriture que des jaunes d'œufs délayés avec de la farine de pomme

de terre et de l'eau.

Certes il ne pouvait être question de saillies ingénieuses ni d'éclairs d'esprit dans un tel sujet d'entretien, et pourtant à peine avait-il prononcé ces derniers mots de jaunes d'œufs et de farine de pomme de terre, qu'un de mes voisins, très-connu, il est vrai', par son excessive disposition à l'engouement et par la médiocrité de son esprit, fixa sur moi son geil ardent, et, me pressant vivement le bras, me dit avec un cri d'admiration : Quel homme! quel homme! Pas un mot

sans un trait! »

(Ségur, Mémoires.)

Admirateur passionné.

Le sculpteur Bouchardon, ardent admirateur d'Homère, disait après avoir lu l'Iliade: « La nature est agrandie à mes yeux; les hommes me paraissent à présent avoir quinze pieds de haut (1). » (Ann. lit. 1757.)

Admirateur téméraire.

Un spectateur, qui était sur le théâtre, prit un moyen très-peu convenable pour me montrer sa satisfaction. Un peu pris de vin, probablement, au moment où je passais devant lui, il baisa le derrière de mon cou. Irritée de cette insulte, oubliant la présence du lord-lieutenant et celle d'un si grand nombre de spectateur, je me retournai sur-le-champ vers l'insolent, et je lui donnai un soufflet. Quelque déplacée que fût cette manière de ressentir un outrage, elle reçut l'approbation de lord Chesterfield, qui, se levant dans sa loge, m'applaudit de ses

Là je vis à quel point la prévention et l'enthousiasme, même parmi la classe la (1) Ou bien Quand je lis l'Iliade je orcis plus éclairée, ressemblent à la supersti- 'avoir vingt pieds de hauteur,

deux mains. Toute la salle suivit son exemple. A la fin de l'acte, le major Macartney vint, de la part du vice-roi, inviter M. Saint-Léger (c'était le nom de l'indiscret) à faire des excuses au public, ce qu'il fit sur-le-champ. Cette aventure contribua, ce me semble, à une réforme que désirait depuis longtemps M. Shéridan il fut fait un règlement en conséquence duquel personne désormais ne devait être admis dans les coulisses.

(Mistress Bellamy, Mémoires.)

Adresse de lettre.

La réputation de Boerhaave était si étendue, qu'un mandarin lui ayant écrit de la Chine, avec cette seule adresse : « A l'illustre Boërhaave, médecin en Europe, » la lettre lui parvint. (Dict. hist.)

M. Victor Hugo reçut un jour une lettre qui portait pour unique suscription: Au plus grand poëte de l'époque. L'auteur des Feuilles d'automne, sans l'ouvrir, l'adressa rue de l'Université, à M. de Lamartine, qui la renvoya lui-même Place Royale. On ne sait au juste qui des deux illustres se décida à l'ouvrir le premier.

Adultère.

L'adultère était inconnu chez les premiers Spartiates. On cite à ce propos le mot d'un certain Giradas, à qui un étranger demandait quel était le châtiment des adultères dans son pays : « Il n'y a point d'adultères chez nous, répondit-il. Mais s'il y en avait? Eh bien, il serait condamné à payer un taureau assez grand pour pouvoir, en allongeant le cou, boire du Taygète dans l'Eurotas. -Comment pourrait-il y avoir un taureau pareil? fit l'autre étonné. Mais comment pourrait-il y avoir un adultère à Sparte?» dit Giradas en riant.

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(Plutarque, Vie de Lycurgue.)

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Adultère par ambition.

Catherine II, n'étant encore que grande-duchesse de Russie, ne pouvait avoir d'enfant de son mari, petit-fils de Pierre le Grand. Les circonstances rendaient dangereux le manque d'héritier de l'empire. Le chancelier Bestuchef vint un jour trouver Catherine et lui dit : Madame, il faut à l'empire un héritier de façon ou d'autre. » La princesse fut révoltée d'un discours semblable, qui lui semblait menacer son autorité; mais le chancelier ajouta que c'était l'unique moyen de consolider sa puissance, qu'il s'agissait seulement d'avoir un fils. La grande-duchesse, se calmant alors, répondit avec dignité : « Puisqu'il faut absolument un successeur à l'empire, envoyez-moi ce soir Soltikoff » (un officier de ses gardes). Cet adultère, ainsi calculé par l'ambition, donna le jour à un grand

duc.

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Charles IX, à la chasse, aperçoit un jeune seigneur qui courait étourdiment devant lui. Il lui crie plusieurs fois de s'arrêter; mais ce jeune homme, qui

(1) Si cette anecdote est authentique, c'est à Montrond que M. Al. Dumas fils aurait emprunté ce mot, qu'il a mis dans sa Question d'argent.

ne l'entend point, continue de courir. Le roi pique des deux, le joint, et lui applique plusieurs coups de houssine, en lui criant: «< Arrête-toi donc! » Le cavalier, sensible à un pareil traitement, se retourne, et lui dit : « En quoi ai-je offensé Votre Majesté, pour être traité de la sorte? Sont-ce là les récompenses des blessures que j'ai reçues à votre service?» Au même instant, il ouvre son habit, et montre plusieurs cicatrices. « Je suis gentilhomme, continue-t-il, et ne dois pas être exposé à des coups de houssine, comme un vil esclave. » Charles reconnaît sa faute, et sans répondre un seul mot, revient dans son palais, triste et rêveur. On ne savait à quoi attribuer cette mélancolie. Carnavalet, qui avait été gouverneur du monarque, conservait sur lui un reste d'ascendant. Il ose lui demander le sujet de sa tristesse. Le roi lui avoue ce qui s'était passé, et lui demande conseil. Le résultat fut que Charles ferait appeler le gentilhomme offensé, lui témoignerait le regret de s'être porté à cette sorte d'excès, et s'offrirait de tout réparer par des grâces éclatantes. Le gentilhomme est effectivement appelé. Le roi s'excuse de son mieux, et l'assure qu'il n'a qu'à demander telle grâce qu'il voudra pour satisfaction, et qu'elle lui sera accordée. Le gentilhomme remercie respectueusement le prince des excuses qu'il veut bien lui faire, refuse les grâces offertes et déclare qu'il n'en veut accepter aucune, afin qu'il ne fût pas dit qu'il les devait à des coups de houssine. Après une profonde inclination, il se retire et ne reparaît plus à la cour.

(Improvisateur français. )

Affront salutaire. Autrefois, en France, on coupait la nappe, dans les banquets, devant ceux à qui l'on voulait faire un affront et un reproche de bassesse ou de lâcheté.

Charles VI avait à sa table, le jour de l'Épiphanie, plusieurs convives illustres, entre lesquels étaient Guillaume de Hainaut. Tout à coup un héraut d'armes se présenta devant ce seigneur et trancha la nappe en lui disant qu'un prince qui ne portait pas d'armes n'était pas digne de manger à la table du roi. Guillaume, surpris, répondit qu'il portait le heaume,

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la lance et l'écu, comme les autres chevaliers. « Non, sire, cela ne se peut, répondit le plus vieux des hérauts. Vous savez que votre grand-oncle a été tué par les Frisons, et que jusqu'ici sa mort est restée impunie. Certes, si vous possédiez des armes, il y a longtemps qu'elle serait vengée. » Cette sanglante leçon réveilla Guillaume, qui vengea l'outrage de sa famille.

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ans.

/Chéruel, Dictionn. des Institut.)

Age.

Monsieur, combien comptez-vous d'années à présent, demandait au capitaine Strique le maréchal de Bassompierre? Monsieur, trente-huit ou quarante-huit - Comment, trente-huit ou quarantehuit! mais l'un et l'autre sont bien différents. Comment ne savez-vous pas mieux votre âge? Monsieur, je compte mon argent, mon argenterie, mes revenus, parce que je puis les perdre, ou qu'on peut me les prendre; mais comme je ne crains ni qu'on me prenne, ni que je perde aucune de mes années, je suis tranquille et je ne les compte pas. »

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(Espr. des journ. 1785.)

Le maréchal de Créqui était fort coquet et il voulait toujours paraître jeune. Quand le cardinal de Richelieu, avant que d'être duc, se fit recevoir conseiller honoraire au parlement, M. de Créqui fut un de ses témoins et lui dit, au sortir de là: « Monsieur, je vous ai rendu au

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jourd'hui le plus grand service que je << vous pouvais rendre, en disant mon «< âge.

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(Tallemant des Réaux, Historicttes.)

La marquise de Sablé voulut un jour faire faire son horoscope; elle dit six ans moins qu'elle n'avait. Mademoiselle de Chalais lui dit : « Madame, on ne saurait faire ce que vous voulez, si vous ne dites votre âge au juste. — Il se moque, il se moque, ce monsieur l'astrologue, réponditelle; s'il n'est pas content de cela, donnezlui encore six mois. »

(Id.)

« Quel âge avez-vous? demandait

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Louis XIV se plaignait devant le maréchal de Grammont d'avoir soixante ans : « Ah! Sire, répondit-il, qui est-ce qui n'a pas soixante ans (1). »

Un jour, un vieil officier demandait au roi Louis XIV de le maintenir à son service et de ne pas le mettre aux Invalides :

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Louis XV demandait à M. de Landsmath quel âge il avait. Celui-ci était vieux, et n'aimait pas à s'occuper du nombre de ses années; il éluda la réponse. Quinze jours après, Louis XV sortit de sa poche un papier, et lut à haute voix : « Ce tel jour du mois de... en 1680 et tant, a été baptisé par nous, curé de***, le fils de haut et puissant seigneur, etc. Qu'est-ce? dit Landsmath avec humeur; serait-ce mon extrait de baptême que Votre Majesté a fait demander? Vous le voyez, Landsmath, dit Eh bien, Sire, cachez cela bien vite; un prince chargé du bonheur de vingt-cinq millions d'hommes ne doit pas en affliger un seul à plaisir. (Rosely, Liberté.) (Mme Campan, Mémoires.)

« Mais vous êtes bien vieux, monsieur, répondit le monarque.

Sire, repartit l'officier, je n'ai que trois ans de plus que Votre Majesté, et j'espere encore la servir pendant au moins vingt ans. >>

Cette flatterie déguisée plut au roi, qui se rendit aux voeux de l'adroit vétéran.

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le roi.

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Le chevalier de Lorenzi alla avec M. de Saint-Lambert à Versailles. En chemi

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nant ils causent, et M. de Saint-Lambert,
par occasion, lui demande son àge. « J'ai
soixante ans, lui répond le chevalier.
Je ne vous croyais pas si agé, lui dit
M. de Saint-Lambert.
Quand je dis
soixante ans, reprend le chevalier, je ne
les ai pas encore tout à fait... non, pas
tout à l'heure... mais... Mais enfin,
quel âge au juste avez-vous?...
cinquante-cinq ans faits; mais ne voulez-
vous pas que je m'assujettisse à changer
d'age tous les ans, comme de chemise?...>>
(Grimm, Correspondance.)

Jai

« Fi! ne parlez donc pas de moi, nous disait la princesse Kourakin: savez-vous Oh! bon, reprit que j'ai cent ans? son malicieux médecin, il ne faut jamais croire que la moitié de ce qu'on dit. »> Elle le menaça d'un soufflet: le fripon avait visé trop juste.

J'ai connu une autre femme qui, dans sa première jeunesse, était convenue au couvent avec une de ses petites amies

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Les cabriolets venaient d'être mis à la mode, c'était sous Louis XV, et le bon ton voulait que toute femme conduisît son véhicule elle-même. Quelle confusion! Les plus jolies mains étaient peut-être les plus malhabiles, et de jour en jour les accidents devenaient de plus en plus nombreux. Le roi manda, je crois, M. d'Argenson, et le pria de veiller à la sûreté des passants.

Je le ferai de tout mon cœur, Sire, dit l'autre. Mais voulez-vous que les accidents disparaissent tout à fait?

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Parbleu!

Laissez-moi faire.

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Un soir, un vieillard, ami de M. Auber, descendait avec le maestro l'escalier de l'Opéra.

Hé, hé, mon ami, nous nous faisons vieux.

Que voulez-vous, répondit en souriant M. Auber, il faut se résigner, puisque vieillir est le seul moyen de vivre longtemps.

(X. Feyrnet, Temps.)

Agent matrimonial.

Affamé, perdu de dettes, un Bohême était venu chez un agent matrimonial pour épouser une prétendue dot de trois mille francs de rente: dot bien modeste, bien vraisemblable, trois mille francs de rente seulement; mais en revanche la femme était vertueuse.

Après les explications parlementaires, le marieur ayant demandé, selon l'usage, deux cents francs de frais de bureau, le prétendant, désabusé, haussa les épaules et répondit :

Est-ce que je me marierais si j'avais deux cents francs!

(Virmaître, Liberté.)

Le comte de G*** entretenait assez maguifiquement une certaine demoiselle Justine, qu'il surprit, un beau matin, avec le jeune marquis de Low"; il fut assez indiscret pour vouloir lui reprocher sa

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