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J'emportai votre fils, et vous laissai le mien;
Si bien que cet ingrat, dont la fureur impie
Par un coup détestable a fusillé ma vie,
Est mon fils; et le vôtre, élevé de ma main,
A qui j'ai façonné l'esprit, c'est le Destin.

MADAME BOUVILLON.

Le Destin est mon fils! mon cœur en pâme d'aise;
Il faut que tout mon soûl je le baise et rebaise.
LA BAGUENAUDIÈRE.

Mais qui sait si cet homme a dit la vérité?

L'OLIVE.

La nourrice, avec qui j'avois tout concerté,
Est encore en ces lieux; elle peut vous le dire.

MADAME BOUVILLON.

J'en crois ce que pour vous la nature m'inspire.

LE DESTIN,

Mais il faut vous panser: où vous a-t-on blessé ?
L'OLIVE.

Mon ami, j'ai le cœur d'outre en outre percé.

LA RANCUNE.

Je ne vois point de sang en nul endroit.

Il n'est point blessé.

L'OLIVE.

LA RANCUNE.

LE DESTIN.
Non?

LA RANCUNE.

N'importe.

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RAGOTIN.

Il est vrai, cher ami, sans toi ces happe-chair
M'alloient faire danser un entrechat en l'air;
Mais mon pied, emboité dans ce pot détestable,
Implore à l'en tirer ta pitié charitable.

O ciel à quel malheur m'avez-vous attaché!
Non, le diable m'emporte! Heureux de n'avoir pas pourtant été branché!

FIN DE RAGOTIN.

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Vous ne savez donc pas,

Qu'à peine il est sorti, qu'il revient sur ses pas ?
Occupé seulement de l'âpre jalousie,
Rien ne peut l'assurer; de tout il se défic.

TIMANTE.

Va, va, j'ai mes raisons pour paroître à ses yeux.
Mais, de grace, instruis-moi de ce que fait Hortense,
De tout ce qu'elle dit, de tout ce qu'elle pense.
Harpagême toujours poursuit-il ses projets?
La tient-il enfermée encor?

MARINETTE.

Plus que jamais. Pour la soustraire aux yeux de votre seigneurie, Il met tout en usage, artifice, industrie. Une chambre, où le jour n'entre que rarement, Est de la pauvre enfant l'unique appartement. Autour règne une épaisse et terrible muraille, De briques composée, et de pierres de taille. Un labyrinthe obscur, pénible à traverser, Offre, avant que d'entrer, sept portes à passer: Chaque porte, outre un nombre infini de ferrures, Sous différents ressorts a quatre ou cinq serrures, Huit ou dix cadenas, et quinze ou vingt verrous. Voilà le plan du fort où ce bourru jaloux

S'il faut, en revenant, qu'il vous trouve en ces lieux... Enferme avec grand soin la malheureuse Hortense.

Encor ne la croit-il pas trop en assurance.
Pour mettre sa personne à l'abri du danger,
Seul il la voit, l'habille, et lui sert à manger;
Seul il passe en tout temps la journée avec elle,
A la voir tricoter, ou blanchir sa dentelle.
Parfois, pour lui fournir des passe-temps plus doux,
Il lui lit les devoirs de l'épouse à l'époux;
Ou bien, pour l'égayer, prenant une guitare,
Il lui racle à l'oreille un air vieux et bizarre.

La nuit, pour empêcher qu'on ne le trompe en rien,
Une cloison sépare et son lit et le sien.

Le bruit d'une araignée alors qu'elle tricote,
Une mouche qui vole, une souris qui trotte,
Sont éléphants pour lui, qui l'alarment. Soudain
Du haut jusques en bas, un pistolet en main,
Ayant par ses clameurs éveillé tout le monde,
Il court, il cherche, il rôde, il fait partout la ronde.
Non, le diable, ennemi de tous les gens de bien;
Le diable bien nommé diable, et qui ne vaut rien,
Est moins jaloux, moins fou, moins méchant, moins
[bizarre,
Moins envieux, moins loup, moins vilain, moins avare,
Moins scélérat, moins chien, moins traître, moins lutin,
Que n'est, pour nos péchés, ce maudit Florentin.

TIMANTE.

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Le malheureux! l'on sait comment il traite Hortense: Barthélemi, Christophe, Ignace, Ambroise, à moi!
Par mes soins la justice en a pris connoissance.
Je puis par un arrêt tromper sa passion;

Mais je crains de le mettre en exécution.

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SCÈNE III.

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Il fait bien; car cette mienne épée
Dans son infâme sang alloit être trempée;
Mais de le voir ici me voilà tout outré.
Comment est-il venu? comment est-il entré?
MARINETTE.

J'étois là-bas au frais quand je l'ai vu paroître :
Je suis soudain rentrée, il m'a suivie en traître,
Me disant qu'il vouloit m'enrichir pour toujours;
Que je prisse le soin de servir ses amours;
Et, faisant succéder les effets aux paroles,
Il m'a voulu couler dans la main cent pistoles.
Mais j'aurois moins souffert s'il avoit mis dedans,
Ou des cailloux glacés, ou des charbons ardents.
Je crève quand je pense aux offres insolentes...
HARPAGÊME, à Agathe.

Ah, ma mère, voilà la perle des servantes!
(à Marinette.)
(à Agathe.)
Embrasse-moi, ma fille... Auriez-vous cru cela?
Hé bien! avec ces soins, ma mère, et ces clefs-là,
La garde d'une femme est-elle si terrible,
Et croyez-vous encor cette chose impossible?

AGATHE.

Mon fils, bouleverser l'ordre des éléments,
Sur les flots irrités voguer contre les vents,
Fixer selon ses vœux la volage fortune,
Arrêter le soleil, aller prendre la lune;
Tout cela se feroit beaucoup plus aisément
Que soustraire une femme aux yeux de son amant,
Dussiez-vous la garder avec un soin extrême,
Quand elle ne veut pas se garder elle-même.
HARPAGÊME.

Il n'est pas question d'aller contre les vents,
Ni de bouleverser l'ordre des éléments,

Mais de garder Hortense; et j'ai, pour y suffire,
De bons murs, des verrous, et des yeux: c'est tout dire.

AGATHE.

Abus. Lorsque l'amour s'empare de deux cœurs,
Pour rompre leur commerce et vaincre leurs ardeurs,
Employez les secrets de l'art, de la nature,
Faites faire une tour d'une épaisse structure,
Rondez ses fondements voisins des sombres lieux,
Élevez son sommet jusqu'aux voûtes des cieux,
Enfermez l'un des deux dans le plus haut étage,
Qu'à l'autre le plus bas devienne le partage,
Dans l'espace entre deux, par différents détours,
Disposez plus d'Argus qu'un siècle n'a de jours,
Empruntez des ressorts les plus cachés obstacles;
Plus grands sont les revers, plus grands sont les mira-
L'un pour descendre en bas osera tout tenter, [cles;
L'autre aiguillonnera ses esprits pour monter.
Sans s'être concertés pour une fin semblable,
Tons deux travailleront d'un concert admirable.
A leurs chants séducteurs Argus s'endormira;
Des verrous, par leurs soins, le ressort se rompra;
De moment en moment enjambant l'intervalle,
Enfin ils feront tant, qu'au milieu du dédale
Imperceptiblement ensemble ils se rendront,
Et malgré vos efforts, mon fils, ils se joindront:
C'est un coup sûr. Mon âge et mon expérience
Vous peuvent sur ce point garantir ma science.
Je sais ce qu'en vaut l'aune, et j'ai passé par là.
Votre père vouloit me contraindre à cela;
Mais,s'il n'eût mis un frein à cette ardeur trop prompte,
Il se seroit trompé sûrement dans son compte,
Mon fils...

HARPAGÊME.

Oh! mieux que lui j'ai calculé le mien. Je ne suis point si sot... Suffit... Je ne dis rien... Mais ouvrons le poulet du damoiseau Timante; Apprenons ses desseins, et voyons ce qu'il chante.

(Il lit.)

«Pour punir votre jaloux, je me suis rendu maitre de la « maison qui est voisine de la vôtre, où j'ai trouvé les moyens « de me faire un passage sous terre, qui me conduira jusqu'à « votre chambre. J'espère que la nuit ne se passera pas sans « que vous m'y voyiez. Je vous en avertis, afin que votre surprise ne vous fasse rien faire qui soit entendu de votre << bourru. Le même passage vous servira pour vous faire « sortir d'esclavage, et vous mettre au pouvoir de la per« sonne qui vous aime le plus. << TIMANTE.>>

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Il verra, s'il y vient, un plat de mon métier;
Et je sors pour cela de chez le serrurier.

Ma foi, monsieur Timante, on vous la garde bonue!
Oui, pour joindre en repos Hortense à ma personne,
J'ai besoin de sa mort. A tout examiner,
Le moyen le plus sûr est de l'assassiner.
J'ai donc fait, pour cela, construire une machine :
Je la ferai poser dans la chambre voisine.
Notre amoureux transi cette nuit s'y rendra;
Mais, au lieu d'y trouver Hortense, il s'y prendra.
Alors tout à mon aise, ayant en main ma dague,
Je vous la plongerai dans son sein, zague, zague,
Et le tûrai, ma mère, avec plaisir, Dieu sait!
Ensuite on le mettra dans ma cave: HIC JACET.

AGATHE.

Quoi! de tuer un homme auriez-vous conscience? Loin que votre dessein vous fasse aimer d'Hortense, Ce coup augmentera sa haine, il est certain.

HARPAGÊME.

Bon, bon ! morte est la bête, et mort est le venin. Depuis que dans ces lieux Hortense est enfermée,

Qu'à ne plus voir Timante elle est accoutumée,
Elle est déjà soumise à vouloir m'épouser.
Pour l'y fortifier, j'ai su la disposer
A voir un sien cousin, magistrat, homme sage,
Qu'elle connoît de nom, et non pas de visage:
Elle sait seulement qu'il est en grand crédit.
Étant de ses parents, et de sublime esprit,
Elle ne craindra point d'ouvrir à sa prudence
Les secrets de son cœur, et tout ce qu'elle pense;
Et comme ce grand homme est de nies bons amis,
Afin de m'obliger, ma mère, il m'a promis
Que selon mes désirs il tournera son ame.

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Gardez-vous d'accomplir ce dessein dangereux.
Afin qu'en son ménage un homme soit heureux,
Bannissant de chez lui toute la défiance,
Loin de vouloir savoir ce que sa femme pense,
Il doit fuir avec soin, comme on fuit un forfait,
L'occasion d'apprendre ou voir ce qu'elle fait.
HARPAGÉME.

Chansons! Rien ne me peut détourner de la chose.
Afin d'exécuter ce que je me propose,
Faisons venir Hortense en cet appartement.

(Il sort, et l'on entend plusieurs portes s'ouvrir.)
SCENE IV.

AGATHE, MARINETTE.

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Hé! que pourra-t-il faire? Hélas! plus que le mien,
Son intérêt me porte à ce triste lien.

Il m'aime, et m'aimera, tant qu'il verra mon ame
Libre, et dans un état de répondre à sa flamme.
Harpagême le hait, sa vie est en danger.
Peut-être quand l'hymen aura su m'engager,
Qu'étouffant un amour que l'espoir a fait naître,
Il n'y songera plus ; je l'oublirai peut-être :
J'y ferai mes efforts, du moins. Pour commencer
D'ôter de mon esprit Timante et l'en chasser,
Au cousin que j'attends je vais ouvrir mon ame,
Implorer ses conseils pour éteindre ma flamme;
Et, si je ne profite enfin de sa leçon,

Je parlerai du moins de ce pauvre garçon.

MARINETTE.

D'accord; mais ce cousin n'est autre qu'Harpagême, Je vous en avertis.

HORTENSE.

Que dis-tu? Lui?

MARINETTE.

Lui-même.

Poussé par un esprit curieux et jaloux,
Sachant que ce cousin n'est point connu de vous,
Sous un déguisement et de voix et de mine,
Vous donnant des conseils de cousin à cousine,
Il prétend vous tirer de vos égarements.
Et, par même moyen, savoir vos sentiments.
Pour punir ce bourru, c'est à vous de vous taire,
Et de dissimuler le commerce...

HORTENSE.

Au contraire:

Pour punir dignement sa curiosité,
Je lui vais de bon cœur dire la vérité.
Puisqu'il ose en venir à cette extravagance,
Je vais lui découvrir, sans nulle répugnance,
Tout ce que sent mon cœur, et réduire le sien
A fuir de mon hymen le dangereux lien.

Bien mieux qu'il ne souhaite il s'en va me connoître:

HORTENSE.

Oui, monsieur.

HARPAGÊME.

(à Marinette.) (à Hortense.) Des sièges... Seyez-vous.

(à Marinette.)

Regardez-moi... Fermez ce faux jour. Laissez-nous. (Elle sort.)

SCÈNE IX.

HARPAGÊME, HORTENSE.

HARPAGÊME.

Ma cousine, en ces lieux, de la part d'Harpagême,
Je viens pour vous porter à l'hymen. Il vous aime.
Dès vos plus jeunes ans on vous marqua ce choix :
Votre père en mourant vous en dicta les lois;
Mais vous, d'une amour folle étant préoccupée,
Vous rendez du défunt la volonté trompée;
Et le pauvre Harpagême, au lieu d'affection,
N'a vù que haine en vous, et que rébellion.

HORTENSE.

Il est vrai, son humeur a rebuté la mienne :
Mais, monsieur, ce n'est pas ma faute; c'est la sienne.
HARPAGÊME.
Comment?

HORTENSE.

Nous demeurions à huit milles d'ici. Je n'aurois jamais vu que lui seul d'homme : ainsi, Quoiqu'il me parût froid, noir, bizarre, et farouche, Je me comptois toujours compagne de sa couche: Sans amour, il est vrai; toutefois sans ennui, Présumant que tout homme étoit fait comme lui; Mais, loin de me tenir dans cet erreur extrême, A me désabuser il travailla lui-même; Et j'appris par ses soins, avec quelque pitié, Qu'il étoit des mortels le plus disgracié.

HARPAGÈME.

Quoi! lui-même ? Comment?

HORTENSE.

Vous le savez, mon père

De son pouvoir sur moi le fit dépositaire,
Et mourut. Peu de temps après la mort du sien,

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