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Venez, singe; parlez le premier, et pour cause:
Voyez ces animaux, faites comparaison

De leurs beautés avec les vôtres.
Êtes-vous satisfait? Moi! dit-il; pourquoi non?
N'ai-je pas quatre pieds aussi bien que les autres?
Mon portrait jusqu'ici ne m'a rien reproché:
Mais pour mon frère l'ours, on ne l'a qu'ébauché;
Jamais, s'il me veut croire, il ne se fera peindre.
L'ours venant là-dessus, on crut qu'il s'alloit plaindre.
Tant s'en faut : de sa forme il se loua très fort,
Glosa sur l'éléphant, dit qu'on pourroit encor
Ajouter à sa queue, ôter à ses oreilles;

Que c'étoit une masse informe et sans beauté.
L'éléphant étant écouté,

Tout sage qu'il étoit, dit des choses pareilles:
Il jugea qu'à son appétit

Dame baleine étoit trop grosse.
Dame fourmi trouva le ciron trop petit,

Se croyant, pour elle, un colosse.
Jupin les renvoya s'étant censurés tous,
Du reste, contents d'eux. Mais parmi les plus fous
Notre espèce excella; car tout ce que nous sommes,
Lynx envers nos pareils, et taupes envers nous, [mes:
Nous nous pardonnons tout, et rien aux autres hom-
On se voit d'un autre œil qu'on ne voit son prochain.
Le fabricateur souverain

Nous créa besaciers tous de même manière,
Tant ceux du temps passé que du temps d'aujourd'hui:
Il fit
pour nos défauts la poche de derrière,
Et celle de devant pour les défauts d'autrui.

FABLE VIII.

L'HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX.

Une hirondelle en ses voyages

Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyoit jusqu'aux moindres orages,
Et, devant qu'ils fussent éclos,

Les annonçoit aux matelots.

Il arriva qu'au temps que la chanvre se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons:

Je vous plains; car, pour moi, dans ce péril extrême, Je saurai m'éloigner, ou vivre en quelque coin. Voyez-vous cette main qui par les airs chemine? pas loin,

Un jour viendra, qui n'est

Que ce qu'elle répand sera votre ruine.
De la naîtront engins à vous envelopper,
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Votre mort ou votre prison:

Gare la cage ou le chaudron!

C'est pourquoi, leur dit l'hirondelle,
Mangez ce grain; et croyez-moi.
Les oiseaux se moquèrent d'elle:

Ils trouvoient aux champs trop de quoi
Quand la chènevière fut verte,
L'hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin
Ce qu'a produit ce maudit grain,
Ou soyez sûrs de votre perte.

Prophète de malheur! babillarde! dit-on,
Le bel emploi que tu nous donnes!
Il nous faudroit mille personnes
Pour éplucher tout ce canton.

La chanvre étant tout-à-fait crue, L'hirondelle ajouta : Ceci ne va pas bien;

Mauvaise graine est tôt venue.

Mais, puisque jusqu'ici on ne m'a crue en rien,
Dès que vous verrez que la terre
Sera couverte, et qu'à leurs blés
Les gens n'étant plus occupés
Feront aux oisillons la guerre;
Quand reginglettes et réseaux
Attraperont petits oiseaux,

Ne volez plus de place en place,
Demeurez au logis, ou changez de climat :
Imitez le canard, la grue, et la bécasse.
Mais vous n'êtes pas en état

De passer comme nous les déserts et les ondes,
Ni d'aller chercher d'autres mondes:
C'est pourquoi vous n'avez qu'un parti qui soit sûr;
C'est de vous renfermer aux trous de quelque mur.
Les oisillons, las de l'entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément
Que faisoient les Troyens quand la pauvre Cassandre
Ouvroit la bouche seulement.

Il en prit aux uns comme aux autres:
Maint oisillon se vit esclave retenu.

Nous n'écoutons d'instincts que ceux qui sont les nôtres, Et ne croyons le mal que quand il est venu.

FABLE IX.

LE RAT DE VILLE ET LE BAT DES CHAMPS.

Autrefois le rat de ville Invita le rat des champs D'une facon fort civile A des reliefs d'ortolans.

Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.

Le régal fut fort honnête,
Rien ne manquoit au festin;
Mais quelqu'un troubla la fête
Pendant qu'ils étoient en train.

A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit:

Le rat de ville détale;
Son camarade le suit.

Le bruit cesse, on se retire: Rats en campagne aussitôt; Et le citadin de dire: Achevons tout notre rôt.

C'est assez, dit le rustique:
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n'est pas que je me pique
De tous vos festins de roi:

Mais rien ne vient m'interrompre; Je mange tout à loisir.

Adien donc. Fi du plaisir

Que la crainte peut corrompre!

FABLE X.

LE LOUP ET L'AGNEAU.

La raison du plus fort est toujours la meilleure: Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltéroit

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchoit aventure, Et que la faim en ces lieux attiroit.

Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage? Dit cet animal plein de rage:

Tu seras châtié de ta témérité.

Sire, répond l'agneau, que votre majesté
Ne se mette pas en colère;

Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
Tu la troubles! reprit cette bête cruelle;
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurois-je fait si je n'étois pas né?
Reprit l'agneau, je tette encor ma mère. -
Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

Je n'en ai point. C'est donc quelqu'un des tiens;
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers, et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge.
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

FABLE XI.

L'HOMME ET SON IMAGE.

POUR M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

Un homme qui s'aimoit sans avoir de rivaux
Passoit dans son esprit pour le plus beau du monde:
Il accusoit toujours les miroirs d'être faux,
Vivant plus que content dans son erreur profonde.
Afin de le guérir, le sort officieux

Présentoit partout à ses yeux

Les conseillers muets dont se servent nos dames:
Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands,
Miroirs aux poches des galants,
Miroirs aux ceintures des femmes.
Que fait notre Narcisse? Il se va confiner
Aux lieux les plus cachés qu'il peut s'imaginer,
N'osant plus des miroirs éprouver l'aventure.
Mais un canal, formé par une source pure,
Se trouve en ces lieux écartés:

Il s'y voit, il se fâche, et ses yeux irrités
Pensent apercevoir une chimère vaine.

Il fait tout ce qu'il peut pour éviter cette eau :
Mais quoi! le canal est si beau,
Qu'il ne le quitte qu'avec peine.

On voit bien où je veux venir.

Je parle à tous ; et cette erreur extrême Est un mal que chacun se plaît d'entretenir.

Notre ame, c'est cet homme amoureux de lui-même :

Tant de miroirs, ce sont les sottises d'autrui,
Miroirs, de nos défauts les peintres légitimes;
Et quant au canal, c'est celui
Que chacun sait, le livre des Maximes.

FABLE XII.

LE DRAGON A PLUSIEURS TÊTES, ET LE DRAGON À PLUSIEURS QUEUES.

Un envoyé du grand-seigneur

Préféroit, dit l'histoire, un jour chez l'empereur
Les forces de son maître à celles de l'empire.
Un Allemand se mit à dire :

Notre prince a des dépendants
Qui de leur chef sont si puissants

Que chacun d'eux pourroit soudoyer une armée.
Le chiaoux, homme de sens,

Lui dit: Je sais par renommée

Ce que chaque électeur peut de monde fournir; Et cela me fait souvenir

D'une aventure étrange, et qui pourtant est vraic.

J'étois en un lieu sûr, lorsque je vis passer
Les cent têtes d'une hydre au travers d'une haie.
Mon sang commence à se glacer;
Et je crois qu'à moins on s'effraie.

Je n'en eus toutefois que la peur sans le mal:
Jamais le corps de l'animal

Ne put venir vers moi, ni trouver d'ouverture.

Je rêvois à cette aventure

Quand un autre dragon, qui n'avoit qu'un seul chef,
Et bien plus d'une queue, à passer se présente.
Me voilà saisi derechef

D'étonnement et d'épouvante.

Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi :
Rien ne les empêcha; l'un fit chemin à l'autre.
Je soutiens qu'il en est ainsi

De votre empereur et du nôtre.

FABLE XIII.

LES VOLEURS ET L'ANE.

Pour une âne enlevé deux voleurs se battoient :
L'un vouloit le garder, l'autre le vouloit vendre.
Tandis que coups
de poing trottoient,

Et que nos champions songeoient à se défendre,
Arrive un troisième larron
Qui saisit maître aliboron.

L'àne, c'est quelquefois une pauvre province :
Les voleurs sont tel et tel prince,
Comme le Transilvain, le Turc, et le Hongrois.
Au lieu de deux, j'en ai rencontré trois :
Il est assez de cette marchandise.

De nul d'eux n'est souvent la province conquise:
Un quart voleur survient, qui les accorde net
En se saisissant du baudet.

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FABLE XIV.

SIMONIDE PRÉSERVÉ PAR LES DIEUX.

On ne peut trop louer trois sortes de personnes : Les dieux, sa maîtresse, et son roi.

Malherbe le disoit : j'y souscris, quant à moi;

Ce sont maximes toujours bonnes. La louange chatouille et gagne les esprits: Les faveurs d'une belle en sont souvent le prix. Voyons comme les dieux l'ont quelquefois payée.

Simonide avoit entrepris

L'éloge d'un athlète; et, la chose essayée,

Il trouva son sujet plein de récits tout nus.
Les parents de l'athlète étoient gens inconnus;

Son père, un bon bourgeois; lui, sans autre mérite :
Matière infertile et petite.

Le poète d'abord parla de son héros.
Après en avoir dit ce qu'il en pouvoit dire,
Il se jette à côté, se met sur le propos
De Castor et Pollux; ne manque pas d'écrire
Que leur exemple étoit aux lutteurs glorieux;
Elève leurs combats, spécifiant les lieux

Où ces frères s'étoient signalés davantage :
Enfin l'éloge de ces dieux

Faisoit les deux tiers de l'ouvrage.
L'athlète avoit promis d'en payer un talent:
Mais quand il le vit, le galant

que

N'en donna le tiers; et dit, fort franchement, Que Castor et Pollux acquittassent le reste : Faites-vous contenter par ce couple céleste.

Je vous veux traiter cependant:

Venez souper chez moi; nous ferons bonne vie :
Les conviés sont gens choisis,

Mes parents, mes meilleurs amis;
Soyez donc de la compagnie.
Simonide promit. Peut-être qu'il eut peur
De perdre, outre son dû, le gré de sa louange.
Il vient: l'on festine, l'on mange.
Chacun étant en belle humeur,

Un domestique accourt, l'avertit qu'à la porte
Deux hommes demandoient à le voir promptement.
I sort de table; et la cohorte

N'en perd pas un seul coup de dent.
Ces deux hommes étoient les gémeaux de l'éloge.
Tous deux lui rendent grace; et, pour prix de ses vers,
Ils l'avertissent qu'il déloge,

Et que cette maison va tomber à l'envers.
La prédiction en fut vraie.

Un pilier manque; et le plafonds,
Ne trouvant plus rien qui l'étaie,

Tombe sur le festin, brise plats et flacons,

N'en fait moins aux échansons.
pas

Ce ne fut pas le pis: car, pour rendre complète

La vengeance due au poëte,

Une poutre cassa les jambes à l'athlète,
Et renvoya les conviés

Pour la plupart estropiés.

La renommée eut soin de publier l'affaire :

Chacun cria: Miracle! On doubla le salaire

Que méritoient les vers d'un homme aimé des dieux.

Il n'étoit fils de bonne mère

Qui, les payant à qui mieux mieux,
Pour ses ancêtres n'en fit faire.

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FABLE XV.

LA MORT ET LE MALHEUREUX.

Un malheureux appeloit tous les jours
La Mort à son secours.

O Mort! lui disoit-il, que tu me sembles belle!
Viens vite, viens finir ma fortune cruelle!
La Mort crut, en venant, l'obliger en effet.
Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre.
Que vois-je! cria-t-il : ôtez-moi cet objet!
Qu'il est hideux! que sa rencontre
Me cause d'horreur et d'effroi!
N'approche pas, ò Mort! ô Mort, retire-toi!

Mécénas fut un galant homme;

Il a dit quelque part : Qu'on me rende impotent,
Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu'en somme
Je vive, c'est assez, je suis plus que content.
Ne viens jamais, ô Mort! on t'en dit tout autant.

Ce sujet a été traité d'une autre façon par Ésope, comme la fable suivante le fera voir. Je composai celle-ci pour une raison qui me contraignoit de rendre la chose ainsi générale. Mais quelqu'un me fit connoître que j'eusse beaucoup mieux fait de suivre mon original, et que je laissois passer un des plus beaux traits qui fût dans Esope. Cela m'obligea d'y avoir recours. Nous ne saurions aller plus avant que les anciens: il ne nous ont laissé, pour notre part, que la gloire de les bien suivre. Je joins toutefois ma fable à celle d'Esope, non que la mienne le mérite, mais à cause du mot de Mécénas que j'y fais entrer, et qui est si beau et si à propos, que je n'ai pas cru le devoir omettre.

FABLE XVI.

LA MORT ET LE BUCHERON.

Un pauvre bûcheron, tout couvert de ramée,
Sous le faix du fagot aussi bien que
des ans
Gémissant et courbé, marchoit à pas pesants,
Et tâchoit de gagner sa chaumine enfumée.
Enfin, n'en pouvant plus d'effort et de douleur,
Il met bas son fagot, il songe à son malheur.
Quel plaisir a-t-il eu depuis qu'il est au monde?
En est-il un plus pauvre en la machine ronde?
Point de pain quelquefois, et jamais de repos :
Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts,
Le créancier et la corvée,

Lui font d'un malheureux la peinture achevée.
Il appelle la Mort. Elle vient sans tarder,
Lui demande ce qu'il faut faire.
C'est, dit-il, afin de m'aider

A recharger ce bois; tu ne tarderas guère.

mm

Le trépas vient tout guérir;

Mais ne bougeons d'où nous sommes : PLUTÔT SOUFFRIR QUE MOURIR,

C'est la devise des hommes.

FABLE XVII.

L'HOMME ENTRE DEUX AGES, ET SES DEUX MAITRESSES.

Un homme de moyen âge,

Et tirant sur le grison,
Jugea qu'il étoit saison
De songer au mariage.

Il avoit du comptant,

Et partant

De quoi choisir; toutes vouloient lui plaire : En quoi notre amoureux ne se pressoit pas tant; Bien adresser n'est pas petite affaire.

Deux veuves sur son cœur eurent le plus de part:
L'une encor verte; et l'autre un peu bien mûre,
Mais qui réparoit par son art
Ce qu'avoit détruit la nature.
Ces deux veuves, en badinant,
En riant, en lui faisant fête,
L'alloient quelquefois testonnant,
C'est-à-dire ajustant sa tête.

La vieille, à tout moment, de sa part emportoit
Un peu du poil noir qui restoit,

Afin que son amant en fût plus à sa guise.
La jeune saccageoit les poils blancs à son tour.
Toutes deux firent tant, que notre tête grise
Demeura sans cheveux, et se douta du tour.
Je vous rends, leur dit-il, mille graces, les belles
Qui m'avez si bien tondu:

J'ai plus gagné que perdu;

Car d'hymen point de nouvelles.

Celle que je prendrois voudroit qu'à sa façon
Je vécusse, et non à la mienne.

Il n'est tête chauve qui tienne :
Je vous suis obligé, belles, de la leçon.

FABLE XVIII.

LE RENARD ET LA CIGOGNE.

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts:
Le galant, pour toute besogne,
Avoit un brouet clair; il vivoit chichement.
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :

La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.
Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie.

A l'heure dite, il courut au logis
De la cigogne son hôtesse;
Loua très fort sa politesse;
Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissoit à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyoit friande.

On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvoit bien passer;
Mais le museau du sire étoit d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

En badinant sur les bords de la Seine.
Le ciel permit qu'un saule se trouva,
Dont le branchage, après Dieu, le sauva.
S'étant pris, dis-je, aux branches de ce saule,
Par cet endroit passe un maître d'école;
L'enfant lui crie: Au secours! je péris!
Le magister, se tournant à ses cris,
D'un ton fort grave à contre-temps s'avise
De le tancer. Ah, le petit babouin!
Voyez, dit-il, où l'a mis sa sottise!
Et puis, prenez de tels fripons le soin!
Que les parents sont malheureux, qu'il faille
Toujours veiller à semblable canaille!
Qu'ils ont de maux! et que je plains leur sort!
Ayant tout dit, il mit l'enfant à bord.

Je blâme ici plus de gens qu'on ne pense.
Tout babillard, tout censeur, tout pédant,
Se peut connoître au discours que j'avance.
Chacun des trois fait un peuple fort grand :
Le Créateur en a béni l'engeance.
En toute affaire ils ne font que songer
Au moyen d'exercer leur langue.
Hé, mon ami! tire-moi de danger;
Tu feras après ta harangue.

FABLE XX.

LE COQ ET LA PERLE.

Un jour un coq détourna
Une perle, qu'il donna
Au beau premier lapidaire.
Je la crois fine, dit-il;
Mais le moindre grain de mil
Seroit bien mieux mon affaire.

n ignorant hérita

D'un manuscrit qu'il porta
Chez son voisin le libraire.
Je crois, dit-il, qu'il est bon;
Mais le moindre ducaton
Seroit bien mieux mon affaire.

FABLE XXI.

LES FRELONS ET LES MOUCHES A MIEL.

A l'œuvre on connoit l'artisan.

Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent :
Des frelons les réclamèrent;
Des abeilles s'opposant,

Honteux comme un renard qu'une poule auroit pris, Devant certaine guêpe on traduisit la cause.

Serrant la queue et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris : Attendez-vous à la pareille.

FABLE XIX.

L'ENFANT ET LE MAITRE D'ÉCOLE.

Dans ce récit je prétends faire voir
D'un certain sot la remontrance vaine.
Un jeune enfant dans l'eau se laissa choir,

Il était malaisé de décider la chose :
Les témoins déposoient qu'autour de ces rayons
Des animaux ailés, bourdonnants, un peu longs,
De couleur fort tannée, et tels que les abeilles,
Avoient long-temps paru. Mais quoi! dans les frelons
Ces enseignes étoient pareilles.
La guêpe, ne sachant que dire à ces raisons,
Fit enquête nouvelle; et, pour plus de lumière,
Entendit une fourmilière.

Le point n'en put être éclairci.
De grace, à quoi bon tout ceci ?
Dit une abeille fort prudente.

Depuis tantôt six mois que la cause est pendante,
Nous voici comme aux premiers jours.
Pendant cela le miel se gâte.

Il est temps désormais que le juge se hâte:
N'a-t-il point assez léché l'ours?
Sans tant de contredits et d'interlocutoires,
Et de fatras, et de grimoires,
Travaillons, les frelons et nous :

On verra qui sait faire, avec un suc si doux,
Des cellules si bien bâties.

Le refus des frelons fit voir

Que cet art passoit leur savoir;

Et la guêpe adjugea le miel à leurs parties.

Plût à Dieu qu'on réglât ainsi tous les procès!
Que des Turcs en cela l'on suivit la méthode!
Le simple sens commun nous tiendroit lieu de code;
Il ne faudroit point tant de frais:

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge;
On nous mine par des longueurs:

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

FABLE XXII.

LE CHENE ET LE ROSEAU.

Le chêne un jour dit au roseau : Vous avez bien sujet d'accuser la nature;

Un roitelet pour vous est un pesant fardeau;
Le moindre vent qui d'aventure
Fait rider la face de l'eau

Vous oblige à baisser la tête;

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n'auriez pas tant à souffrir;
Je vous défendrois de l'orage:

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci :

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables;
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin. Comme il disoit ces mots, Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs. L'arbre tient bon, le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel étoit voisine,

Et dont les pieds touchoient à l'empire des morts.

FIN DU LIVRE PREMIER.

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