à Ésope: J'ai des cavales en Egypte qui conçoivent au hennissement des chevaux qui sont devers Babylone. Qu'avez-vous à répondre là-dessus? Le Phrygien remit sa réponse au lendemain; et, retourné qu'il fut au logis, il commanda à des enfants de prendre un chat, et de le mener fouettant par les rues. Les Égyptiens, qui adorent cet animal, se trouvèrent extrêmement scandalisés du traitement que l'on lui faisoit. Ils l'arrachèrent des mains des enfants, et allèrent se plaindre au roi. On fit venir en sa présence le Phrygien. Ne savez-vous pas, lui dit le roi, que cet animal est un de nos dieux ? Pourquoi donc le faites-vous traiter de la sorte? C'est pour l'offense qu'il a conmise envers Lycérus, reprit Esope; car, la nuit dernière, il lui a étranglé un coq extrêmement courageux, et qui chantoit à toutes les heures. Vous êtes un menteur, repartit le roi : comment seroit-il possible que ce chat eût fait en si peu de temps un si long voyage? Et comment est-il possible, reprit Esope, que vos juments entendent de si loin nos chevaux hennir, et conçoivent pour les entendre? En suite de cela, le roi fit venir d'Héliopolis certains personnages d'esprit subtil, et savants en questions énigmatiques. Il leur fit un grand régal, où le Phrygien fut invité. Pendant le repas, ils proposérent a Esope diverses choses, celle-ci entre autres : Il y a un grand temple qui est appuyé sur une colonne entourée de douze villes; chacune desquelles a trente arcs-boutants, et autour de ces arcs-boutants se promènent, l'une après l'autre, deux femmes, l'une blanche, l'autre noire. Il faut renvoyer, dit Ésope, cette question aux petits enfants de notre pays. Le temple est le monde; la colonne, l'an; les villes, ce sont les mois; et les arcs-boutants, les jours, autour desquels se promènent alternativement le jour et la nuit. Le lendemain, Necténabo assembla tous ses amis. Souffrirez-vous, leur dit-il, qu'une moitié d'homme, qu'un avorton, soit la cause que Lycérus remporte le prix, et que j'aie la confusion pour mon partage? Un d'eux s'avisa de demander à Ésope qu'il leur fit des questions de choses dont ils n'eussent jamais entendu parler. Ésope écrivit une cédule par laquelle Necténabo confessoit devoir deux mille talents à Lycérus. La cédule fut mise entre les mains de Necténabo toute cachetée. Avant qu'on l'ouvrît, les amis du prince soutinrent que la chose contenue dans cet écrit étoit de leur connoissance. Quand on l'eut ouverte, Necténabo s'écria: Voilà la plus grande fausseté du monde; je vous en prends à témoins tous tant que vous êtes. Il est vrai, repartirent-ils, que nous n'en avons jamais entendu parler. J'ai donc satisfait à votre demande, reprit Esope. Necténabo le renvoya comblé de présents, tant pour lui que pour son maître. Le séjour qu'il fit en Égypte est peut-être cause que quelques uns ont écrit qu'il fut esclave avec Rhodope; celle-là qui, des libéralités de ses amants, fit élever une des trois pyramides qui subsistent encore, et qu'on voit avec admiration : c'est la plus petite, mais celle qui est bâtie avec le plus d'art. Ésope, à son retour dans Babylone, fut reçu de Lycérus avec de grandes démonstrations de joie et de bienveillance ce roi lui fit ériger une statue. L'envie de voir et d'apprendre le fit renoncer à tous ces honneurs. Il quitta la cour de Lycérus, où il Entre les villes où il s'arrêta, Delphes fut une des principales. Les Delphiens l'écoutèrent fort volontiers; mais ils ne lui rendirent point d'honneurs. Ésope, piqué de ce mépris, les compara aux bâtons qui flottent sur l'onde: on s'imagine de loin que c'est quelque chose de considérable; de près, on trouve que ce n'est rien. La comparaisou lui coûta cher. Les Delphiens en concurent une telle haine et un si violent désir de vengeance (outre qu'ils craignoient d'être décriés par lui), qu'ils résolurent de l'ôter du monde. Pour y parvenir, ils cachèrent parmi ses hardes un de leurs vases sacrés, prétendant que par ce moyen ils convaincroient Ésope de vol et de saerilége, et qu'ils le condamneroient à la mort. Comme il fut sorti de Delphes, et qu'il eut pris le chemin de la Phocide, les Delphiens accoururent comme gens qui étoient en peine. Ils l'accusèrent d'avoir dérobé leur vase; Ésope le nia avec des serments on chercha dans son équipage, et il fut trouvé. Tout ce qu'Ésope put dire n'empêcha point qu'on ne le traitât comme un criminel infâme. Il fut ramené à Delphes, chargé de fers, mis dans des cachots, puis condamné a être précipité. Rien ne lui servit de se défendre avec des armes ordinaires, et de raconter des apologues : les Delphiens s'en moquèrent. La grenouille, leur dit-il, avoit invité le rat à la venir voir. Afin de lui faire traverser l'onde, elle l'attacha à son pied. Dès qu'il fut sur l'eau, elle voulut le tirer au fond, dans le dessein de le noyer, et d'en faire ensuite un repas. Le malheureux rat résista quelque peu de temps. Pendant qu'il se débattoit sur l'eau, un oiseau de proie l'aperçut, fondit sur lui; et l'ayant enlevé avec la grenouille, qui ne se put détacher, il se reput de l'un et de l'autre. C'est ainsi, Delphiens abominables, qu'un plus puissant que nous me vengera : je périrai; mais vous périrez aussi. Comme on le conduisoit au supplice, il trouva moven de s'échapper, et entra dans une petite chapelle dédiée à Apollon. Les Delphiens l'en arrachèrent. Vous violez cet asile, leur dit-il, parce que ce n'est qu'une petite chapelle; mais un jour viendra que votre méchanceté ne trouvera point de retraite sûre, non pas même dans les temples. Il vous arrivera la même chose qu'à l'aigle, laquelle, nonobstant les prières de l'escarbot, enleva un lièvre qui s'étoit réfugié chez lui: la génération de l'aigle en fut punie jusque dans le giron de Jupiter. Les Delphiens, peu touchés de tous ces exemples, le précipitèrent. Peu de temps après sa mort, une peste très violente exerça sur eux ses ravages. Ils demandèrent à l'oracle par quels moyens ils pourroient apaiser le courroux des dieux. L'oracle leur répondit qu'il n'y en avoit point d'autre que d'expier leur forfait, et satisfaire aux mânes d'Esope. Aussitôt une pyramide fut élevée. Les dieux ne témoignèrent pas seuls combien ce crime leur déplaisoit : les hommes vengèrent aussi la mort de leur sage. La Grèce envoya des com missaires pour en informer, et en fit une punition rigoureuse. Se trouva fort dépourvue De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine La fourmi n'est pas prêteuse : Que faisiez-vous au temps chaud? Nuit et jour à tout venant ་་་་་་་་འལ་་ཕ་ FABLE II. LE CORBEAU ET LE RENARD. Maître corbeau, sur un arbre perché, Tenoit en son bec un fromage. Maitre renard, par l'odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage: Hé! bonjour, monsieur du corbeau. Que vous êtes joli! que vous me semblez beau! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. LA GRENOUILLE QUI SE VEUT FAIRE AUSSI GROSSE Une grenouille vit un bœuf Qui lui sembla de belle taille. Elle, qui n'étoit pas grosse en tout comme un œuf, Disant Regardez bien, ma sœur; Est-ce assez? dites-moi : n'y suis-je point encore? Nenni.-M'y voici donc? - Point du tout.-M'y voilà?Vous n'en approchez point. La chétive pécore S'enfla si bien qu'elle creva. Le monde est plein de gens qui ne sont pas plus sages: FABLE IV. LES DEUX MULETS. Deux mulets cheminoient, l'un d'avoine chargé, Il marchoit d'un pas relevé, Le mulet, en se défendant, Se sent percer de coups; il gémit, il soupire. Il n'est pas toujours bon d'avoir un haut emploi: 'Le loup donc l'aborde humblement, Dont la condition est de mourir de faim. Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. Flatter ceux du logis, à son maître complaire : Sera force reliefs de toutes les façons, Qui le fait pleurer de tendresse. pas Où vous voulez ?-Pas toujours; mais qu'importe?- Et ne voudrois pas même à ce prix un trésor. La génisse, la chèvre, et leur sœur la brebis, Et mirent en commun le gain et le dommage. A cela l'on n'a rien à dire. La seconde, par droit, me doit échoir encor: FABLE V. LE LOUP ET LE CHIEN. Un loup n'avoit que les os et la peau, Tant les chiens faisoient bonne garde: Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s'étoit fourvoyé par mégarde. L'attaquer, le mettre en quartiers, Sire loup l'eût fait volontiers: Et le mâtin étoit de taille A se défendre hardiment. FABLE VII. LA BESACE. Jupiter dit un jour : Que tout ce qui respire S'en vienne comparoître aux pieds de ma grandeur: Il peut le déclarer sans peur; |