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particulier et de philosophe, et non point de majesté ni d'altesse. Mais j'ai tort de me défier de la sagesse de monsieur le Prince: son séjour à Chantilly en fait voir assez pour ne pas donner à croire qu'il fût tombé dans les fautes qu'ont faites les autres, s'il fût parvenu au même degré de fortune.

Avant que je parle de Chantilly, voici le jugement que je fais en gros des trois personnages que j'introduis sur la scène. Jules César est un homme qui a eu moins de défauts, et plus de bonnes qualités qu'Alexandre. Par ses défauts mêmes il s'est élevé au dessus de l'homme : que l'on juge de quel mérite ses bonnes qualités pouvoient étre! Monsieur le Prince participe de tous les deux. N'est-il pas au dessus de l'homme à Chantilly, et plus grand cent fois que ses deux rivaux n'étoient sur le trône? Il y a mis à ses pieds des passions dont les autres ont été esclaves jusqu'au dernier moment de leur vie.

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SUR LES DIALOGUES DE PLATON, Formant l'avertissement du recueil qui a pour titre : Ownsges de prose et de poésie des sienrs DE MAUCROY & BE LA FONTAINE, imprimés à Paris en 1685.

Charles-Quint a toujours tourné les yeux du côté du monde, et ne l'a quitté qu'en apparence; Dioclétien, par un pur dégoût; et Scipion, par contrainte. L'assemblage de ce recueil a quelque chose de Monsieur le Prince, sans y renoncer entièrement, peu ordinaire. Les critiques nous demanderont pour trouve le secret de jouir de soi. Il embrasse tout à la quoi nous n'avons pas fait imprimer à part des onfois et la conr et la campagne, la conversation et les vrages si différents : c'est une ancienne amitié qui livres, les plaisirs des jardins et des bâtiments. Il en est la cause. Je ne justifierai done point par fait sa cour avec dignité: aussi la fait-il à un prince d'autres raisons le dessein que nous avons eu; et, qui mérite qu'ou la lui fasse, et qui en est plus digne sans m'arrêter non plus à mes poesies, qui ne sont qu'aucun monarque qui ait su régner. C'est ce que pas assez importantes pour faire dessus des réLouis XIV sait bien faire; il n'est pas jusqu'à la for-flexions, je passe d'abord au second volume de ce tune qui n'en convienne. Monsieur le Prince n'a pas recueil. Le traducteur y fait dans une préface le de peine à rendre ce qui est dû à une puissance et à parallèle de Démosthène et de Cicéron, et n'a rien un mérite si élevé. Il y a de la grandeur aussi bien omis de ce qu'il étoit à propos de dire sur ce sujet. que de la sagesse à s'acquitter de bonne grace d'un Comme il n'a point parlé de Platon, c'est à moi de pareil devoir, et plus de grandeur qu'à y résister. toucher légèrement ce qui concerne ce philosophe, Si on lisoit dans le cœur du maître, je crois que l'on non pas tant pour louer (il faudroit que j'eusse ses y verroit qu'il estime plus les hommages de mon- graces) que pour aller au devant des objections que sieur le Prince que ceux que lui pourroit rendre les gens d'aujourd'hui lui pourront faire. tout le reste de l'univers.

Je m'ingère de raisonner sur des choses qui sont au dessus de moi. L'imagination des poetes n'a point de bornes; la mienne pourroit m'emporter trop loin. Il faut donc que je finisse ce parallèle, après avoir donné à monsieur le Prince l'avantage du dernier temps. Alexandre s'y comporta comme un homme que la bonne fortune et la gloire avoient achevé de gâter. Jules César a des traits d'humanité et de clémence. Mais j'ai peine à lui pardonner deux fautes: l'une, de ne s'être point encore assez défié de Brutus; l'autre, de s'être laissé présenter le diadème, et d'avoir fait une tentative si périlleuse; car, quant à l'amour de Cléopâtre, je trouverois les grands personnages bien malheureux, s'ils étoient obligés de ne vivre que pour la gloire. J'estime autant la conquête de cette reine que celle de l'Égypte entière. Du tempérament dont César étoit, il en devoit devenir amoureux; c'est une marque de son bon goût. Je le loue d'avoir été formarum spectator elegans. V. A. S. refuseroit-elle cette louange? Je ne le crois pas. Il suffit qu'on traite ces choses d'amusement, et qu'elles ne détournent pas un grand personnage de son chemin. Alexandre et monsieur le Prince en ont usé de la sorte. Je pourrois tirer mes exemples de plus haut, et alléguer Jupiter. Quem deum ? Tiendriez-vous à honte de l'imiter? Jules César a donc pu le faire. Je souhaiterois seulement que sa passion ne l'eût point mis en un danger aussi grand que celui où il se trouva. Je souhaiterois encore, pour le bien universel de tous les peuples d'alors, qu'il

Ceux qui simplement ont oui parler de lui sans avoir aucune connoissance, ni de ses œuvres, ni de son siècle, s'étonneront qu'un homme, que l'on traite de divin, ait pris tant de peine à composer des dialogues pleins de sophismes, et où il n'y a rien de decidé la plupart du temps. Ils ne s'en étonneroient pas s'ils prenoient l'esprit des Athéniens, aussi bien que celui de l'académie et du lycée. Bien que la logique ne fût pas encore réduite en art, et qu'Aristote en soit proprement l'inventeur, on ne laissoit pas dèslors d'examiner les matières avec quelque sorte de méthode, tant la passion pour la recherche de la vérité a été grande dans tous les temps; celui où vivoit Platon l'a emporté en cela par dessus les autres. Socrate est le premier qui a fait connoitre les choses par leur genre et leur différence. De la sont venus nos universaux, et ce que nous appelons idées de Platon; de là est venue aussi la connoissance de chaque espèce: mais comme le nombre en est infini, il est impossible à ceux qui examinent les matières à fond d'en venir jusqu'à la dernière precision, et de ne laisser aucun doute. Ce n'étoit done pas une chose indigne ni de Socrate ni de Platon, de chercher toujours, quoiqu'ils eussent peu d'espérance de rien trouver qui les satisfit entièrement. Leur modestie les a empêchés de décider dans cet abyme de difficultés presque inépuisable. On ne doit pas pour cela leur reprocher l'inutilité de ces dialogues: ils faisoient avouer au moins qu'on ne peut connoître parfaitement la moindre chose qui soit au monde telle est l'intention de son auteur, qui l'a

*présenté à notre raison comme une matière de s'exer- | dore comme le docteur de la comédie, qui de la cer, et qui l'a livré aux disputes des philosophes.

Je passe maintenant au sophisme. Si on prétend que les entretiens du lycée se devoient passer comme nos conversations ordinaires, on se trompe fort: nous ne cherchons qu'à nous amuser; les Athéniens cherchoient aussi à s'instruire. En cela il faut procéder avec quelque ordre. Qu'on en cherche de si nouveaux et de si aisés qu'on voudra, ceux qui prétendront les avoir trouvés n'auront fait autre chose que déguiser ces mêmes manières qu'ils blâment tant. Il n'y en a proprement qu'une, et celle-la est bien plus étrange dans nos écoles qu'elle n'étoit alors au Lycée et parmi l'Académie. Socrate en faisoit un bon usage, les sophistes en abusoient: ils attiroient la jeunesse par de vaines subtilités qu'ils lui savoient fort bien vendre. Platon y voulut remédier en se moquant d'eux, ainsi que nous nous moquous de nos précienses, de nos marquis, de nos entêtés, de nos ridicules de chaque espèce. Transportonsnous en ce siècle-là, ce sera d'excellentes comédies que ce philosophe nous aura données, tantôt aux dépens d'un faux dévot, d'un ignorant plein de vanité, d'un pédant; voilà proprement les caractères d'Eutyphron, d'Hippias et des deux sophistes. Il ne faut point croire que Platon ait outré ces deux derniers; ils portoient le sophisme eux-mêmes au delà de toute croyance, non qu'ils prétendissent faire autre chose que d'embarrasser les auditeurs par de pareilles subtilités; c'étoit des impertinents, et non pas des fous; ils vouloient seulement faire montre de leur art, et se procurer par là des disciples. Tous nos colléges retentissent des mêmes choses. Il ne faut donc pas qu'elles nous blessent, il faut au contraire s'en divertir, et considérer Euthydemus et Dionyso- |

parole que l'on profère prend occasion de dire une nouvelle sottise. Platon les combat eux et leurs pareils de leurs propres armes, sous prétexte d'apprendre d'eux : c'est le père de l'ironie. On a de la volupté à les voir ainsi confondus. Il les embarrasse eux-mêmes de telle sorte, qu'ils ne savent plus où ils en sont, et qu'ils sentent leur ignorance. Parmi tout cela leur persécuteur sait mêler des graces infinies. Les circonstances du dialogue, les caractères des personnages, les interlocutions et les bienséances, le style élégant et noble, et qui tient en quelque façon de la poésie: toutes ces choses s'y rencontrent en un tel degré d'excellence, que la manière de raisonner n'a plus rien qui choque: on se laisse amuser insensiblement comme par une espèce de charme. Voilà ce qu'il faut considérer là-dessus : laissons-nous entraîner à notre plaisir, et ne cherchons pas matière de critiquer; c'est une chose trop aisée à faire. Il y a bien plus de gloire à Platon d'avoir trouvé le secret de plaire dans les endroits mêmes qu'on reprendra : mais on ne les reprendra point si on se transporte en son siècle.

J'ai encore à avertir d'une chose qui regarde l'oraison contre Verrès. Mon ami voyant qu'il n'y a de péroraison ni d'exorde qu'au commencement et à la fin des Verrines, qui toutes ensemble ne font qu'un corps, et que celle-ci ne devoit pas être considérée comme une œuvre à part, et qui auroit eu toutes ses parties; il n'en a plus voulu traduire la fin, qui ne contient que des formalités de justice, et n'est pas si agréable que ce qui précède. C'est ce que j'avois à dire pour prévenir des objections, que peut-être on ne fera point. Nous laissons le reste au jugement du lecteur.

ÉPITRES DÉDICATOIRES.

A SON ALTESSE

MONSEIGNEUR LE DUC DE GUISE,

EN LUI DÉDIANT UN RECUEIL QUI A POUR TITRE: Fables nouvelles et autres Poésies, imprimé à Paris en 1671.

MONSEIGNEUR,

Ces dernières fables, et les autres pièces que j'y ai jointes, sont un tribut dont je m'acquitte envers Votre Altesse. Car, sans dire que vous êtes maître de mon loisir et de tous les moments de ma vie, puisqu'ils appartiennent à l'auguste et sage princesse qui vous a cru digne de posséder l'héritière de ses vertus, vous avez reçu mes premiers respects d'une manière si obligeante, que je me suis moi-même donné à vous, avant que de vous dédier ces ouvrages. Ni le livre ni la personne ne sont des dons qui doivent être considérés. C'est en quoi je me loue davantage de votre accueil; il m'a fait l'honneur de me demander une chose de peu de prix; je la lui ai accordée des l'abord: vous exercez sur les cœurs une violence

à laquelle il est impossible de résister. Ce témoignage vous sera rendu par des bouches plus élo quentes que n'est la mienne : je ne fais pas même de doute que vous n'occupiez un jour toutes celles de la Renommée : elle en attend les occasions avec une impatience qui marque bien ce que vos belles qualités et votre naissance lui ont promis: pendant que les astres les lui préparent, permettez que je touche légèrement aux prémices de votre gloire. Le Parnasse fait peu de dons qui ne soient accompagnés de cet encens que les dieux préfèrent à la richesse des temples et des offrandes. Votre Altesse le connoîtra dans la suite de ses années mieux que personne ne l'a connu; et je vous tiendrois malheureux, si, vous devant être si familier, il ne vous étoit pas agréable.

Oui, Monseigneur, je le répète encore une fois, il n'y a sorte de louanges où vous ne puissiez aspirer: la grandeur et le haut mérite vous environnent de toutes parts; soit que vous portiez les yeux sur vousmême, soit que vous les détourniez sur la longue suite de ces héros dont vous descendez, et qui vivront éternellement dans la mémoire des hommes. L'un arrête les desseins et les légions d'un grand empereur; et, par son bel ordre, par sa conduite, par son courage, malgré les attaques de cent mille com

battants, il conserve deux ou trois provinces, avec une ville impériale; ville que l'on tenoit pour perdue, et qui, dès les premiers jours de son siége, étoit menacée d'une disette de toute chose. L'autre remet sous la puissance des lis la plus importante place de nos frontières, faisant en sept jours une conquête qui avoit coûté des années à nos anciens ennemis, et qui s'étoit affermie entre leurs mains par une possession de près de trois siècles. Un autre rassemble en lui ce que la prudence humaine, la piété, les vertus morales et politiques ont de précieux: et tous se rendant maîtres des cœurs par cent qualités agréables et bienfaisantes, ce qui est l'empire du monde le plus souhaitable, ils sont nés encore avec une certaine éloquence par laquelle ils règnent sur les esprits. La fortune les a fait courir quelquefois dans la carrière de l'adversité: cette volage et perfide amie leur a pu ravir des dignités et des biens; mais il n'a jamais été en son pouvoir de leur ôter la valeur, la fermeté d'ame, ni l'accortise, ni enfin tous ces autres dons que vous tenez d'eux, et qui sont plus votre patrimoine que le nom même que vous portez. Tout le monde avoue, Monseigneur, que vous êtes digne de le porter. Votre Altesse n'a pas manqué d'en donner des preuves aussitôt que l'occasion s'en est présentée. On n'a jamais remarqué plus d'amour de la gloire ni moins de crainte pour le péril en une si grande jeunesse. Ce que je dis a paru aux yeux d'un monarque qui connoît par lui le véritable mérite. L'envie de répondre aux faveurs de son alliance, pour laquelle les maîtres de l'Europe soupirent tous, l'émulation et l'exemple de vos ancêtres, mais plus que ces choses, le témoignage de notre prince, tout cela, dis-je, vous servira d'aiguillon pour courir aux actions héroïques. Après que j'aurai loué les charmes de votre personne, cette civilité engageante, et qui ne laisse pas d'avoir un air de grandeur, ces manières si gracieuses, je louerai en vous les semences de la vertu, ou plutôt j'en louerai des fruits abondants, pour peu que le ciel accorde de terme à mes jours, et me donne le loisir de vous témoigner avec combien de zèle je suis, etc.

A MGR LE PROCUREUR-GÉNÉRAL

DU PARLEMENT,

Vous pourrez en passant louer, m'a-t-elle dit,
La finesse de son esprit,

Et la sagesse de son ame;
Mais en passant, je vous le dis.
Cette Iris, Harlay, c'est la dame
A qui j'ai deux temples bâtis,

L'un dans mon cœur, l'autre en mon livre :
Puisse le dernier assez vivre
Pour mériter que l'univers
Dise un jour, en voyant mes vers,
Cette œuvre est de belle structure!
Qu'en pensoit Harlay? car on sait
Que l'art, aidé de la nature,
Avoit rendu son goût parfait.

J'aurois ici lieu de m'étendre;

Mais que serviroit-il? vous vous armez le cœur Contre tous les appas d'un propos enchanteur : L'éloge qui pourroit par ses traits vous surprendre, Seroit d'un habile orateur.

Cicéron, Platon, Démosthènes,

Ornements de Rome et d'Athènes,

N'en viendroient pas à bout. Platon par ses douceurs
Vous pourroit amuser un moment, je l'avoue;
C'est le plus grand des amuseurs.
Que Ciceron blame ou qu'il loue,
C'est le plus disert des parleurs.
L'ennemi de Philippe est semblable au tonnerre;
Il frappe, il surprend, il atterre;

Cet homme et la raison, à mon sens, ne sont qu'un.
Vous avez avec lui ce point-là de commun.
Le privilége est beau, d'autant plus qu'il est rare:
Pendant qu'un peuple entier de la raison s'égare,
Cette fille du ciel ne bouge de chez vous;
Elle y plaça son temple avec sa sœur Astrée:
La crainte et le respect ont forgé les verrous
De cette demeure sacrée.

Non qu'on n'y puisse entrer ainsi que chez les dieux:
Au moindre des mortels la porte en est ouverte;
Nos vœux y sont ouis, notre plainte soufferte:
L'équité sort toujours contente de ces lieux.
Que si la passion où l'intérêt nous plonge
Fait que quelque client y mène le mensonge,
Le mensonge n'y peut imposer à vos yeux,
De quelque adresse qu'il se pique.
Souffrez ces vérités; et dans vos soins divers
Quittez un peu la république

Pour notre prose et pour nos vers.

Ce n'est pas assez, Monseigneur, de vous dédier en vers les derniers fruits de nos veilles. Comme il y a un volume sans poésies (et c'est le plus digne de vous être offert), j'ai cru que je vous devois confirmer ces hommages en une langue qui lui convînt. Je vous offre donc encore une fois les traductions de mon ami, et au nom de leur auteur, et au mien: car

En lui dédiant deux volumes intitulés : Ouvrages de Prose et de Poésie des sieurs DE MAUCROY et DE LA FONTAINE, je dispose de ce qui est à lui, comme s'il étoit à moi

en 1685.

Harlay, favori de Thémis,

Agréez ce recueil, œuvre de deux amis;
L'un a pour protecteur le démon du Parnasse,
L'autre de la tribune étale tous les traits:

Donnez-leur chez vous quelque place,
Qui les distingue pour jamais.
Il vous présente leur ouvrage;
Je me suis chargé de l'hommage;
Iris m'en a l'ordre prescrit.

Voici ses propres mots, si j'ai bonne mémoire:
Acante, le public à vos vers applaudit:

C'est quelque chose; mais la gloire
Ne compte pas toujours les voix;
Elle les pèse quelquefois.

Ayez celle d'Harlay, lui seul est un théâtre.
Veuillent Phébus et Jupiter

Qu'il trouve en vous un peu de l'air
Des anciens qu'il idolâtre!

même. Il ne s'agit pas ici seulement des suffrages que vous nous pouvez procurer à l'un et à l'autre, mais de ceux qu'on ne peut refuser sans injustice à des chefs-d'œuvre de l'antiquité. De la façon que le traducteur les a rendus, il vous sera facile d'y remar quer trois différents caractères, tous trois si beaux qu'en tout l'empire de l'éloquence, lequel est d'une si grande étendue, il n'y en a point qu'on leur puisse comparer. Ils méritent également que l'on les admire; et c'est ce qui me semble de merveilleux, quoiqu'on sache que l'éloquence a trouvé le secret de plaire sous mille formes. Le mot de plaire ne dit pas assez ; Platon, Démosthène et Cicéron, vont bien au delà; ils enlèveront toujours les esprits, bien que ces grands hommes n'aient pas chez nous les avantages qu'ils avoient en ces heureux siècles où ils ont vécu, et quoique peut-être le goût du nôtre soit différent.

De déterminer précisément qui des trois le doit emporter, je ne le crois pas possible; y a-t-il quelqu'un d'assez hardi pour juger entre eux de la préférence? Vous protégerez, je n'en doute point, le travail de mon ami, en faveur de ces trois grands noms, et à cause de son mérite particulier. Je vous demande la même grace pour mes ouvrages. Vous ne nous refuserez pas quelques moments d'application, après

que vous aurez rempli vos devoirs pour les intérêts de Sa Majesté et de la justice. Jamais la dignité que vous exercez n'a été le commun lien de ces deux puissances avec plus d'utilité pour le public, ni plus de sujet de satisfaction pour le prince. Cette matière est si ample, et vous fuyez les éloges avec tant de soin, que je ne m'engagerai point dans le vôtre, et me contenterai de vous assurer que je suis, etc.

A MADAME DE LA FONTAINE.
RELATION D'UN VOYAGE DE PARIS EN LIMOUSIN,
EN 1663.

LETTRE PREMIÈRE.

A Clamart, ce 25 août 1663.

Vous n'avez jamais voulu lire d'autres voyages que ceux des chevaliers de la Table ronde; mais le nôtre mérite bien que vous le lisiez. Il s'y rencontrera pourtant des matières peu convenables à votre goût c'est à moi de les assaisonner, si je puis, en telle sorte qu'elles vous plaisent; et c'est à vous de louer en cela mon intention, quand elle ne seroit pas suivie du succès. Il pourra même arriver, si vous goûtez ce récit, que vous en goûterez après de plus sérieux. Vous ne jouez, ni ne travaillez, ni ne vous souciez du ménage; et, hors le temps que vos bonnes amies vous donnent par charité, il n'y a que les romans qui vous divertissent. C'est un fonds bien épuisé. Vous avez lu tant de fois les vieux, que vous les savez; il s'en fait peu de nouveaux, et, parmi ce peu, tous ne sont pas bons: ainsi vous demeurerez souvent sec. Considérez, je vous prie, l'utilité que ce vous seroit, si, en badinant, je vous avois accoutumée à l'histoire, soit des lieux, soit des personnes : vous auriez de quoi vous désennuyer toute votre vie, pourvu que ce soit sans intention de rien retenir, moins encore de rien citer. Ce n'est pas une bonne qualité pour une femme d'être savante; et c'en est une très mauvaise d'affecter de paroître telle.

Nous partimes donc de Paris le 23 du courant, après que M. Jannart eut reçu les condoléances de quantité de personnes de condition et de ses amis. M. le lieutenant-criminel en usa généreusement, libéralement, royalement : il ouvrit sa bourse, et nous dit que nous n'avions qu'à puiser Le reste du voisinage fit des merveilles. Quand il eût été question de transférer le quai des Orfèvres, la cour du Palais, et le Palais même, à Limoges, la chose ne se seroit pas autrement passée. Enfin, ce n'étoit chez nous que processions de gens abattus, et tombés des nues. Avec tout cela, je ne pleurai point; ce qui me fait croire que j'acquerrai une grande réputation de constance dans cette affaire.

La fantaisie de voyager m'étoit entrée quelque temps auparavant dans l'esprit, comme si j'eusse eu des pressentiments de l'ordre du roi. Il y avoit plus de quinze jours que je ne parlois d'autre chose que d'aller, tantôt à Saint-Cloud, tantôt à Charonne, et j'étois honteux d'avoir tant vécu sans rien voir. Cela ne me sera plus reproché, grace à Dieu. On nous a dit, entre autres merveilles, que beaucoup de Limousines de la première bourgeoisie portent des chaperons de drap rose-sèche sur des cales de velours noir. Si je trouve quelqu'un de ces chaperons qui couvre une jolie tête, je pourrai m'y amuser en passant, et par curiosité seulement.

Quoi qu'il en soit, j'ai tout-à-fait bonne opina! de notre voyage : nous avons déjà fait trois liet~1 sans aucun mauvais accident, sinon que l'épée #j M. Jannart s'est rompue; mais, comme nous somme gens à profiter de tous nos malheurs, nous avon trouvé qu'aussi bien elle étoit trop longue, et l'e barrassoit. Présentement nous sommes à Clamart. au dessous de cette fameuse montagne où est site Meudon; là nous devons nous rafraîchir deux o ger; on rencontre toujours quelque chose de retrois jours. En vérité, c'est un plaisir que de vora. marquable. Vous ne sauriez croire combien est esouhaité vingt fois de pareilles vaches, un pare cellent le beurre que nous mangeons; je me suis herbage, des eaux pareilles, et ce qui s'ensuit, ber madame C. mérite aussi d'avoir place dans cette mis la batteuse, qui est un peu vieille. Le jardin de et c'est ce que j'aime sur toutes choses. Ou vous l'ahistoire; il a beaucoup d'endroits fort champêtres, vez vu, ou vous ne l'avez pas vu; si vous l'avez vu, souvenez-vous de ces deux terrasses que le parterre a en face et à la main gauche, et des rangs de chèses et de châtaigniers qui les bordent je me trompe bois qui paroît en l'enfoncement, avec la noirceur bien si cela n'est beau. Souvenez-vous aussi de c d'une forêt âgée de dix siècles: les arbres n'en sont pas si vieux, à la vérité; mais toujours peuvent-ils crois pas qu'il y en ait de plus vénérables sur la passer pour les plus anciens du village, et je ne terre. Les deux allées qui sont à droite et à gauche me plaisent encore: elles ont cela de particulier, belles. Celle de la droite a tout-à-fait la mine d'un que ce qui les borne est ce qui les fait paroitre plus jeu de paume; elle est à présent bordée d'un amphithéâtre de gazon, et a le fond relevé de huit on où les divinités du lieu reçoivent l'hommage qui lear dix marches: il y a de l'apparence que c'est l'endroit

est dû.

Si le dieu Pan, ou le Faune,
Prince des bois, ce dit-on,
Se fait jamais faire un trône,
C'en sera là le patron.

:

Deux châtaigniers, dont l'ombrage
Est majestueux et frais,
Le couvrent de leur feuillage,
Ainsi que d'un riche dais.

Je ne vois rien qui l'égale,
Ni qui me charme à mon gré,
Comme un gazon qui s'étale
Le long de chaque degré.

J'aime cent fois mieux cette berbe
Que les précieux tapis
Sur qui l'Orient superbe
Voit ses empereurs assis.

Beautés simples et divines,
Vous contentiez nos aieux,
Avant qu'on tirât des mines
Ce qui nous frappe les yeux.

,

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