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ment.» Là, ses lèvres furent touchées, comme celles du prophète, par un charbon ardent, et son génie s'éveilla.

Le père de La Fontaine avoit ardemment souhaité un fils auteur; aussi les premiers essais du jeune homme lui causèrent-ils une joie incroyable. Il est peut-être le seul de nos grands hommes dont la vocation ait été en harmonic avec les vœux paternels.

La Fontaine fut revêtu de la charge de son père; mais il en remplit les fonctions avec si peu de goût, qu'après trente ans d'exercice, il ignoroit, au dire de Furetière, la plupart des termes de son métier.

Il épousa par complaisance pour sa famille la fille d'un lieutenant au baillage royal de La Ferté-Milon, nommée Marie Héricart. Elle était assez jolie et spirituelle; mais on prétend qu'elle fut l'original de madame Honesta, du conte de Belphégor. La Fontaine en eut un fils et vécut peu de temps avec elle. On voit qu'il ne fut pas plus ravi du mariage, qu'à dix-neuf ans de l'Oratoire.

Le poëte demeuroit au sein du monde idéal de ses créations et ne pensoit pas à quitter sa ville natale, où il vivoit obscur, lorsque la duchesse de Bouillon, nièce de Mazarin, y fut exilée; on lui présenta La Fontaine : la protectrice de Pradon sut deviner les graces naïves de la jeune muse provinciale; et, rappelée de son exil, elle amena La Fontaine à Paris.

Il trouva dans cette ville un de ses oncles nommé Jannart. Cet oncle étoit le favori de Fouquet; il présenta son neveu au surintendant; le poëte en reçut une pension; et au jour de la disgrace, La Fontaine lui en témoigna une reconnoissance digne des temps antiques. Il y a quelque chose d'attendrissant dans la visite qu'il fit à Amboise, pour voir seulement la prison où son bienfaiteur avoit gémi, et se faire conter la manière dont il étoit gardé. «Sans la nuit, dit-il, on n'auroit jamais pu m'arracher de cet endroit.»

La Fontaine adopta le séjour de Paris, et ne retourna plus à Château-Thierry que pour y vendre son bien, pièce à pièce, lorsque la nécessité l'y poussoit, ainsi qu'il le dit lui-même dans son épitaphe:

Mangeant son fonds avec le revenu.

Vivant parmi les personnages les plus célèbres du siècle, Racine, Chaulieu, Lafare, Boileau, Molière, Chapelle, Mignard, furent ses amis, et les princes de Condé, de Conti, le duc et le grand prieur de Vendôme, le duc de Bourgogne, ses protecteurs.

La Fontaine, nommé gentilhomme ordinaire de madame Henriette d'Angleterre, première femme de Monsieur, perdit cette place à la mort soudaine de cette princesse. Alors, ayant vendu une grande partie de son bien, et ne sachant guère tirer parti de ses ouvrages, il resta, seul de tant de grands hommes, oublié d'un Monarque dont les fastueuses largesses alloient chercher le mérite en pays étrangers; mais aussi, deux femmes célèbres, d'abord Madame de la Sablière, et à sa mort, Madame Hervart, prirent soin de La Fontaine comme d'un enfant.

Il trouva pour commensal, chez madame de La Sablière, le célèbre Bernier, auquel il dut les principes des philosophies d'Epicure, de Lucrèce et de Descartes, qui grossirent le trésor de ses magnifiques images et de ses idées sublimes.

Bien que les Contes aient été publiés dans un temps où Louis XIV, entouré de maitresses et légitimant leurs enfants, ne songeait guère à se faire dévot, les Contes, ces chefs-d'œuvre inimitables de grace, le désespoir des poëtes, servirent de prétexte à Louis XIV pour ajourner pendant six mois l'élection de La Fontaine à l'Académie.

Ce fut dans le laps de temps compris entre l'année 1645 et l'année 1680, c'est-à-dire dans un espace de trente années environ, que La Fontaine fit paraître les chefs-d'œuvre qui l'ont immortalisé. Leurs diverses publications jetèrent peu d'éclat; comme toutes les poésies profondement pensées, elles demandoient aux contemporains et des méditations courageuses et le long abandon que réclame une belle poésie pour être entièrement comprise: Molière seul vit la brillante apothéose que l'avenir préparait au Bon-homme; mais une cour plongée dans le délire des fêtes, mais une nation tout entière à la galanterie, enivrées d'une gloire qui se glissait, comme une lumière, dans les moindres actions du souverain, pouvoient-elles se recueillir et entendre de tels chants, au milieu des rumeurs de la paix et de la guerre? Si Molière, Racine et Corneille virent naître leur renommée, ils le durent à l'éclat des triomphes de la scène; Bossuet arrêta l'attention, parce qu'il prophétisoit sur des tombes; Bayle, La Bruyère, La Fontaine, Fénélon, penseurs profonds, livrant leurs œuvres aux hasards des préoccupations contemporaines, attendirent leurs couronnes de la postérité.

Les OEuvres de La Fontaine ont été analysées par une foule d'écrivains; il leur est arrivé, comme à tous les commentateurs, de parler froidement à des cœurs émus. A Westminster, le Cicérone qui montre la hache dont un inconnu se servit pour décoller Charles I, dit aux curieux : « Ne touchez pas la hache! » Il existe si peu d'ouvrages qui, semblables aux œuvres du Créateur, n'aient besoin que des yeux pour exciter l'enthousiasme, qu'on devroit se garder, comme d'un sacrilége, de les confondre avec le reste, par des éloges de gazette.

Aussi avons-nous cru élever le seul monument digne de La Fontaine, en publiant ses OEuvres complètes, ornées de tout le luxe de la typographie, contenues dans un volume facile à transporter et d'un prix qui les rend accessibles à toutes les fortunes, malgré la beauté des vignettes et du papier. Là est l'éloge, parce que le poëte y est tout entier; là est sa vie, parce que là sont toutes ses pensées.

En 1692, La Fontaine tomba dangereusement malade, et alors, d'après les représentations de ses amis, il fit venir un confesseur : c'est à cette époque qu'il faut rapporter les anecdotes si originales, qui peignent le caractère de La Fontaine, sa candeur y paraît sublime : elles sont tellement connues, que nous avons négligé de les raconter. Comme sainte Thérèse, il ne pouvoit croire à l'éternité des peines, et le Bon-hommme espéroit que les damnés finiroient par se trouver en enfer comme des poissons dans l'eau.

Deux ans après, le 13 mars 1695, La Fontaine mourut âgé de 74 ans. Il fut inhumé auprès de Molière, qui l'avoit précédé de vingt-deux ans. Aujourd'hui, les restes de ces deux génies, les plus beaux dont la France s'honore, ont été transportés au cimetière du Père Lachaise, et leurs tombes sont placées sous le même ombrage.

Tels sont les événemens les plus marquants de la vie de La Fontaine. Les anecdotes, dont les notices faites jusqu'à ce jour sont remplies, donnent bien, à la vérité, une idée du caractère de La Fontaine et de sa manière de vivre; mais, outre qu'elles sont devenues populaires, et qu'il est maintenant superflu de les répéter, nous ne pensons pas qu'elles suffisent pour comprendre la prodigieuse organisation et la vie intellectuelle de ce grand poëte. Il faut être poëte soi-même, ou avoir l'ame grande, noble, élevée, pour sentir le charme de cette vie exempte des tourments imposés par la jalousie, l'approche de la gloire ou les enfantements de la pensée. La Fontaine est le seul qui n'ait point expié le don de son génie par le malheur; mais aussi sut-il cultiver la Muse pour la Muse elle-même; et loin d'escompter avidement ses inspirations en applaudissements fugitifs, en richesses, en honneurs, il se crut assez payé par les délices de

l'inspiration, et il en trouva l'extase trop voluptueuse pour la quitter et se jeter dans les embarras de la vie : il abusa même de cette précieuse faculté que la nature accorde aux poetes d'échapper à tout ce que le monde offre de hideux, et de monter vers un monde céleste et pur. La Fontaine s'étoit créé un factice univers comme une jeune imagination se crée une maîtresse, et il abandonnoit rarement les êtres fantastiques dont il étoit entouré : aussi les contemporains nous l'ont-ils représenté « ayant un sourire niais, les yeux éteints, une habitude de corps ignoble; » indices frappants de cette profonde extase qui fit le bonheur de sa vie. Cependant le long usage de cette puissance concentrique de notre ame usa l'ame elle-même; et pendant les dernières années de sa vie, si sa raison ne fut pas altérée, il est constant que le poëte avoit disparu.

H. BALZAC.

MONSEIGNEUR,

S'il y a quelque chose d'ingénieux dans la république des lettres, on peut dire que c'est la manière dont Esope a débité sa morale. Il seroit véritablement à souhaiter que d'autres mains que les miennes y eussent ajouté les ornements de la poésie, puisque le plus sage des anciens a jugé qu'ils n'y étoient pas inutiles. J'ose, MONSEIGNEUR, Vous en présenter quelques essais. C'est un entretien convenable à vos premières années. Vous êtes en un âge où l'amusement et les jeux sont permis aux princes; mais en même temps vous devez donner quelques unes de vos pensées à des réflexions sérieuses. Tout cela se rencontre aux fables que nous devons à Ésope. L'apparence en est puérile, je le confesse; mais ces puerilités servent d'enveloppes à des vérités importantes.

Je ne doute point, MONSEIGNEUR, que vous ne regardiez favorablement des inventions si ntiles et tout ensemble si agréables car que peut-on souhaiter davantage que ces deux points? Ce sont eux qui ont introduit les sciences parmi les hommes. Ésope a trouvé un art singulier de les joindre l'un avec l'autre la lecture de son ouvrage répand insensiblement dans une ame les seinences de la vertu, et lui apprend à se connoître sans qu'elle s'aperçoive de cette étude, et tandis qu'elle croit faire tout autre chose. C'est une adresse dont s'est servi très heureusement celui sur lequel Sa Majesté a jeté les yeux pour vous donner des instructions. Il fait en sorte que vous apprenez sans peine, ou, pour mieux parler, avec plaisir, tout ce qu'il est nécessaire qu'un prince sache. Nous espérons beaucoup de cette conduite. Mais, à dire la vérité, il y a des choses dont nous espérons infiniment davantage : ce sont, MoxSEIGNEUR, les qualités que notre invincible monarque vous a données avec la naissance; c'est l'exemple que tous les jours il vous donne. Quand vous le voyez former de si

grands desseins; quand vous le considérez qui regarde sans s'etonner l'agitation de l'Europe et les machines qu'elle remue pour le détourner de son entreprise; quand il pénètre dès sa première démarche jusque dans le cœur d'une province où l'on trouve à chaque pas des barrières insurmontables, et qu'il en subjugue une autre en huit jours, pendant la saison la plus ennemie de la guerre, lorsque le repos et les plaisirs règnent dans les cours des autres princes; quand, non content de dompter les hommes, il veut triompher aussi des elements; et quand, au retour de cette expédition où il a vaincu comme un Alexandre, vous le voyez gouverner ses peuples comme un Auguste, avouez-le vrai, MONSEIGNEUR, vous soupirez pour la gloire aussi bien que lui, malgré l'impuissance de vos années; vous attendez avec impatience le temps où vous pourrez vous déclarer son rival dans l'amour de cette divine maitresse. Vous ne l'attendez pas, MosSEIGNEUR: Vous le prévenez. Je n'en veux pour témoignage que ces nobles inquiétudes, cette vivacité, cette ardeur, ces marques d'esprit, de courage et de grandeur d'ame que vous faites paroitre à tous les moments. Certainement c'est une joie bien sensible à notre monarque; mais c'est un spectacle bien agréable pour l'univers que de voir ainsi croitre une jeune plante qui couvrira un jour de son ombre tant de peuples et de nations. Je devrois m'étendre sur ce sujet; mais, comme le dessein que j'ai de vous divertir est plus proportionné à mes forces que celui de vous louer, je me hâte de venir aux fables, et n'ajouterai aux vérités que je vous ai dites que celle-ci : c'est, MONSEIGNEUR, que je suis, avec un zèle respectueux, Votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, DE LA FONTAINE.

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PRÉFACE DE LA FONTAINE.

L'INDULGENCE que l'on a eue pour quelques | est si agréable, que je ne puis m'empêcher d'en unes de mes fables me donne lieu d'espérer la même grace pour ce recueil. Ce n'est pas qu'un des maîtres de notre éloquence n'ait désapprouvé le dessein de les mettre en vers : il a cru que leur principal ornement est de n'en avoir aucun ; que d'ailleurs la contrainte de la poésie, jointe à la sévérité de notre langue, m'embarrasseroit en beaucoup d'endroits, et banniroit de la plupart de ces récits la brièveté, qu'on peut fort bien appeler l'ame du conte, puisque sans elle il faut nécessairement qu'il languisse. Cette opinion ne sauroit partir que d'un homme d'excellent goût; je demanderois seulement qu'il en relâchât quelque peu, et qu'il crùt que les graces lacédémoniennes ne sont pas tellement ennemies des muses francoises, que l'on ne puisse souvent les faire marcher de compagnie.

Après tout, je n'ai entrepris la chose que sur l'exemple, je ne veux pas dire des anciens, qui ne tre point à conséquence pour moi, mais sur celui des modernes. C'est de tout temps, et chez tous les peuples qui font profession de poésie, que le Parnasse a jugé ceci de son apanage. A peine les fables qu'on attribue à Ésope virent le jour, que Socrate trouva à propos de les habiller des livrées des Muses. Ce que Platon en rapporte

1 Patru, célèbre avocat au parlement de Paris, et membre de l'Académie française.

faire un des ornements de cette preface. Il dit que Socrate étant condamné au dernier supplice, l'on remit l'exécution de l'arrêt à cause de certaines fêtes. Cébès l'alla voir le jour de sa mort. Socrate lui dit que les dieux l'avoient averti plusieurs fois, pendant son sommeil, qu'il devoit s'appliquer à la musique avant qu'il mourût. Il n'avoit pas entendu d'abord ce que ce songe signifioit: car, comme la musique ne rend pas l'homme meilleur, à quoi bon s'y attacher? Il falloit qu'il y eût du mystère là-dessous, d'autant plus que les dieux ne se lassoient point de lui envoyer la même inspiration. Elle lui étoit encore venue une de ces fêtes. Si bien qu'en songeant aux choses que le ciel pouvoit exiger de lui, il s'étoit avisé que la musique et la poesie ont tant de rapport, que possible étoit-ce de la dernière qu'il s'agissoit. Il n'y a point de bonne poésie sans harmonie: mais il n'y en a point non plus sans fictions; et Socrate ne savoit que dire la vérité. Enfin il avoit trouvé un temperament : c'étoit de choisir des fables qui continssent quelque chose de véritable, telles que sont celles d'Esope. Il employa donc à les mettre en vers les derniers moments de sa vie.

Socrate n'est pas le seul qui ait considéré comme sœurs la poésie et nos fables. Phèdre a témoigné qu'il étoit de ce sentiment; et, par l'excellence de son ouvrage, nous pouvons juger de celui du

a

prince des philosophes. Après Phèdre, Aviénus a
traité le même sujet. Enfin les modernes les ont
suivis nous en avons des exemples, non seule-
ment chez les étrangers, mais chez nous. Il est
vrai que, lorsque nos gens y ont travaillé, la
langue étoit si différente de ce qu'elle est, qu'on
ne les doit considérer que comme étrangers. Cela
ne m'a point détourné de mon entreprise; au con-
traire, je me suis flatté de l'espérance que, si je
ne courois dans cette carrière avec succès, on me
donneroit au moins la gloire de l'avoir ouverte.
Il arrivera possible que mon travail fera naître à
d'autres personnes l'envie de porter la chose plus
loin. Tant s'en faut que cette matière soit épuisée,
qu'il reste encore plus de fables à mettre en vers
que je n'en ai mis. J'ai choisi véritablement les
meilleures, c'est-à-dire celles qui m'ont semblé
telles: mais, outre que je puis m'être trompé dans
mon choix, il ne sera pas bien difficile de donner
un autre tour à celles-là même que j'ai choisies;
et si ce tour est moins long, il sera sans doute
plus approuvé. Quoi qu'il en arrive, on m'aura
toujours obligation, soit que ma témérité ait été
heureuse, et que je ne me sois point trop écarté
du chemin qu'il falloit tenir, soit que j'aie seule-
ment excité les autres à mieux faire.

n'est pas tout-à-fait sans fondement, puisque, s'il m'est permis de mêler ce que nous avons de plus sacré parmi les erreurs du paganisme, nous voyons que la Vérité a parlé aux hommes par paraboles: et la parabole est-elle autre chose que l'apologue, c'est-à-dire un exemple fabuleux, et qui s'insinue avec d'autant plus de facilité et d'effet qu'il est plus commun et plus familier? Qui ne nous proposeroit à imiter que les maîtres de la sagesse nons fourniroit un sujet d'excuse: il n'y en a point quand des abeilles et des fourmis sont capables de cela même qu'on nous demande.

C'est pour ces raisons que Platon, ayant banni Homère de sa République, y a donné à Ésope une place très honorable. Il souhaite que les enfants sucent ces fables avec le lait; il recommande aux nourrices de les leur apprendre : car on ne sauroit s'accoutumer de trop bonne heure à la sagesse et à la vertu. Plutôt que d'être réduits à corriger nos habitudes, il faut travailler à les rendre bonnes pendant qu'elles sont encore indifférentes au bien ou au mal. Or quelle méthode y peut contribuer plus utilement que ces fables? Dites à un enfant que Crassus, allant contre les Parthes, s'engagea dans leur pays sans considérer comment il en sortiroit, que cela le fit périr lui et son armée, quelque effort qu'il fit pour se retirer. Dites au mème enfant que le renard et le bouc descendirent an fond d'un puits pour y éteindre leur soif; que le renard en sortit s'étant servi des épaules et des cornes de son camarade comme d'une échelle; au contraire, le bouc y demeura pour n'avoir pas eu tant de prévoyance; et par conséquent il faut considérer en toute chose la fin je demande lequel de ces deux exemples fera le plus d'impression sur cet enfant. Ne s'arrêtera-t-il pas au dernier, comme plus conforme et moins dispropor

Je pense avoir justifié suffisamment mon dessein: quant à l'exécution, le public en sera juge. On ne trouvera pas ici l'élégance ni l'extrême brièveté qui rendent Phedre recommandable: ce sont qualités au dessus de ma portée. Comme il m'étoit impossible de l'imiter en cela, j'ai cru qu'il falloit en récompense égayer l'ouvrage plus qu'il n'a fait; non que je le blame d'en être demeuré dans ces termes : la langue latine n'en demandoit pas davantage; et si l'on y veut prendre garde, on reconnoitra dans cet auteur le vrai caractère et le vrai génie de Térence. La simplicitétionné que l'autre à la petitesse de son esprit ? II est magnifique chez ces grands hommes moi, qui n'ai pas les perfections du langage comme ils les ont eues, je ne la puis élever à un si haut point. Il a donc fallu se récompenser d'ailleurs: c'est ce que j'ai fait avec d'autant plus de bardiesse que Quintilien dit qu'on ne sauroit trop égayer les narrations. Il ne s'agit pas ici d'en apporter une raison : c'est assez que Quintilien l'ait dit. J'ai pourtant considéré que, ces fables étant sues de tout le monde, je ne ferois rien si je ne les rendois nouvelles par quelques traits qui en relevassent le goût. C'est ce qu'on demande aujourd'hui on veut de la nouveauté et de la gaieté. Je n'appelle pas gaieté ce qui excite le rire; mais un certain charme, un air agréable qu'on peut donner à toutes sortes de sujets, même les plus sérieux.

Mais ce n'est pas tant par la forme que j'ai donnée à cet ouvrage qu'on en doit mesurer le prix que par son utilité et par sa matière: car qu'y a-t-il de recommandable dans les productions de l'esprit qui ne se rencontre dans l'apologue? C'est quelque chose de si divin, que plusieurs personnages de l'antiquité ont attribué la plus grande partie de ces fables à Socrate, choisissant, pour leur servir de père, celni des mortels qui avoit le plus de communication avec les dieux. Je ne sais comme ils n'ont point fait descendre du ciel ces mèmes fables, et comme ils ne leur ont point assigné un dieu qui en eut la direction, ainsi qu'à la poésie et à l'éloquence. Ce que je dis

ne faut pas m'alléguer que les pensées de l'enfance sont d'elles-mêmes assez enfantines, sans y joindre encore de nouvelles badineries. Ces badineries ne sont telles qu'en apparence; car, dans le fond, elles portent un sens très solide. Et comme, par la définition du point, de la ligne, de la surface, et par d'autres principes très familiers, nous parvenons à des connoissances qui mesurent enfin le ciel et la terre, de même aussi, par les raisonnements et conséquences que l'on peut tirer de ces fables, on se forme le jugement et les mœurs, on se rend capable des grandes choses.

Elles ne sont pas seulement morales, elles donnent encore d'autres connoissances : les propriétés des animaux et leurs divers caractères y sont exprimés; par conséquent les nôtres aussi, puisque nous sommes l'abrégé de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. Quand Prométhée voulut former l'homme, il prit la qualité dominante de chaque bête de ces pièces si différentes il composa notre espèce; il fit cet ouvrage qu'on appelle le Petit-Monde. Ainsi ces fables sont un tableau où chacun de nous se trouve dépeint. Ce qu'elles nous représentent confirme les personnes d'àge avancé dans les connoissances que l'usage leur a données, et apprend aux enfants ce qu'il faut qu'ils sachent. Comme ces derniers sont nouvean-venus dans le monde, ils n'en connoissent pas encore les habitants; ils ne se connoissent pas eux-mêmes: on ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu'on

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