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Est proprement un fort joli poisson.
Or sus, j'en tiens; ce m'est une leçou.
Quiconque veut le reste du quart d'heure
N'a qu'à parler; j'en ferai juste prix.
Aldobrandin rit si fort qu'il en pleure.
Ces jeunes gens, dit-il, en leurs esprits
Mettent toujours quelque haute entreprise.
Notre féal, vous lâchez trop tôt prise;
Avec le temps on en viendroit à bout.
J'y tiendrai l'œil; car ce n'est pas là tout;
Nous y savons encor quelque rubrique :
Et cependant, monsieur le Magnifique,
La haquenée est nettement à nous:
Plus ne fera de dépense chez vous.
Dès aujourd'hui, qu'il ne vous en déplaise,
Vous me verrez dessus fort à mon aise
Dans le chemin de ma maison des champs.

Il n'y manqua sur le soir; et nos gens
Au rendez-vous tout aussi peu manquèrent.
Dire comment les choses s'y passèrent,
C'est un détail trop long; lecteur prudent,
Je m'en remets à ton bon jugement:
La dame étoit jeune, fringante et belle,
L'amant bien fait, et tous deux fort épris.
Trois rendez-vous coup sur coup furent pris:
Moins n'en valoit si gentille femelle.
Aucun péril, nul mauvais accident,
Bons dormitifs en or comme en argent
Aux douagnas, et bonne sentinelle.
Un pavillon vers le bout du jardin
Vint à propos: messire Aldobrandin
Ne l'avoit fait bâtir pour cet usage.
Conclusion, qu'il prit en cocuage
Tous ses degrés : un seul ne lui manqua,
Tant sut jouer son jeu la haquenée!
Content ne fut d'une seule journée
Pour l'éprouver; aux champs il demeura
Trois jours entiers, sans doute ni scrupule.
J'en connois bien qui ne sont si chanceux;
Car ils ont femme, et n'ont cheval ni mule,
Sachant de plus tout ce qu'on fait chez eux.

XVII. LE TABLEAU.

On m'engage à conter d'une manière honnête
Le sujet d'un de ces tableaux

Sur lesquels on met des rideaux;
Il me faut tirer de ma tête

Nombre de traits nouveaux, piquants et délicats,
Qui disent et ne disent pas,

Et qui soient entendus sans notes
Des Agnès même les plus sottes.

Ce n'est pas coucher gros; ces extrêmes Agnès
Sont oiseaux qu'on ne vit jamais.
Toute matrone sage, à ce que dit Catulle,
Regarde volontiers le gigantesque don
Fait au fruit de Vénus par la main de Junon:
A ce plaisant objet si quelqu'une recule,

Cette quelqu'une dissimule.

Ce principe posé, pourquoi plus de scrupule,
Pourquoi moins de licence aux oreilles qu'aux yeux?
Puisqu'on le veut ainsi, je ferai de mon mieux :
Nuls traits à découvert n'auront ici de place;
Tout y sera voilé, mais de gaze, et si bien
Que je crois qu'on n'en perdra rien.

Qui pense finement et s'exprime avec grace
Fait tout passer : car tout passe;
Je l'ai cent fois éprouvé:

Quand le mot est bien trouvé,

Le sexe, en sa faveur, à la chose pardonne :
Ce n'est plus elle alors, c'est elle encor pourtant;
Vous ne faites rougir personne,

Et tout le monde vous entend.

J'ai besoin aujourd'hui de cet art important.
Pourquoi? me dira-t-on, puisque sur ces merveilles
Le sexe porte l'œil sans toutes ces façons.
Je réponds à cela : Chastes sont ses oreilles,
Encor que les yeux soient fripons.

Je veux, quoi qu'il en soit, expliquer à des belles
Cette chaise rompue, et ce rustre tombé.
Muses, venez m'aider; mais vous êtes pucelles,
Au joli jeu d'amour ne sachant A ni B.
Muses, ne bougez donc; seulement par bonté
Dites au dieu des vers que dans mon entreprise
Il est bon qu'il me favorise,
Et de mes mots fasse le choix
Ou je dirai quelque sottise
Qui me fera donner du busque sur les doigts.
C'est assez raisonner; venons à la peinture:
Elle contient une aventure
Arrivée aux pays d'Amours.

Jadis la ville de Cythere
Avoit en l'un de ses faubourgs
Un monastère;

Vénus en fit un séminaire :

Il étoit de nonnains, et je puis dire ainsi
Qu'il étoit de galants aussi.

En ce lieu hantoient d'ordinaire
Gens de cour, gens de ville, et sacrificateurs,
Et docteurs,

Et bacheliers surtout. Un de ce dernier ordre
Passoit dans la maison pour être des amis.
Propre, toujours rasé, bien disant, et beau fils,
Sur son chapeau luisant, sur son rabat bien mis,
La médisance n'eût su mordre.
Ce qu'il avoit de plus charmant,
C'est que deux des nonnains alternativement
En tiroient maint et maint service.
L'une n'avoit quitté les atours de novice
Que depuis quelques mois; l'autre encor les portoit.
La moins jeune à peine comptoit
Un an entier par-dessus seize :
Age propre à soutenir thèse,
Thèse d'amour : le bachelier
Leur avoit rendu familier
Chaque point de cette science,
Et le tout par expérience.

Une assignation pleine d'impatience
Fut un jour par les sœurs donnée à cet amant;
Et, pour rendre complet le divertissement,
Bacchus avec Cérès, de qui la compagnie

Met Vénus en train bien souvent,
Devoient être, ce coup, de la cérémonie.
Propreté toucha seule aux apprêts du régal;
Elle sut s'en tirer avec beaucoup de grace:
Tout

passa par ses mains, et le vin, et la glace,
Et les carafes de cristal;
On s'y seroit miré. Flore à l'haleine d'ambre
Sema de fleurs toute la chambre:

Elle en fit un jardin. Sur le linge, ces fleurs
Formoient des lacs d'amour, et le chiffre des sœurs.
Leurs cloitrières excellences

Aimoient fort ces magnificences:
C'est un plaisir de nonne. Au reste, leur beauté
Aiguisoit l'appétit aussi de son côté.

Mille secrètes circonstances,
De leurs corps polis et charmants
Augmentoient l'ardeur des amants.
Leur taille étoit presque semblable;
Blancheur, délicatesse, embonpoint raisonnable,
Fermeté; tout charmoit, tout étoit fait au tour;
En mille endroits nichoit l'Amour.

Sous une guimpe, un voile, et sous un scapulaire,
Sous ceci, sous cela que voit peu l'œil du jour,
Si celui du galant ne l'appelle au mystère.

A ces sœurs l'enfant de Cythere
Mille fois le jour s'en venoit
Les bras ouverts, et les prenoit
L'une après l'autre pour sa mère.

Tel ce couple attendoit le bachelier trop lent;
Et de lui, tout en l'attendant,

Elles disoient du mal, puis du bien; puis les belles
Imputoient son retardement

A quelques amitiés nouvelles.

Qui peut le retenir? disoit l'une; est-ce amour?
Est-ce affaire? est-ce maladie?

Qu'il y revienne de sa vie!

Disoit l'autre ; il aura son tour.

Tandis qu'elles cherchoient là-dessous du mystère, Passe un Mazet portant à la dépositaire

Certain fardeau peu nécessaire :

Ce n'étoit qu'un prétexte ; et, selon qu'on m'a dit,
Cette dépositaire, ayant grand appétit,
Faisoit sa portion des talents de ce rustre,
Tenu, dans tels repas, pour un traiteur illustre.
Le coquin, lourd d'ailleurs, et de très court esprit,
A la ceilule se méprit :

Il alla chez les attendantes
Frapper avec ses mains pesantes.

On ouvre; on est surpris. On le maudit d'abord,

Puis on voit que c'est un trésor.
Les nonnains s'éclatent de rire.
Toutes deux commencent à dire,
Comme si toutes deux s'étoient donné le mot:
Servons-nous de ce maître sot;

Il vaut bien l'autre; que t'en semble?
La professe ajouta : C'est tres bien avisé.
Qu'attendions-nous ici? Qu'il nous fût débité [semble.
De beaux discours? Non, non, ni rien qui leur res-
Ce pitaud doit valoir, pour le point souhaité,
Bachelier et docteur ensemble.

Elle en jugeoit très bien : la taille du garçon,

Sa simplicité, sa façon,

Et le peu d'intérêt qu'en tout il sembloit prendre,

Faisoient de lui beaucoup attendre.

C'étoit l'homme d'Ésope; il ne songeoit à rien;
Mais il buvoit et mangeoit bien;
Et, si Xanthus l'eût laissé faire,

Il auroit poussé loin l'affaire.
Ainsi, bientôt apprivoisé,

Il se trouva tout disposé

Pour exécuter sans remise

Les ordres des nonnains, les servant à leur guise Dans son office de Mazet,

Dont il lui fut donné par les sœurs un brevet.

Ici la peinture commence :
Nous voilà parvenus au point.
Dieu des vers, ne me quitte point.

J'ai recours à ton assistance.
Dis-moi pourquoi ce rustre assis,

Sans peine de sa part, et très fort à son aise,
Laisse le soin de tout aux amoureux soucis

De sœur Claude et de sœur Thérèse.
N'auroit-il pas mieux fait de leur donner la chaise?
Il me semble déjà que je vois Apollon

Qui me dit: Tout beau! ces matières
A fond ne s'examinent guères.

J'entends; et l'Amour est un étrange garçon;
J'ai tort d'ériger un fripon

En maître de cérémonies.
Dès qu'il entre en une maison,
Règles et lois en sont bannies;

Sa fantaisie est sa raison.

Le voilà qui rompt tout; c'est assez sa coutume :
Ses jeux sont violents. A terre on vit bientôt
Le galant cathédral. Ou soit par le défaut
De la chaise un peu foible, ou soit que du pitaut
Le corps ne fût pas fait de plume,
Ou soit que sœur Thérèse eût chargé d'action
Son discours véhément et plein d'émotion,
On entendit craquer l'amoureuse tribune:
Le rustre tombe à terre en cette occasion.
Ce premier point eut par fortune
Malheureuse conclusion.

Censeurs, n'approchez point d'ici votre œil profane.
Vous, gens de bien, voyez comme sœur Claude mit
Un tel incident à profit.

Thérèse en ce malheur perdit la tramontane :
Claude la débusqua, s'emparant du timon.
Thérèse, pire qu'un démon,

Tâche à la retirer, et se remettre au trône;
Mais celle-ci n'est pas personne
A céder un poste si doux.

Sœur Claude, prenez garde à vous;
Thérèse en veut venir aux coups;

Elle a le poing levé. Qu'elle ait ! C'est bien répondre;
Quiconque est occupé comme vous, ne sent rien.
Je ne m'étonne pas que vous sachiez confondre
Un petit mal dans un grand bien.
Malgré la colère marquée

Sur le front de la débusquée,
Claude suit son chemin, le rustre aussi le sien :
Thérèse est mal contente, et gronde.

Les plaisirs de Vénus sont sources de débats;
Leur fureur n'a point de seconde :
J'en prends à témoins les combats
Qu'on vit sur la terre et sur l'onde,
Lorsque Pâris à Ménélas

Ota la merveille du monde.

Quoique Bellone ait part ici,

J'y vois peu de corps de cuirasse:

Dame Vénus se couvre ainsi

Quand elle entre en champ clos avec le dieu de Thrace;
Cette armure a beaucoup de grace.

Belles, vous m'entendez; je n'en dirai pas plus:
L'habit de guerre de Vénus

Est plein de choses admirables:
Les cyclopes aux membres nus

Forgent peu de harnois qui lui soient comparables;
Celui du preux Achille auroit été plus beau,

Si Vulcan eût dessus gravé notre tableau.

Or ai-je des nonnains mis en vers l'aventure, Mais non avec des traits dignes de l'action; Et comme celle-ci déchoit dans la peinture, La peinture déchoit dans ma description.

Les mots et les couleurs ne sont choses pareilles; Ni les yeux ne sont les oreilles.

J'ai laissé long-temps au filet
Sœur Thérèse la détrônée:

Elle eut son tour; notre Mazet
Partagea si bien sa journée

Que chacun fut content. L'histoire finit là :

Du festin pas un mot. Je veux croire, et pour cause,

Que l'on but et que l'on mangea;

Ce fut l'intermède et la pause.

Enfin tout alla bien, hormis qu'en bonne foi
L'heure du rendez-vous m'embarrasse. Et pourquoi?
Si l'amant ne vint pas, sœur Claude et sœur Thérèse
Eurent à tout le moins de quoi se consoler:

S'il vint, on sut cacher le lourdaud et la chaise;
L'amant trouva bientôt encore à qui parler.

FIN DU LIVRE QUATRIÈME.

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I. LA CLOCHETTE.

Oh! combien l'homme est inconstant, divers,
Foible, léger, tenant mal sa parole!
J'avois juré, même en assez beaux vers,
De renoncer à tout conte frivole:

Et quand juré? c'est ce qui me confond;
Depuis deux jours j'ai fait cette promesse.
Puis fiez-vous à rimeur qui répond
D'un seul moment. Dieu ne fit la sagesse
Pour les cerveaux qui hantent les neuf Sœurs:
Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire,
Quelque jargon plein d'assez de douceurs;
Mais d'être sûrs, ce n'est là leur affaire.

Si me faut-il trouver, n'en fût-il point,
Tempérament pour accorder ce point;
Et, supposé que quant à la matière
J'eusse failli, du moins pourrois-je pas
Le réparer par la forme, en tout cas?
Voyons ceci. Vous saurez que naguère
Dans la Touraine un jeune bachelier...
(Interpretez ce mot à votre guise:
L'usage en fut autrefois familier
Pour dire ceux qui n'ont la barbe grise;
Ores ce sont suppôts de sainte église.)
Le nôtre soit sans plus un jouvenceau
Qui dans les prés, sur le bord d'un ruisseau,..
Vous cajoloit la jeune bachelette

Aux blanches dents, aux pieds nus, au corps gent,
Pendant qu'lo portant une clochette
Aux environs alloit l'herbe mangeant.
Notre galant vous lorgne une fillette
De celles-là que je viens d'exprimer.
Le malheur fut qu'elle étoit trop jeunette,
Et d'âge encor incapable d'aimer.

Non qu'à treize ans on y soit inhabile;
Même les lois ont avancé ce temps:
Les lois songeoient aux personnes de ville,
Bien que l'amour semble né pour les champs.
Le bachelier déploya sa science.
Ce fut en vain : le peu d'expérience,
L'humeur farouche, ou bien l'aversion,
Ou tous les trois, firent que la bergère,
Pour qui l'amour étoit langue étrangère,
Répondit mal à tant de passion.
Que fit l'amant? Croyant tout artifice
Libre en amours, sur le cói de la nuit
Le compagnon détourne une génisse
De ce bétail par la fille conduit.
Le demeurant non compté par la belle
(Jeunesse n'a les soins qui sont requis)
Prit aussitôt le chemin du logis.

Sa mère, étant moins oublieuse qu'elle,
Vit qu'il manquoit une pièce au troupeau.
Dieu sait la vie! elle tance Isabeau;
Vous la renvoie; et la jeune pucelle
S'en va pleurant, et demande aux échos
Si pas un d'eux ne sait nulle nouvelle
De celle-là dont le drôle à propos
Avoit d'abord étoupé la clochette:
Puis il la prit; puis, la faisant sonner,
Il se fit suivre; et tant, que la fillette
Au fond d'un bois se laissa détourner.
Jugez, lecteur, quelle fut sa surprise
Quand elle ouït la voix de son amant.
Belle, dit-il, toute chose est permise
Pour se tirer de l'amoureux tourment.
A ce discours la fille tout en transe
Remplit de cris ces lieux peu fréquentés.
Nul n'accourut. O belles! évitez
Le fond des bois et leur vaste silence.

II. LE FLEUVE SCAMANDRE.

Me voilà prêt à conter de plus belle;
Amour le veut, et rit de mon serment:
Hommes et dieux, tout est sous sa tutelle,
Tout obéit, tout cède à cet enfant.
J'ai désormais besoin, en le chantant,
De traits moins forts et déguisant la chose;
Car, après tout, je ne veux être cause
D'aucun abus; que plutôt mes écrits
Manquent de sel, et ne soient d'aucun prix.
Si dans ces vers j'introduis et je chante
Certain trompeur et certaine innocente,
C'est dans la vue et dans l'intention
Qu'on se méfie en telle occasion.
J'ouvre l'esprit, et rends le sexe habile
A se garder de ces piéges divers.
Sotte ignorance en fait trébucher mille,
Contre une seule à qui nuiroient mes vers.

J'ai lu qu'un orateur estimé dans la Grèce,
Des beaux arts autrefois souveraine maîtresse,
Banni de son pays, voulut voir le séjour
Où subsistoient encor les ruines de Troie ;
Cimon, son camarade, eut sa part de la joie.
Du débris d'Ilion s'étoit construit un bourg
Noble par ses malheurs : là Priam et sa cour
N'étoient plus que des noms dont le temps fait sa
Ilion, ton nom seul a des charmes pour moi; [proie.
Lieu fécond en sujets propres à notre emploi,
Ne verrai-je jamais rien de toi, ni la place
De ces murs élevés et détruits par des dieux,
Ni ces champs où couroient la Fureur et l'Audace,
Ni des temps fabuleux enfin la moindre trace
Qui pût me présenter l'image de ces lieux?

Pour revenir au fait, et ne point trop m'étendre,
Cimon, le héros de ces vers,

Se promenoit près du Scamandre.
Une jeune ingénue en ce lieu se vient rendre,
Et goûter la fraicheur sur ces bords toujours verts.
Son voile au gré des vents va flottant dans les airs;
Sa parure est sans art; elle a l'air de bergère,
Une beauté naïve, une taille légère.
Cimon en est surpris, et croit que sur ces bords
Vénus vient étaler ses plus rares trésors.
Un antre étoit auprès : l'innocente pucelle
Sans soupçon y descend, aussi simple que belle.
Le chaud, la solitude, et quelque dieu malin,
L'invitèrent d'abord à prendre un demi-bain.
Notre banni se cache; il contemple, il admire;
Il ne sait quels charmes élire;

Il dévore des yeux et du cœur cent beautés.
Comme on étoit rempli de ces divinités
Que la fable a dans son empire,

Il songe à profiter de l'erreur de ces temps;
Prend l'air d'un dieu des eaux, raouille ses vêtements.
Se couronne de joncs et d'herbe dégouttante,
Puis invoque Mercure et le dieu des amants.
Contre tant de trompeurs qu'eût fait une innocente?
La belle enfin découvre un pied dont la blancheur
Auroit fait honte à Galatée;

Puis le plonge en l'onde argentée,
Et regarde ses lis, non sans quelque putleur.
Pendant qu'à cet objet sa vue est arrêtée,
Cimon approche d'elle; elle court se cacher

Dans le plus profond du rocher.

Je suis, dit-il, le dieu qui commande à cette onde;
Soyez-en la déesse, et régnez avec moi :

Peu de fleuves pourroient dans leur grotte profonde
Partager avec vous un aussi digne emploi.
Mon cristal est très pur; mon cœur l'est davantage :
Je couvrirai pour vous de fleurs tout ce rivage:
Trop heureux si vos pas le daignent honorer,
Et qu'au fond de mes eaux vous daigniez vous mirer!
Je rendrai toutes vos compagnes

Nymphes aussi, soit aux montagnes,
Soit aux eaux, soit aux bois; car j'étends mon pouvoir.
Sur tout ce que votre œil à la ronde peut voir.
L'éloquence du dieu, la peur de lui déplaire,
Malgré quelque pudeur qui gâtoit le mystère,
Conclurent tout en peu de temps.

La superstition cause mille accidents.
On dit même qu'Amour intervint à l'affaire.
Tout fier de ce succès, le banni dit adieu.
Revenez, dit-il, en ce lieu;

Vous garderez que l'on ne sache
Un hymen qu'il faut que je cache:
Nous le déclarerons quand j'en aurai parlé
Au conseil qui sera dans l'Olympe assemblé.

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Tous, pour la voir passer, sous l'orme se vont rendre.
La belle aperçoit l'homme, et crie en ce moment:
Ah! voilà le fleuve Scamandre!

On s'étonne, on la presse; elle dit bonnement
Que son hymen se va conclure au firmament.
On en rit; car que faire? Aucuns, à coups de pierre
Poursuivirent le dieu, qui s'enfuit à grand'erre;
D'autres rirent sans plus. Je crois qu'en ce temps-ci
L'on feroit au Scamandre un très méchant parti.
En ce temps-là semblables crimes
S'excusoient aisément : tous temps, toutes maximes.
L'épouse du Scamandre en fut quitte à la fin
Pour quelques traits de raillerie :
Même un de ses amants l'en trouva plus jolie.
C'est un goût: il s'offrit à lui donner la main.
Les dieux ne gâtent rien puis, quand ils seroient
Qu'une fille en valût un peu moins; dotez-la, [cause
Vous trouverez qui la prendra :
L'argent répare toute chose.

III. LA CONFIDENTE SANS LE SAVOIR
OU LE STRATAGÈME.

Je ne connois rhéteur ni maître ès arts
Tel
que l'Amour; il excelle en bien dire :
Ses arguments, ce sont de doux regards,
De tendres pleurs, un gracieux sourire.
La guerre aussi s'exerce en son empire:
Tantôt il met aux champs ses étendards;
Tantôt, couvrant sa marche et ses finesses,
Il prend des cœurs entourés de remparts.
Je le soutiens: posez deux forteresses;
Qu'il en batte une, une autre le dieu Mars;

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