ODE ANACREONTIQUE.
A Mme LA SURINTENDANTE,
Sur ce qu'elle est accouchée avant terme, dans le carrosse, en revenant de Toulouse.
Puis-je ramentevoir l'accident plein d'ennui Dont le bruit en nos cœurs mit tant d'inquiétudes? Aurai-je bonne grace à blâmer aujourd'hui Carrosses en relais, chirurgiens un peu rudes? Falloit-il que votre œuvre imparfait fût laissé ? Ne le deviez-vous pas rapporter de Toulouse? A quoi songeoit l'Amour qui l'avoit commencé, Et sont-ce là des traits de véritable épouse?
Ne quittant qu'avec peine un mari par trop cher, Et le voyant partir pour un si long voyage, Vous le voulûtes suivre, il ne put l'empêcher; De vos chastes amours vous lui dûtes ce gage.
Dites-nous s'il devoit être fille ou garçon, Et si c'est d'un Amour, ou si c'est d'une Grace Que vous avez perdu l'étoffe et la façon,
A quelque autre poupon laissant libre la place?
Pour tous les fruits d'hymen qui sont sur le métier, Carrosses en relais sont méchante voiture. Votre poupon, au moins, devoit avoir quartier: Il étoit digne, hélas! de plus douce aventure.
Vous l'auriez achevé sans qu'il y manquât rien, De Graces et d'Amours étant bonne ouvrière. Dieu ne l'a pas voulu, peut-être pour un bien; Aux dépens de nos cœurs il eût vu la lumière.
Olympe, assurément vous auriez mis au jour Quelque sujet charmant et peut-être insensible. Votre sexe ou le nôtre en seroit mort d'amour: Mais nous ne gagnons rien; c'est un sort infaillible.
Ce miracle ébauché laisse ici frère et sœurs. Chez vous, mâle et femelle il en est une bande: Un seul étant perdu ne nous rend point nos cœurs; De ceux qui sont restés la part sera plus grande.
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Le noir démon des combats Va quitter cette contrée; Nous reverrons ici-bas Régner la déesse Astrée.
La paix, sœur du doux repos, Et que Jules va conclure, Fait déjà refleurir Vaux; Dont je tire un bon augure.
S'il tient ce qu'il a promis, Et qu'un heureux mariage Rende nos rois bons amis, Je ne plains pas son voyage.
Le plus grand de mes souhaits Est de voir, avant les roses, L'infante avecque la paix; Car ce sont deux belles choses.
O paix, infante des cieux, Toi que tout heur accompagne, Viens vite embellir ces lieux Avec l'infante d'Espagne.
Chasse des soldats gloutons La troupe fière et hagarde Qui mange tous mes moutons Et bat celui qui les garde. Délivre ce beau séjour De leur brutale furie, Et ne permets qu'à l'Amour D'entrer dans la bergerie.
Fait qu'avecque le berger On puisse voir la bergère Qui coure d'un pied léger, Qui danse sur la fougère,
Et qui, du berger tremblant Voyant le peu de courage, S'endorme ou fasse semblant De s'endormir à l'ombrage.
O paix! source de tout bien, Viens enrichir cette terre, Et fais qu'il n'y reste rien Des images de la guerre.
Accorde à nos longs désirs De plus douces destinées; Ramène-nous les plaisirs, Absents depuis tant d'années.
Étouffe tous ces travaux, Et leurs semences mortelles: Que les plus grands de nos maux Soient les rigueurs de nos belles;
Et que nous passions les jours Étendus sur l'herbe tendre, Prêts à conter nos amours A qui voudra les entendre.
POUR MADAME.-1661. Pendant le cours des malheurs Qu'enfante une longue guerre, L'Olympe ému de nos pleurs Voulut consoler la terre:
Il fit naître la beauté Qui tient Philippe arrêté, Beauté sur toutes insigne: D'un présent si précieux Si la terre étoit indigne, C'est un don digne des cieux.
Des trésors du firmament Cette princesse se pare, Et les dieux, en la formant, N'ont rien produit que de rare; Ils ont rendu ses appas L'ornement de nos climats, Et la gloire de notre âge. Le conseil des immortels Augmenta par cet ouvrage Les honneurs de ses autels.
Elle reçut la beauté De la reine de Cythère, De Junon la majesté, Des Graces le don de plaire; L'éclat fut pris du soleil, Et l'Aurore au teint vermeil Donna les lèvres de roses : Lorsque d'un mélange heureux Le ciel eut uni ces choses, Il en devint amoureux.
La Tamise sur ses bords Vit briller et disparoître Le riche amas des trésors
Qu'à peine elle avoit vus naître; Elle ent honte qu'un objet, De tant de vœux le sujet, Cherchât une autre demeure: Heureuse, si pour toujours Le ciel eût à la même heure Cessé d'éclairer son cours!
Les Anglois virent partir La princesse et tous ses charmes, Sans qu'elle pût consentir Qu'on la rendit à leurs larmes : Ces peuples, avant ce jour, Glorieux de son séjour, Se croyoient seuls dignes d'elle; Ils le croyoient vainement, Car la France est d'une belle Le véritable élément.
Bientôt, selon nos désirs, Nous en devinmes les hôtes; Une troupe de Zéphyrs L'accompagna dans nos côtes: C'est ainsi que vers Paphos On vit jadis sur les flots Voguer la fille de l'onde, Et les Amours et les Ris, Comme gens d'un autre monde, Etonnèrent les esprits.
Telle vint en ce séjour La merveille que je chante: Elle crût, et notre cour Reprit sa face riante. Autant que Mars florissoit, Amour alors languissoit,
Levant à peine les ailes; L'astre né chez les Anglois, A la honte de nos belles, Le rétablit dans ses droits.
Que de princes amoureux Ont brigué son hyménée! Elle a refusé leurs vœux; Pour Philippe elle étoit née : Pour lui seul elle a quitté Le Portugais indompté, Roi des terres inconnues, Le voisin du fier croissant, Et de nos Alpes chenues Le monarque florissant.
Philippe est un bien si doux, Que c'est le seul qui l'enflamme: Sous les cieux que voyons-nous Qui soit du prix de son ame? Les héritières des rois Ont souhaité mille fois D'en faire la destinée; C'est un plus glorieux sort Que de se voir couronnée Reine des sources de l'or.
Mais si son cœur est d'un prix Pour qui la terre est petite, L'objet dont il est épris N'est pas d'un moindre mérite; Si sa beauté le surprit, Des graces de son esprit
De jour en jour il s'enflamme; La princesse tient des cieux Du moins autant par son ame Que par l'éclat de ses yeux.
Ils sont joints ces jeunes cœurs Qui du ciel tirent leur race : Puissent-ils être vainqueurs Des ans par qui tout s'efface! Que de leurs desirs constants Dure à jamais le printemps Rempli de jours agréables! O couple aussi beau qu'heureux! Vous serez toujours aimables; Soyez toujours amoureux.
Que de vous naisse un héros Dont les palmes immortelles Ne donnent aucun repos Aux nations infidèles: Que le fruit de vos amours Egale aux herbes leurs tours, Mette leurs villes en cendre; Et puisse un jour l'univers Devoir un autre Alexandre Au Philippe de mes vers!
Au don que m'en a fait ton immense largesse, Par qui je vois le mal et peux lui résister.
Par toi je vaincrai des obstacles Dont d'autres rois sont arrêtés; Plus tard offerts que surmontés, Ils me seront jeux et spectacles. Par toi j'ai déjà des mutins,
Dont les cœurs étoient si hautains, Évité comme un cerf les dents pleines d'envie; Puis, retournant sur eux, frappé d'un bras d'airain Ceux qui, d'un œil cruel envisageant ma vie, Voyoient d'un œil jaloux mon pouvoir souverain.
Qu'ils soient jaloux, il ne m'importe: D'entre leurs piéges échappé, J'ai des rebelles dissipé
L'union peu juste et peu forte. Par mon bras vaincus et réduits, Un Dieu vengeur les a conduits
Aux châtiments gardés pour les têtes impies : Leurs desseins tôt conçus se sont tôt avortés; Et n'ont beaucoup duré leurs sacriléges vies Après les vains projets qu'ils avoient concertés.
Cette hydre aux têtes renaissantes, Prête à mourir de son poison,
A vers le ciel hors de raison Poussé des clameurs impuissantes;
Ni Bélial, ni ses suppòts,
N'ont su l'assurer du repos.
Aussi n'est-il de dieu que le Dieu que j'adore, Que le Dieu qui commande à l'une et l'autre gent, Depuis les peuples noirs, jusqu'à ceux que l'aurore Éveille les derniers par son cours diligent.
C'est lui qui par des soins propices Au combat enseigne mes mains, Qui pour mes pieds fait des chemins Sur le penchant des précipices; C'est lui qui comble avec honneur Mes jours de gloire et de bonheur,
Mon ame de vertus, mon esprit de lumières ; Il me dicte ses lois, me les fait observer:
Jusqu'aux derniers secrets de leurs beautés premières
Ses oracles divins ont daigné m'élever.
Dès qu'il m'aura prêté sa foudre, Les méchants pour lui sans respect S'écarteront à mon aspect, Comme au vent s'écarte la poudre. Pour fuir ils n'aurout qu'à me voir :
Déjà mon nom et mon pouvoir
Sont connus des voisins du Gange et de l'Euphrate; Israël, redouté de cent peuples divers,
Me craint et m'obéit; et, sans que l'on me flatte, On me peut appeler le chef de l'univers.
Rendons-en des graces publiques Au Dieu jaloux de son renom; Faisons en l'honneur de son nom Retentir l'air par nos cantiques : Que ses bienfaits soient étalés. Peuples voisins et reculés,
Jusqu'aux voûtes du ciel portez-en les nouvelles; Dites qu'il est un Dieu qui répond à mes vœux Et que, m'ayant comblé de graces immortelles, Il en réserve encor pour nos derniers neveux.
TRADUCTION PARAPHRASÉE DE LA PROSE Dies ira. 1694.
Dieu détruira le siècle au jour de sa fureur. Un vaste embrasement sera l'avant-coureur : Des suites du péché long et juste salaire, Le feu ravagera l'univers à son tour. Terre et cieux passeront; et ce temps de colère Pour la dernière fois fera naître le jour.
Cette dernière aurore éveillera les morts : L'ange rassemblera les débris de nos corps; Il les ira citer au fond de leur asile. Au bruit de la trompette, en tous lieux dispersé, Toute gent accourra. David et la Sibylle Ont prévu ce grand jour, et nous l'ont annoncé.
De quel frémissement nous nous verrons saisis! Qui se croira pour lors du nombre des choisis? Le registre des cœurs, une exacte balance, Paroîtront aux côtés d'un juge rigoureux. Les tombeaux s'ouvriront; et leur triste silence Aura bientôt fait place aux cris des malheureux.
La nature et la mort, pleines d'étonnement, Verront avec effroi sortir du monument Ceux dès son berceau le monde aura vus vivre. que Les morts de tous les temps demeureront surpris En lisant leurs secrets aux annales d'un livre Où même leurs pensers se trouveront écrits.
Tout sera révélé par ce livre fatal; Rien d'impuni. Le juge, assis au tribunal, Marquera sur son front sa volonté suprême. Qui prirai-je en ce jour d'être mon défenseur? Sera-ce quelque juste? Il craindra pour lui-même, Et cherchera l'appui de quelque intercesseur.
Roi, qui fais tout trembler devant ta majesté, Qui sauves les élus par ta seule bonté, Source d'actes bénins et remplis de clémence, Souviens-toi que pour moi tu descendis des cieux; Pour moi, te dépouillant de ton pouvoir immense, Comme un simple mortel tu parus nos yeux.
J'eus part à ton passage: en perdras-tu le fruit? Veux-tu me condamner à l'éternelle nuit, Moi, pour qui ta bonté fit cet effort insigne? Tu ne t'es reposé que las de me chercher; Tu n'as souffert la croix que pour me rendre digne D'un bonheur qui me puisse à toi-même attacher.
Tu pourrois aisément me perdre et te venger. Ne le fais point, Seigneur; viens plutôt soulager Le faix sous qui je sens que mon ame succombe. Assure mon salut dès ce monde incertain; Empêche malgré moi que mon cœur ne retombe, Et ne te force enfin de retirer ta main.
Avant le jour du compte efface entier le mien. L'illustre pécheresse, en présentant le sien, Se fit remettre tout par son amour extrême; Le larron te priant fut écouté de toi.
La prière et l'amour ont un charme suprême. Tu m'as fait espérer même grace pour moi.
Je rougis, il est vrai, de cet espoir flatteur; La honte de me voir infidèle et menteur, Ainsi que mon péché, se lit sur mon visage: J'insiste toutefois, et n'aurai point cessé Que ta bonté, mettant toute chose en usage, N'éclate en ma faveur, et ne m'ait exaucé.
Fais qu'on me place à droite, au nombre des brede Sépare-moi des boucs réprouvés et maudits. Tu vois mon cœur contrit et mon humble prière: Fais-moi persévérer dans ce juste remords: Je te laisse le soin de mon heure dernière; Ne m'abandonne pas quand j'irai chez les morts.
Heureux qui, se trouvant trop foible et trop tenté, Du monde enfin se débarrasse! Heureux qui, plein de charité,
Pour servir son prochain y conserve sa place! Différents dans leur vue, égaux en piété,
L'un espère tout de la grace,
L'autre appréhende tout de sa fragilité.
Ce monde, que Dieu même exclut de son partage, N'est pas le monde qu'il a fait.
C'est ce que l'homme impie ajoute à son ouvrage, Qui fait que son auteur le condamne et le hait. Observez seulement le peu qu'il vous ordonne,
Et, sans cesse le bénissant,
Usez de son présent, mais tel qu'il vous le donne, Et vous n'aurez rien fait qui ne soit innocent.
Crois-tu que le plaisir qu'en toute la nature Le premier être a répandu
Soit un piége qu'il a tendu
Pour surprendre la créature?
Non, non; tous ces biens que tu vois
Te viennent d'une main et trop bonne et trop sage; Et, s'il en est quelqu'un dont ses divines lois Ne te permettent pas l'usage, Examine-le bien, ce plaisir prétendu,
Dont l'appât tâche à te séduire, Et tu verras, ingrat, qu'il ne t'est défendu Que parce qu'il te pourroit nuire. Sans ses lois et l'heureux secours Qu'elles te fournissent sans cesse, Comment, avec tant de foiblesse, Pourrois-tu conserver et tes biens et tes jours? Exposé chaque instant à mille et mille injures, Rien ne rassureroit ton cœur épouvanté, Et ces justes décrets contre qui tu murmures, Font ta plus grande sûreté.
Voudrois-tu que la Providence Eût réglé l'univers au gré de tes souhaits, Et qu'en te comblant de bienfaits, Dieu t'eût encor soustrait à son obéissance? Quelle étrange société
Formeroit entre nous l'erreur et l'injustice, Si l'homme indépendant n'avoit que son caprice Pour conduire sa volonté !
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