DE LITTÉRATURE
ANCIENNE, MODERNE ET ÉTRANGÈRE.
DES LITTÉRATEURS DU SIÈCLE.
JACQUES-CHARLES-LOUIS Malfilatre naquit à Caen, patrie de Malherbe, en 1733. Il était sans fortune, mais la ville de Caen possédait et possède encore des établissemens gratuits d'éducation; ce fut ainsi que celui qui, destiné par sa naissance à n'être qu'un obscur artisan, mais appelé par la nature à devenir un poète distingué, put développer par l'éducation le germe d'un vrai talent qui eût péri sans elle. Pourquoi faut-il ajouter qu'après avoir remporté quatre fois le prix de l'ode à Rouen, qu'après une traduction de Virgile estimée, quoiqu'elle fût moitié en prose, moitié en vers, et après avoir composé le poème de Narcisse dont deux éditions furent rapidement enlevées, il mourut dans la plus complète indigence; son nom devint célèbre après sa mort; tous ceux qui aiment les beaux vers ont lu avec délices ceux que composa ce poète aimable, qui termina, à l'âge de trente-quatre ans, une carrière qui
eût été brillante si la fortune l'eût secondé, et si la santé et le temps lui eussent permis de terminer le poème épique qu'il avait commencé, intitulé: La Découverte du Nouveau-Monde; et sa tragédie d'Hercule au mont OEta, ouvrages qui sans doute eussent été suivis de beaucoup d'autres.
M. de la Harpe, qui jugeait avec tant de goût, a dit du passage suivant où Malfilâtre, dans son poème de Narcisse, imite le récit de la mort du Laocoon de Virgile :
« Ce morceau est dans la manière antique. C'était <«< celle de cet infortuné jeune homme, qui était né poète. »
DU CHANT IV DU POÈME DE NARCISSE.
On arrive, on s'arrête
Au haut du mont dont la superbe tête, Bravant les cieux, la foudre et les éclairs, Domine au loin sur la terre et les mers. e s'élève un bocage C'est sur ce mont que Dont l'art a fait un temple de feuillage; Temple où Junon, souveraine des airs, Fait adorer ses grandeurs immortelles. Un double rang de palmiers toujours verts, Simples appuis, colonnes naturelles, Forme à l'entour des portiques ouverts. On trouve, au centre, un vaste sanctuaire, De qui l'enceinte, espace circulaire, N'a d'autre toit que la voûte du ciel. Des doux parfums qui brûlent sur l'autel, Plus librement les vapeurs répandues, Jusqu'à Junon s'exhalent dans les nues.
A cet autel de gazons et de fleurs, Déjà la main des sacrificateurs A présenté la génisse sacrée,
Jeune, au front large, à la corne dorée. Le bras fatal, sur sa tête étendu,
Prêt à frapper, demeure suspendu.
Un bruit s'entend; l'air siffle, l'autel tremble. Du fond du bois, du pied des arbrisseaux,
Deux fiers serpens soudain sortent ensemble, Rampent de front, vont à replis égaux; L'un près de l'autre ils glissent, et sur l'herbe Laissent au loin de tortueux sillons,
Les yeux en feu, lèvent d'un air superbe Leurs cous mouvans, gonflés de noirs poisons; Et vers le ciel deux menaçantes crêtes, Rouges de sang, se dressent sur leurs têtes. Sans s'arrêter, sans jeter un regard Sur mille enfans fuyant de toute part, Le couple affreux d'une ardeur unanime Suit son objet, va droit à la victime, L'atteint, recule, et, de terre élancé Forme cent nœuds, autour d'elle enlacé; La tient, la serre, avec fureur s'obstine A l'enchaîner, malgré ses vains efforts, Dans les liens de deux flexibles corps; Perce, des traits d'une langue assassine, Son col nerveux, les veines de son flanc Poursuit, s'attache à sa vaste poitrine, Mord et déchire et s'enivre de sang. Mais l'animal, que leur souffle empoisonne, Pour s'arracher à ce double ennemi, Qui, constamment sur son corps affermi, Comme un réseau l'enferme et l'emprisonne, Combat, s'épuise en mouvemens divers, S'arme contre eux de sa dent menaçante, Perce les vents de sa corne impuissante, Bat de sa queue et ses flancs et les airs. Il court, bondit, se roule, se relève; Le feu jaillit de ses larges naseaux. A sa douleur, à ses horribles maux
Les deux dragons ne laissent point de trêve : Sa voix perdue en longs mugissemens, Des vastes mers fait retentir les ondes, Les antres creux et les forêts profondes. Il tombe enfin; il meurt dans les tourmens Il meurt. Alors les énormes reptiles Tranquillement rentrent dans leurs asiles.
Cette peinture est vive et fortement coloriée, mais Malfilâtre avait un beau modèle, voyons-le livré à son seul génie.
Le soleil fixe au milieu des planètes.
L'homme a dit : les cieux m'environnent, Les cieux ne roulent que pour moi;
De ces astres qui me couronnent La nature me fit le roi;
Pour moi seul le soleil se lève, Pour moi seul le soleil achève Son cercle éclatant dans les airs; Et je vois, souverain tranquille, Sur son poids la terre immobile Au centre de cet univers. 1
Fier mortel, bannis ces fantômes, Sur toi-même jette un coup-d'œil. Que sommes-nous, faibles atomes Pour porter loin notre orgueil ? Insensés! nous parlons en maîtres, Nous qui dans l'océan des êtres Nageons tristement confondus; Nous, dont l'existence légère, Pareille à l'ombre passagère, Commence, paraît et n'est plus. Mais quelles routes immortelles Uranie entr'ouvre à mes yeux! Déesse, est-ce toi qui m'appelles Aux voûtes brillantes des cieux ? Je te suis. Mon âme agrandie, S'élançant d'une aile hardie, De la terre a quitté les bords: De ton flambeau la clarté pure Me guide au temple où la nature Cache ses augustes trésors.
Grand Dieu! Quel sublime spectacle Confond mes sens, glace ma voix ! Où suis-je ? quel nouveau miracle De l'Olympe a changé les lois ? Au loin, dans l'étendue immense, Je contemple seul en silence La marche du grand univers; Et dans l'enceinte qu'il embrasse, Mon œil surpris voit sur sa trace Retourner les orbes divers. 2
Portés du couchant à l'aurore Par un mouvement éternel, Sur leur axe ils tournent encore Dans les vastes plaines du ciel. Quelle intelligence secrète
Règle en son cours chaque planète Par d'imperceptibles ressorts?
Système de Ptolomée.
Système de Copernic.
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