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FABLE PREMIÈRE.

CONTRE CEUX QUI ONT LE GOUT DIFFICILE.

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Quand j'aurois en naissant reçu de Calliope
Les dons qu'à ses amants cette muse a promis,
Je les consacrerois aux mensonges d'Esope:
Le mensonge et les vers de tout temps sont amis.
Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse
Que de savoir orner toutes ces fictions.
On peut donner du lustre à leurs inventions:
On le pent, je l'essaie; un plus savant le fasse.
Cependant jusqu'ici d'un langage nouveau
J'ai fait parler le loup et répondre l'agneau:
J'ai passé plus avant; les arbres et les plantes
Sont devenus chez moi créatures parlantes.
Qui ne prendroit ceci pour un enchantement?
Vraiment, me diront nos critiques,
Vous parlez magnifiquement
De cinq ou six contes d'enfant.

Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques
Et d'un style plus haut? En voici. Les Troyens,
Après dix ans de guerre autour de leurs murailles,
Avoient lassé les Grecs, qui, par mille moyens,

Par mille assauts, par cent batailles, N'avoient pu mettre à bout cette fière cité; Quand un cheval de bois, par Minerve inventé,

D'un rare et nouvel artifice,

Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse,
Le vaillant Diomède, Ajax l'impétueux,

Que ce colosse monstrueux
Avec leurs escadrons devoit porter dans Troic,
Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie:
Stratagème inouï, qui des fabricateurs

Paya la constance et la peine...
C'est assez, me dira quelqu'un de nos auteurs:
La période est longue, il faut reprendre haleine;

Et puis, votre cheval de bois, Vos héros avec leurs phalanges, Ce sont des contes plus étranges Qu'un renard qui cajole un corbeau sur sa voix : De plus, il vous sied mal d'écrire en si haut style. Hé bien, baissons d'un ton. La jalouse Amarylle Songeoit à son Alcippe, et croyoit de ses soins N'avoir que ses moutons et son chien pour témoins. Tircis, qui l'aperçut, se glisse entre des saules; Il entend la bergère adressant ces paroles Au doux zéphyr, et le priant De les porter à son amant... Je vous arrête à cette rime, Dira mon censeur à l'instant; Je ne la tiens pas légitime,

Ni d'une assez grande vertu : Remettez, pour le mieux, ces deux vers à la fonte. Maudit censeur ! te tairas-tu? Ne saurois-je achever mon conte? C'est un dessein très dangereux Que d'entreprendre de te plaire.

Les délicats sont malheureux : Rien ne sauroit les satisfaire.

FABLE II.

CONSEIL TENU PAR LES RATS.

Un chat nommé Rodilardus, Faisoit de rats telle déconfiture, Que l'on n'en voyoit presque plus, Tant il en avoit mis dedans la sépulture. Le peu qu'il en restoit, n'osant quitter son trou, Ne trouvoit à manger que le quart de son soul; Et Rodilard passoit, chez la gent misérable,

Non pour un chat, mais pour un diable.
Or, un jour qu'au haut et au loin
Le galant alla chercher femme,
Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin
Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il falloit, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il iroit en guerre,

De sa marche avertis, ils s'enfuiroient sous terre;
Qu'il n'y savoit que ce moyen.
Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fat d'attacher le grelot.

L'un dit: Je n'y vas point, je ne suis pas si sot;
L'autre : Je ne saurois. Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus;
Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.

Ne faut-il que délibérer,

La cour en conseillers foisonne : Est-il besoin d'exécuter,

L'on ne rencontre plus personne.

FABLE III.

LE LOUP PLAIDANT CONTRE LE RENARD PAR-DEVANT LE SINGE.

Un loup disoit que l'on l'avoit volé :
Un renard, son voisin, d'assez mauvaise vie,
Pour ce prétendu vol par lui fut appelé.

Devant le singe il fut plaidé,

Non point par avocats, mais par chaque partie.
Thémis n'avoit point travaillé,

De mémoire de singe, à fait plus embrouillé.
Le magistrat suoit en son lit de justice.

Après qu'on eut bien contesté,
Répliqué, crié, tempêté,

Le juge, instruit de leur malice,

Leur dit : Je vous connois de long-temps, mes amis; Et tous deux vous paîrez l'amende:

Car toi, loup, tu te plains, quoiqu'on ne t'ait rien pris;
Et toi, renard, as pris ce que l'on te demande.

Le juge prétendoit qu'à tort et à travers
On ne sauroit manquer, condamnant un pervers.

Quelques personnes de bon sens ont cru que l'impossibilité et la contradiction qui est dans le jugement de ce singe étoit une chose à censurer: mais je ne m'en suis servi qu'après Phedre; et c'est en cela que consiste le bon mot, selon mon avis.

FABLE IV.

LES DEUX TAUREAUX ET LA GRENOUILLE.

Deux taureaux combattoient à qui possèderoit
Une génisse avec l'empire.
Une grenouille en soupiroit.
Qu'avez-vous? se mit à lui dire
Quelqu'un du peuple coassant.
Eh! ne voyez-vous pas, dit-elle,
Que la fin de cette querelle

Sera l'exil de l'un; que l'autre, le chassant,
Le fera renoncer aux campagnes fleuries?

Il ne règnera plus sur l'herbe des prairies,
Viendra dans nos marais régner sur les roseaux;
Et, nous foulant aux pieds jusques au fond des eaux,
Tantôt l'une, et puis l'autre, il faudra qu'on pâtisse
Du combat qu'a causé madame la génisse.
Cette crainte étoit de bon sens.
L'un des taureaux en leur demeure
S'alla cacher, à leurs dépens:

Il en écrasoit vingt par heure.

Hélas! on voit que de tout temps

Les petits ont pâti des sottises des grands.

་་་་་་་ FABLE V.

LA CHAUVE-SOURIS ET LES DEUX BELETTES.

Une chauve-souris donna tête baissée
Dans un nid de belette; et, sitôt qu'elle y fut,
L'autre, envers les souris de long-temps courroucée,
Pour la dévorer accourut.

Quoi! vous osez, dit-elle, à mes yeux vous produire,
Après que votre race a tâché de me nuire!
N'êtes-vous pas souris? Parlez sans fiction.
Oui, vous l'êtes, ou bien je ne suis pas belette.
Pardonnez-moi, dit la pauvrette,

Ce n'est pas ma profession.

Moi, souris! des méchants vous ont dit ces nouvelles.
Grace à l'auteur de l'univers,

Je suis oiseau, voyez mes ailes;
Vive la gent qui fend les airs!
Sa raison plut, et sembla bonne.
Elle fait si bien, qu'on lui donne
Liberté de se retirer.

Deux jours après, notre étourdie
Aveuglément se va fourrer

Chez une autre belette aux oiseaux ennemie.
La voilà derechef en danger de sa vie.

La dame du logis avec son long museau
S'en alloit la croquer en qualité d'oiseau,
Quand elle protesta qu'on lui faisoit outrage:
Moi, pour telle passer! Vous n'y regardez pas.
Qui fait l'oiseau? c'est le plumage.

Je suis souris; vivent les rats!
Jupiter confonde les chats!
Par cette adroite repartie
Elle sauva deux fois sa vie.

Plusieurs se sont trouvés qui, d'écharpe changeants,
Aux dangers, ainsi qu'elle, ont souvent fait la figue.
Le sage dit, selon les gens:
Vive le roi! vive la ligue!

FABLE VI.

L'OISEAU BLESSÉ D'UNE FLÈCHE.

Mortellement atteint d'une flèche empennée,
Un oiseau déploroit sa triste destinée,
Et disoit, en souffrant un surcroît de douleur:
Faut-il contribuer à son propre malheur !

Cruels humains! vous tirez de nos ailes
De quoi faire voler ces machines mortelles!
Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié :
Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre.
Des enfants de Japet toujours une moitié

Fournira des armes à l'autre.

FABLE VII.

LA LICE ET SA COMPAGNE.

Une lice étant sur son terme,

Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant,
Fait si bien, qu'à la fin sa compagne consent
De lui prêter sa hutte, où la lice s'enferme.
Au bout de quelque temps sa compagne revient.
La lice lui demande encore une quinzaine;
Ses petits ne marchoient, disoit-elle, qu'à peine.
Pour faire court, elle l'obtient.

Ce second terme échu, l'autre lui redemande
Sa maison, sa chambre, son lit.

La lice cette fois montre les dents, et dit:
Je suis prête à sortir avec toute ma bande,
Si vous pouvez nous mettre hors.
Ses enfants étoient déjà forts.

Ce qu'on donne aux méchants, toujours on le regrette:
Pour tirer d'eux ce qu'on leur prête,

Il faut que l'on en vienne aux coups;
Il faut plaider; il faut combattre.
Laissez-leur prendre un pied chez vous,
Ils en auront bientôt pris quatre.

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L'aigle donnoit la chasse à maître Jean lapin,
Qui droit à son terrier s'enfuyoit au plus vite.
Le trou de l'escarbot se rencontre en chemin.
Je laisse à penser si ce gîte

Étoit sûr mais où mieux? Jean lapin s'y blottit.
L'aigle fondant sur lui nonobstant cet asile,
L'escarbot, intercède et dit:

Princesse des oiseaux, il vous est fort facile
D'enlever malgré moi ce pauvre malheureux :
Mais ne me faites pas cet affront, je vous prie;
Et puisque Jean lapin vous demande la vie,
Donnez-la-lui, de grace, ou l'ôtez à tous deux :

C'est mon voisin, c'est mon compère.
L'oiseau de Jupiter, sans répondre un seul mot,
Choque de l'aile l'escarbot,

L'étourdit, l'oblige à se taire,

Enlève Jean lapin. L'escarbot indigné
Vole au nid de l'oiseau, fracasse en son absence
Ses œufs, ses tendres œufs, sa plus douce espérance:
Pas un seul ne fut épargné.

rage,

L'aigle, étant de retour, et voyant ce ménage,
Remplit le ciel de cris; et, pour comble de
Ne sait sur qui venger le tort qu'elle a souffert.
Elle gémit en vain; sa plainte au vent se perd.
Il fallut pour cet an vivre en mère affligée.
L'an suivant, elle mit son nid en lieu plus haut.
L'escarbot prend son temps, fait faire aux œufs le saut:
La mort de Jean lapin derechef est vengée.
Ce second deuil fut tel, que l'écho de ces bois
N'en dormit de plus de six mois.
L'oiseau qui porte Ganymede
Du monarque des dieux enfin implore l'aide,
Dépose en son giron ses œufs, et croit qu'en paix
Ils seront dans ce lieu; que, pour ses intérêts,

FABLE IX.

LE LION ET LE MOUCHERON.

Va-t'en, chétif insecte, excrément de la terre!
C'est en ces mots que le lion
Parloit un jour au moucheron.
L'autre lui déclara la guerre :

Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi
Me fasse peur ni me soucie?

Un bœuf est plus puissant que toi,
Je le mène à ma fantaisie.

A peine il achevoit ces mots,
Que lui-même il sonna la charge,
Fut le trompette et le héros.
Dans l'abord il se met au large;
Puis prend son temps, fond sur le cou
Du lion, qu'il rend presque fou.
Le quadrupède écume, et son œil étincelle;
Il rugit. On se cache, on tremble à l'environ;
Et cette alarme universelle

Est l'ouvrage d'un moucheron.
Un avorton de mouche en cent lieux le harcelle;
Tantôt pique l'échine, et tantôt le muscau,
Tantôt entre au fond du naseau.

La rage alors se trouve à son faîte montée.
L'invisible ennemi triomphe, et rit de voir
Qu'il n'est griffe ni dent en la bête irritée
Qui de la mettre en sang ne fasse son devoir.
Le malheureux lion se déchire lui-même,
Fait résonner sa queue à l'entour de ses flancs,
Bat l'air, qui n'en peut mais; et sa fureur extrême
Le fatigue, l'abat; le voilà sur les dents.
L'insecte du combat se retire avec gloire :
Comme il sonna la charge, il sonne la victoire,
Va partout l'annoncer, et rencontre en chemin
L'embuscade d'une araignée;

Il y rencontre aussi sa fin.

Quelle chose par là nous peut être enseignée?
J'en vois deux, dont l'une est qu'entre nos ennemis
Les plus à craindre sont souvent les plus petits;
L'autre qu'aux grands périls tel a pu se soustraire,
Qui périt pour la moindre affaire.

FABLE X.

L'ANE CHARGÉ D'ÉPONGES, ET L'ANE CHARGÉ DE SEL.

Un ânier, son sceptre à la main,
Menoit, en empereur romain,
Deux coursiers à longues oreilles.

L'un, d'éponges chargé, marchoit comme un courrier;
Et l'autre, se faisant prier,

Portoit, comme on dit, les bouteilles.
Sa charge étoit de sel. Nos gaillards pèlerins,
Par monts, par vaux, et par chemins,
Au gué d'une rivière à la fin arrivèrent,

Et fort empêchés se trouvèrent.

L'ânier, qui tous les jours traversoit ce gué-là,
Sur l'âne à l'éponge monta,
Chassant devant lui l'autre bête,
Qui, voulant en faire à sa tête,
Dans un trou se précipita,
Revint sur l'eau, puis échappa:
Car, au bout de quelques nagées,
Tout son sel se fondit si bien,
'Que le baudet ne sentit rien

Sur ses épaules soulagées.

Camarade épongier prit exemple sur lui,
Comme un mouton qui va dessus la foi d'autrui.
Voilà mon âne à l'eau; jusqu'au col il se plonge,
Lui, le conducteur, et l'éponge.

Tous trois burent d'autant : l'ânier et le grison
Firent à l'éponge raison.

Celle-ci devint si pesante,

Et de tant d'eau s'emplit d'abord,

Que l'âne succombant ne put gagner le bord.
L'ânier l'embrassoit, dans l'attente

D'une prompte et certaine mort.

Quelqu'un vint au secours : qui ce fut, il n'importe;
C'est assez qu'on ait vu par là qu'il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J'en voulois venir à ce point.

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Cette aventure en soi, sans aller plus avant,
Peut servir de leçon à la plupart des hommes.
Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes,
Il en est peu qui fort souvent
Ne se plaisent d'entendre dire
Qu'au livre du destin les mortels peuvent lire.
Mais ce livre, qu'Homère et les siens ont chanté,
Qu'est-ce que le hasard parmi l'antiquité,

Et parmi nous la Providence?

Or, du hasard il n'est point de science:
Sil en étoit, on auroit tort

De l'appeler hasard, ni fortune, ni sort;

Toutes choses très incertaines.

Quant aux volontés souveraines

De celui qui fait tout, et rien qu'avec dessein,

Qui les sait, que lui seul? Comment lire en son sein? Auroit-il imprimé sur le front des étoiles

Ce que la nuit des temps enferme dans ses voiles?

A quelle utilité? Pour exercer l'esprit

De ceux qui de la sphère et du globe ont écrit?
Pour nous faire éviter des maux inévitables?
Nous rendre, dans les biens, de plaisirs incapables?
Et, causant du dégoût pour ces biens prévenus,
Les convertir en maux devant qu'ils soient venus?
C'est erreur, ou plutôt c'est crime de le croire.
Le firmament se meut, les astres font leur cours,
Le soleil nous luit tous les jours,
Tous les jours sa clarté succède à l'ombre noire,
Sans que nous en puissions autre chose inférer
Que la nécessité de luire et d'éclairer,
D'amener les saisons, de mûrir les semences,

De verser sur les corps certaines influences.
Du reste, en quoi répond au sort toujours divers
Ce train toujours égal dont marche l'univers?

Charlatans, faiseurs d'horoscope,
Quittez les cours des princes de l'Europe:
Emmenez avec vous les souffleurs tout d'un temps;
Vous ne méritez pas plus de foi que ces gens.
Je m'emporte un peu trop : revenons à l'histoire
De ce spéculateur qui fut contraint de boire.
Outre la vanité de son art mensonger,

C'est l'image de ceux qui bayent aux chimères,
Cependant qu'ils sont en danger
Soit pour eux, soit pour leurs affaires.

FABLE XIV.

LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES.

Un lièvre en son gîte songeoit,

Faites-en les feux dès ce soir;
Et cependant viens recevoir

Le baiser d'amour fraternelle.
Ami, reprit le coq, je ne pouvois jamais
Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle
Que celle

De cette paix;

Et ce m'est une double joie

De la tenir de toi. Je vois deux lévriers,

Qui, je m'assure, sont courriers

Que pour ce sujet on envoie :

Ils vont vite, et seront dans un moment à nous.
Je descends: nous pourrons nous entre-baiser tous.
Adieu, dit le renard, ma traite est longue à faire :
Nous nous réjouirons du succès de l'affaire
Une autre fois. Le galant aussitôt
Tire ses grègues, gagne au haut,
Mal content de son stratagème.
Et notre vieux coq en soi-même
Se mit à rire de sa peur;

(Car que faire en un gite, à moins que l'on ne songe?) Car c'est double plaisir de tromper le trompeur.
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeoit :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

Les gens de naturel peureux

Sont, disoit-il, bien malheureux!

Ils ne sauroient manger morceau qui leur profite:
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Eh! la peur se corrige-t-elle ?
Je crois même qu'en bonne foi
Les hommes ont peur comme moi.
Ainsi raisonnoit notre lièvre,

Et cependant faisoit le guet.

Il étoit douteux, inquiet:

FABLE XVI.

LE CORBEAU VOULANT IMITER L'AIGLE.

L'oiseau de Jupiter enlevant un mouton,
Un corbeau, témoin de l'affaire,

Et plus foible de reins, mais non pas moins glouton,
En voulut sur l'heure autant faire.

Il tourne à l'entour du troupeau,

Marque entre cent moutons le plus gras, le plus beau,
Un vrai mouton de sacrifice:

On l'avoit réservé pour la bouche des dieux.

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnoit la fièvre. Gaillard corbeau disoit, en le couvant des yeux :

Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit : ce lui fut un signal

Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.

Oh! dit-il, j'en fais faire autant
Qu'on m'en fait faire ! Ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?
Comment! des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre !

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

FABLE XV.

LE COQ ET LE RENARD.

Sur la branche d'un arbre étoit en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.

Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,
Nous ne sommes plus en querelle:
Paix générale cette fois.

Je viens te l'annoncer; descends, que je t'embrasse:
Ne me retarde point, de grace;

Je dois faire aujourd'hui vingt postes sans manquer.
Les tiens et toi pouvez vaquer,
Sans nulle crainte, à vos affaires;
Nous vous y servirons en frères.

Je ne sais qui fut ta nourrice;

Mais ton corps me paroît en merveilleux état:

Tu me serviras de pâture.

Sur l'animal bélant, à ces mots il s'abat.

La moutonnière créature

Pesoit plus qu'un fromage; outre que sa toison
Étoit d'une épaisseur extrême,

Et mêlée à peu près de la même façon

Que la barbe de Polyphême.
Elle empêtra si bien les serres du corbeau,
Que le pauvre animal ne put faire retraite :
Le berger vient, le prend, l'encage bien et beau,
Le donne à ses enfants pour servir d'amusette.

Il faut se mesurer; la conséquence est nette:
Mal prend aux volereaux de faire les voleurs.
L'exemple est un dangereux leurre:
Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs;
Où la guêpe a passé, le moucheron demeure.

FABLE XVII.

LE PAON SE PLAIGNANT & JUNON.

Le paon se plaignoit à Junon.
Déesse, disoit-il, ce n'est pas sans raison
Que je me plains, que je murmure:
Le chant dont vous m'avez fait don
Déplaît à toute la nature;

Au lieu qu'un rossignol, chétive créature,
Forme des sons aussi doux qu'éclatants,

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