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Est lui seul l'honneur du printemps.
Junon répondit en colère :
Oiseau jaloux, et qui devrois te taire,
Est-ce à toi d'envier la voix du rossignol,
Toi que l'on voit porter à l'entour de ton col
Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies;

Qui te panades, qui déploies

Une si riche queue, et qui semble à nos yeux
La boutique d'un lapidaire?

Est-il quelque oiseau sous les cieux
Plus que toi capable de plaire?
Tout animal n'a pas toutes propriétés.
Nous vous avons donné diverses qualités:

Les uns ont la grandeur et la force en partage;
Le faucon est léger, l'aigle plein de courage;
Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir:

Tous sont contents de leur ramage. Cesse donc de te plaindre; ou bien, pour te punir, Je t'ôterai ton plumage.

་་་་་་་་་་་

FABLE XVIII.

LA CHATTE MÉTAMORPHOSÉE EN FEMME.

Un homme chérissoit éperdument sa chatte;
Il la trouvoit mignonne, et belle, et délicate,
Qui miauloit d'un ton fort doux :
Il étoit plus fou que les fous.
Cet homme done, par prières, par larmes,
Par sortiléges et par charmes,
Fait tant qu'il obtient du destin
Que sa chatte, en un beau matin,
Devient femme; et, le matin même,
Maître sot en fait sa moitié.
Le voilà fou d'amour extrême,
De fou qu'il étoit d'amitié.
Jamais la dame la plus belle
Ne charma tant son favori
Que fait cette épouse nonvelle
Son hypocondre de mari.

Il l'amadoue; elle le flatte:

Il n'y trouve plus rien de chatte;

Et, poussant l'erreur jusqu'au bout,
La croit femme en tout et partout;

Lorsque quelques souris qui rongeoient de la natte
Troublèrent le plaisir des nouveaux mariés.

Aussitôt la femme est sur pieds.
Elle manqua son aventure.

Souris de revenir, femme d'être en posture :
Pour cette fois elle accourut à point;

Car, ayant changé de figure,
Les souris ne la craignoient point.
Ce lui fut toujours une amorce,
Tant le naturel a de force.

Il se moque de tout : certain âge accompli,
Le vase est imbibé, l'étoffe a pris son pli.
En vain de son train ordinaire
On le veut désaccoutumer :
Quelque chose qu'on puisse faire,
On ne sauroit le réformer.
Coups de fourche ni d'étrivières
Ne lui font changer de manières;
Et fussiez-vous embâtonnés,
Jamais vous n'en serez les maîtres.
Qu'on lui ferme la porte au nez,
Il reviendra par les fenêtres.

FABLE XIX.

LE LION ET L'ANE CHASSANT.

Le roi des animaux se mit un jour en tête
De giboyer: il célébroit sa fête.

Le gibier du lion, ce ne sont pas moineaux,
Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons beaux.
Pour réussir dans cette affaire

Il se servit du ministère

De l'âne à la voix de Stentor.
L'âne à messer lion fit office de cor.
Le lion le posta, le couvrit de ramée,
Lui commanda de braire, assuré qu'à ce son
Les moins intimidés fuiroient de leur maison.
Leur troupe n'étoit pas encore accoutumée
A la tempête de sa voix;

L'air en retentissoit d'un bruit épouvantable:
La frayeur saisissoit les hôtes de ces bois;
Tous fuyoient, tous tomboient au piége inévitable
Où les attendoit le lion.

N'ai-je pas bien servi dans cette occasion?
Dit l'âne en se donnant tout l'honneur de la chasse.
Oui, reprit le lion, c'est bravement crié :
Si je ne connoissois ta personne et ta race,
J'en serois moi-même effrayé.

L'âne, s'il eût osé, se fût mis en colère,
Encor qu'on le raillât avec juste raison:
Car qui pourroit souffrir un âne fanfaron?
Ce n'est pas là leur caractère.

FABLE XX.

TESTAMENT EXPLIQUÉ PAR ÉSOPE.

Si ce qu'on dit d'Ésope est vrai, C'étoit l'oracle de la Grèce : Lui seul avoit plus de sagesse Que tout l'aréopage. En voici pour essai Une histoire des plus gentilles, Et qui pourra plaire au lecteur :

Un certain homme avoit trois filles,
Toutes trois de contraire humeur :
Une buveuse, une coquette;
La troisième, avare parfaite.
Cet homme, par son testament,
Selon les lois municipales,

Leur laissa tout son bien par portions égales,
En donnant à leur mère tant,
Payable quand chacune d'elles

Ne possèderoit plus sa contingente part.
Le père mort, les trois femelles

Courent au testament, sans attendre plus tard.
On le lit, on tâche d'entendre
La volonté du testateur;

Mais en vain : car comment comprendre
Qu'aussitôt que chacune sœur

Ne possédera plus sa part héréditaire
Il lui faudra payer sa mère?

Ce n'est pas un fort bon moyen
Pour payer que d'être sans bien.
Que vouloit donc dire le père?
L'affaire est consultée; et tous les avocats,
Après avoir tourné le cas

En cent et cent mille manières,

Y jettent leur bonnet, se confessent vaincus, Et conseillent aux héritières

De partager le bien sans songer au surplus.
Quant à la somme de la veuve,

Voici, leur dirent-ils, ce que le conseil treuve :
Il faut que chaque sœur se charge par traité
Du tiers, payable à volonté;

Si mieux n'aime la mère en créer une rente,
Dès le décès du mort courante.

La chose ainsi réglée, on composa trois lots:
En l'un les maisons de bouteille,
Les buffets dressés sous la treille,

La vaisselle d'argent, les cuvettes, les brocs,
Les magasins de malvoisie,

Les esclaves de bouche, et, pour dire en deux mots,
L'attirail de la goinfrerie :

Dans un autre, celui de la coquetterie;

La maison de la ville, et les meubles exquis,

Les eunuques et les coiffeuses,

Et les brodeuses,

Les joyaux, les robes de prix:

Dans le troisième lot, les fermes, le ménage,

Les troupeaux et le pâturage,

Valets et bêtes de labeur.

Ces lots faits, on jugea que le sort pourroit faire

Que peut-être pas une sœur

N'auroit ce qui lui pourroit plaire.

Ainsi chacune prit son inclination,

Le tout à l'estimation.

Ce fut dans la ville d'Athènes
Que cette rencontre arriva.

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Les gens avoient pris justement
Le contre-pied du testament.

Si le défunt vivoit, disoit-il, que l'Attique
Auroit de reproches de lui!

Comment! ce peuple, qui se pique
D'être le plus subtil des peuples d'aujourd'hui,
A si mal entendu la volonté suprême
D'un testateur! Ayant ainsi parlé,

Il fait le partage lui-même,

Et donne à chaque sœur un lot contre son gré;
Rien qui pût être convenable,
Partant rien aux sœurs d'agréable:

A la coquette, l'attirail

Qui suit les personnes buveuses;
La biberonne eut le bétail;

La ménagère eut les coiffeuses.
Tel fut l'avis du Phrygien,
Alléguant qu'il n'étoit moyen
Plus sûr pour obliger ces filles
A se défaire de leur bien;

Qu'elles se mariroient dans les bonnes familles
Quand on leur verroit de l'argent;
Paîroient leur mère tout comptant;

Ne possèderoient plus les effets de leur père : Ce que disoit le testament.

Le peuple s'étonna comme il se pouvoit faire Qu'un homme seul eût plus de sens

Qu'une multitude de gens.

FIN DU LIVRE SECOND.

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FABLE PREMIÈRE.

LE MEUNIER, SON FILS, ET L'ANE.

A. M. D. M.

L'invention des arts étant un droit d'aînesse,
Nous devons l'apologue à l'ancienne Grèce :
Mais ce champ ne se peut tellement moissonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte est un pays plein de terres désertes;
Tous les jours nos auteurs y font des découvertes.
Je t'en veux dire un trait assez bien inventé :
Autrefois à Racan Malherbe l'a conté.

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de sa lyre,
Disciples d'Apollon, nos maîtres, pour mieux dire,
Se rencontrant un jour tout seuls et sans témoins
(Comme ils se confioient leurs pensers et leurs soins),
Racan commence ainsi : Dites-moi, je vous prie,
Vous qui devez savoir les choses de la vie,
Qui par tous ses degrés avez déjà passé,
Et

que rien ne doit fuir en cet âge avancé,
A quoi me résoudrai-je? Il est temps que j'y pense.
Vous connoissez mon bien, mon talent, ma naissance:
Dois-je dans la province établir mon séjour?
Prendre emploi dans l'armée, ou bien charge à la cour?
Tout au monde est mêlé d'amertume et de charmes :
La guerre a ses douceurs, l'hymen a ses alarmes.
Si je suivois mon goût, je saurois où buter;
Mais j'ai les miens, la cour, le peuple à contenter.
Malherbe là-dessus: Contenter tout le monde!
Écoutez ce récit avant que je réponde.

J'ai lu dans quelque endroit qu'un meunier et son fils, L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits, Mais garçon de quinze ans, si j'ai bonne mémoire, Alloient vendre leur âne, un certain jour de foire. Afin qu'il fût plus frais et de meilleur débit,

On lui lia les pieds, on vous le suspendit; Puis cet homme et son fils le portent comme un lustre. Pauvres gens ! idiots! couple ignorant et rustre! Le premier qui les vit de rire s'éclata: Quelle farce, dit-il, vont jouer ces gens-là? Le plus âne des trois n'est pas celui qu'on pense. Le meunier, à ces mots, connoît son ignorance; Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler. L'âne, qui goûtoit fort l'autre façon d'aller, Se plaint en son patois. Le meunier n'en a cure; Il fait monter son fils, il suit; et, d'aventure, Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut. Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il put: Oh là! oh! descendez, que l'on ne vous le dise, Jeune homme qui menez laquais à barbe grise! C'étoit à vous de suivre, au vieillard de monter. Messieurs, dit le meunier, il vous faut contenter. L'enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte; Quand trois filles passant, l'une dit: C'est grand'honte Qu'il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, Fait le veau sur son âne, et pense être bien sage. Il n'est, dit le meunier, plus de veaux à mon âge: Passez votre chemin, la fille, et m'en croyez. Après maints quolibets coup sur coup renvoyés, L'homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisième troupe Trouve encore à gloser. L'un dit: Ces gens sont fous! Le baudet n'en peut plus; il mourra sous leurs coups. Hé quoi, charger ainsi cette pauvre bourrique! N'ont-ils point de pitié de leur vieux domestique? Sans doute qu'à la foire ils vont vendre sa peau. Parbleu! dit le meunier, est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois si par quelque manière Nous en viendrons à bout. Ils descendent tous deux : L'âne se prélassant marche seul devant eux.

Un quidam les rencontre et dit : Est-ce la mode
Que baudet aille à l'aise, et meunier s'incommode?
Qui de l'âne ou du maître est fait pour se lasser?
Je conseille à ces gens de le faire enchâsser.
Ils usent leurs souliers, et conservent leur âne!
Nicolas, au rebours: car, quand il va voir Jeanne,
Il monte sur sa bête; et la chanson le dit.
Beau trio de baudets! Le meunier repartit :
Je suis âne, il est vrai, j'en conviens, je l'avoue;
Mais dorénavant on me blâme, on me loue,
que
Qu'on dise quelque chose ou qu'on ne dise rien,
J'en veux faire à ma tète. Il le fit, et fit bien.

Quant à vous, suivez Mars, ou l'Amour, ou le prince;
Allez, venez, courcz; demeurez en province;
Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement:
Les gens en parleront, n'en doutez nullement.

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FABLE II.

LES MEMBRES ET L'ESTOMAC.

Je devois par la royauté

Avoir commencé mon ouvrage :
A la voir d'un certain côté,

Messer Gaster en est l'image;

S'il a quelque besoin, tout le corps s'en ressent.

De travailler pour lui les membres se lassant,
Chacun d'eux résolut de vivre en gentilhomme,
Sans rien faire, alléguant l'exemple de Gaster.
Il faudroit, disoient-ils, sans nous, qu'il vécût d'air.
Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme;
Et pour qui? pour lui seul : nous n'en profitons pas;
Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas. [dre.
Chômons; c'est un métier qu'il veut nous faire appren-
Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,
Les bras d'agir, les jambes de marcher.
Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent:
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur,
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur;
Chaque membre en souffrit; les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent
Que celui qu'ils croyoient oisif et paresseux
A l'intérêt commun contribuoit plus qu'eux.

Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.
Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le marchand, gage le magistrat,
Maintient le laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses graces souveraines,
Entretient scule tout l'état.

Ménénius le sut bien dire.

La commune s'alloit séparer du sénat.

Les mécontents disoient qu'il avoit tout l'empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité;
Au lieu que tout le mal étoit de leur côté,
Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs étoit déjà posté,

La plupart s'en alloient chercher une autre terre,
Quand Ménénius leur fit voir

Qu'ils étoient aux membres semblables,

Et par cet apologue, insigne entre les fables, Les ramena dans leur devoir.

FABLE III.

LE LOUP DEVENU BERGER.

Un loup qui commençoit d'avoir petite part
Aux brebis de son voisinage

Crut qu'il falloit s'aider de la peau du renard
Et faire un nouveau personnage.

Il s'habille en berger, endosse un hoqueton,
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse.

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il auroit volontiers écrit sur son chapeau :
C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau.

Sa personne étant ainsi faite,

Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormoit alors profondément;

Son chien dormoit aussi, comme aussi sa musette;
La plupart des brebis dormoient pareillement.
L'hypocrite les laissa faire;

Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyoit nécessaire;
Mais cela gâta son affaire :
Il ne put du pasteur contrefaire la voix.
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.
Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, le chien, le garçon.

Le pauvre loup, dans cet esclandre,
Empêché par son hoqueton,

Ne put ni fuir ni se défendre.

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Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.
Quiconque est loup agisse en loup :
C'est le plus certain de beaucoup.

FABLE IV.

LES GRENOUILLES QUI DEMANDENT UN BOL.

Les grenouilles, se lassant
De l'état démocratique,

Par leurs clameurs firent tant

Que Jupin les soumit au pouvoir monarchique.
Il leur tomba du ciel un roi tout pacifique :
Ce roi fit tontefois un tel bruit en tombant,
Que la gent marécageuse,

Gent fort sotte et fort peureuse,
S'alla cacher sous les eaux,
Dans les joncs, dans les roseaux,

Dans les trous du marécage,

Sans oser de long-temps regarder au visage
Celui qu'elles croyoient être un géant nouveau.
Ör c'étoit un soliveau,

De qui la gravité fit peur à la première
Qui, de le voir s'aventurant,
Osa bien quitter sa tanière.

Elle approcha, mais en tremblant.

Une autre la suivit, une autre en fit autant:

Il en vint une fourmilière;

Et leur troupe à la fin se rendit familière
Jusqu'à sauter sur l'épaule du roi.

Le bon sire le souffre, et se tient toujours coi.
Jupin en a bientôt la cervelle rompue :

Donnez-nous, dit ce peuple, un roi qui se remue!
Le monarque des dieux leur envoie une grue,
Qui les croque, qui les tue,
Qui les gobe à son plaisir;
Et grenouilles de se plaindre,

Et Jupin de leur dire : Hé quoi! votre désir
A ses lois croit-il nous astreindre?
Vous avez dû premièrement

Garder votre gouvernement;

Mais ne l'ayant pas fait, il vous devoit suffire
Que votre premier roi fût débonnaire et doux:
De celui-ci contentez-vous,

De peur d'en rencontrer un pire.

FABLE V.

LE RENARD ET LE BOUC.

Capitaine renard alloit de compagnie

Avec son ami bouc des plus haut encornés :
Celui-ci ne voyoit pas plus loin que son nez;
L'autre étoit passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits;

Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc : Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire; il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi;
Mets-les contre le mur : le long de ton échine
Je grimperai premièrement;
Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,
Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe! dit l'autre, il est bon; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.

Je n'aurois jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue.

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon

Pour l'exhorter à patience.

Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurois pas à la légère

Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors:
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;
Car, pour moi, j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin.

En toute chose il faut considérer la fin.

FABLE VI.

L'AIGLE, LA LAIE, ET LA CHATTE.

L'aigle avoit ses petits au haut d'un arbre creux,
La laie au pied, la chatte entre les deux ;
Et, sans s'incommoder, moyennant ce partage,
Mères et nourrissons faisoient leur tripotage.
La chatte détruisit par sa fourbe l'accord;
Elle grimpa chez l'aigle, et lui dit : Notre mort
(Au moins de nos enfants, car c'est tout un aux mères)

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Où la laie étoit en gésine.

Ma bonne amie et ma voisine,

Lui dit-elle tout bas, je vous donne un avis:
L'aigle, si vous sortez, fondra sur vos petits.
Obligez-moi de n'en rien dire ;

Son courroux tomberoit sur moi.
Dans cette autre famille ayant semé l'effroi,
La chatte en son trou se retire.
L'aigle n'ose sortir, ni pourvoir aux besoins
De ses petits; la laie encore moins :
Sottes de ne pas voir que le plus grand des soins
Ce doit être celui d'éviter la famine.

A demeurer chez soi l'une et l'autre s'obstine, Pour secourir les siens dedans l'occasion:

L'oiseau royal, en cas de mine;

La laie, en cas d'irruption.

La faim détruisit tout; il ne resta personne
De la gent marcassine et de la gent aiglonne
Qui n'allât de vie à trépas:

Grand renfort pour messieurs les chats.

Que ne sait point ourdir une langue traîtresse
Par sa pernicieuse adresse!

Des malheurs qui sont sortis
De la boîte de Pandore,

Celui qu'à meilleur droit tout l'univers abhorre,
C'est la fourbe, à mon avis.

FABLE VII.

L'IVROGNE ET SA FEMME.

Chacun a son défaut, où toujours il revient: Honte ni peur n'y remédie.

Sur ce propos, d'un conte il me souvient : Je ne dis rien que je n'appuie

De quelque exemple. Un suppôt de Bacchus Altéroit sa santé, son esprit et sa bourse : Telles gens n'ont pas fait la moitié de leur course

Qu'ils sont au bout de leurs écus.

Un jour que celui-ci, plein du jus de la treille,
Avoit laissé ses sens au fond d'une bouteille,
Sa femme l'enferma dans un certain tombeau.
Là, les vapeurs du vin nouveau
Cuvèrent à loisir. A son réveil il treuve
L'attirail de la mort à l'entour de son corps,
Un luminaire, un drap des morts.
Oh! dit-il, qu'est-ce ci? Ma femme est-elle veuve?
Là-dessus, son épouse, en habit d'Alecton,
Masquée, et de sa voix contrefaisant le ton,
Vient au prétendu mort, approche de sa bière,
Lui présente un chaudeau propre pour Lucifer.
L'époux alors ne doute en aucune manière

Qu'il ne soit citoyen d'enfer.
Quelle personne es-tu? dit-il à ce fantôme.
La cellérière du royaume

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