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CONTES.

POUR LA PREMIÈRE ÉDITION DU PREMIER LIVRE DE SES CONTES. — 1665.

Les Nouvelles en vers dont ce livre fait part au public, et dont l'une est tirée de l'Arioste, et l'autre de Boccace, quoique d'un style bien différent, sont toutefois d'une même main. L'auteur a voulu éprouver lequel caractère est le plus propre pour rimer des contes: il a cru que les vers irréguliers ayant un air qui tient beaucoup de la prose, cette manière pourroit sembler la plus naturelle, et par conséquent la meilleure. D'autre part aussi le vieux langage, pour les choses de cette nature, a des graces que celui de notre siècle n'a pas. Les cent Nouvelles, les vieilles traductions de Boccace et des Amadis, Rabelais et nos anciens poëtes, nous en fournissent des

preuves infaillibles. L'auteur a donc tenté ces deux voies sans être certain laquelle est la bonne. C'est au lecteur à se déterminer là dessus; car il ne prétend pas en demeurer là, et il a déjà jeté les yeux sur d'autres Nouvelles pour les rimer. Mais auparavant il faut qu'il soit assuré du succès de celles-ci, et du goût de la plupart des personnes qui les liront. En cela, comme en d'autres choses, Térence lui doit servir de modèle. Ce poëte n'écrivoit pas pour se satisfaire seulement, ou pour satisfaire un petit nombre de gens choisis; il avoit pour but: Populo ut placerent quas fecisset fabulas.

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PRÉFACE DE LA FONTAINE

POUR LA SEConde édition du PREMIER Livre de ses contes.

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- 1665.

Comme les miens sont fort éloignés d'un si haut degré de perfection, la prudence veut que je les garde en mon cabinet, à moins que de bien prendre mon temps pour les en tirer. C'est ce que j'ai fait ou que j'ai cru faire dans cette seconde édition, où je n'ai

blé qu'on étoit en train d'y prendre plaisir. Il y en a que j'ai étendus, et d'autres que j'ai accourcis, seulement pour diversifier et me rendre moins ennuyeux. On en trouvera même quelques uns que j'ai prétendu mettre en épigrammes. Tout cela n'a fait qu'un petit recueil aussi peu considérable par sa grosseur que par la qualité des ouvrages qui le composent. Pour le grossir, j'ai tiré de mes papiers je ne sais quelle imitation des Arrêts d'Amour, avec un fragment où l'on me raconte le tour que Vulcain fit à Mars et à Vénus, et celui que Mars et Vénus lui avoient fait. Il est vrai que ces deux pièces n'ont ni le sujet ni le caractère du tout semblables au reste du livre; mais, à mon sens, elles n'en sont pas entièrement éloignées. Quoi que c'en soit, elles passeront: je ne sais même si la variété n'étoit point plus à rechercher en cette rencontre qu'un assortiment si exact.

J'avois résolu de ne consentir à l'impression de | ces Contes qu'après que j'y pourrois joindre ceux de Boccace qui sont le plus à mon goût; mais quelques personnes m'ont conseillé de donner dès à présent ce qui me reste de ces bagatelles, afin de ne pas laisser refroidir la curiosité de les voir, qui est en-ajonté de nouveaux contes, que parce qu'il m'a semcore en son premier feu. Je me suis rendu à cet avis sans beaucoup de peine, et j'ai cru pouvoir profiter de l'occasion. Non seulement cela m'est permis, mais ce seroit vanité à moi de mépriser un tel avantage. Il me suffit de ne pas vouloir qu'on impose en ma faveur à qui que ce soit, et de suivre un chemin contraire à celui de certaines gens, qui ne s'acquièrent des amis que pour s'acquérir des suffrages par leur moyen; créatures de la cabale, bien différents de cet Espagnol qui se piquoit d'être fils de ses propres œuvres. Quoique j'aie autant de besoin de ces artifices que pas un autre, je ne saurois me résoudre à les employer: seulement je m'accommoderai, s'il m'est possible, au goût de mon siècle, instruit que je suis par ma propre expérience qu'il n'y a rien de plus nécessaire. En effet, on ne peut pas dire que toutes saisons soient favorables pour toutes sortes de livres. Nous avons vu les rondeaux, les métamorphoses, les bouts-rimés, régner tour à tour; maintenant ces galanteries sont hors de mode, et personne ne s'en soucie: tant il est certain que ce qui plaît en un temps peut ne pas plaire en un autre! Il n'appartient qu'aux ouvrages vraiment solides, et d'une souveraine beauté, d'être bien reçus de tous les esprits et dans tous les siècles, sans avoir d'autre passe-port que le seul mérite dont ils sont pleins.

Mais je m'amuse à des choses auxquelles on ne prendra peut-être pas garde, tandis que j'ai lieu d'appréhender des objections bien plus importautes. On m'en peut faire deux principales : l'une, que ce livre est licencieux; l'autre, qu'il n'épargne pas assez le beau sexe. Quant à la première, je dis hardiment que la nature du conte le vouloit ainsi; étant une loi indispensable, selon Horace,ou plutôt

selon la raison et le sens commun, de se conformer aux choses dont on écrit. Or, qu'il ne m'ait été permis d'écrire de celles-ci, comme tant d'autres l'ont fait et avec succès, je ne crois pas qu'on le mette en doute; et l'on ne me sauroit condamner que l'on ne condamne aussi l'Arioste devant moi, et les anciens devant l'Arioste. On me dira que j'eusse mieux fait de supprimer quelques circonstances, ou tout au moins de les déguiser. Il n'y avoit rien de plus facile; mais cela eût affoibli le conte et lui auroit ôté de sa grace. Tant de circonspection n'est nécessaire que dans les ouvrages qui promettent beaucoup de retenue dès l'abord, ou par leur sujet, ou par la manière dont on les traite. Je confesse qu'il faut garder en cela des bornes, et que les plus étroites sont les meilleures aussi faut-il m'avouer que trop de scrupule gâteroit tout. Qui voudroit réduire Boccace à la même pudeur que Virgile ne feroit assurément rien qui vaille, et pècheroit contre les lois de la bienséance en prenant à tâche de les observer. Car, afin que l'on ne s'y trompe pas, en matière de vers et de prose, l'extrême pudeur et la bienséance sont deux choses bien différentes. Cicéron fait consister la dernière à dire ce qu'il est à propos qu'on dise eu égard au lieu, au temps, et aux personnes qu'on entretient. Ce principe une fois posé, ce n'est pas une faute de jugement que d'entretenir les gens d'aujourd'hui de contes un peu libres. Je ne pèche pas

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non plus en cela contre la morale. S'il y a quelque chose dans nos écrits qui puisse faire impression sur les ames, ce n'est nullement la gaieté de ces contes; elle passe légèrement je craindrois plutôt une douce mélancolie, où les romans les plus chastes et les plus modestes sont très capables de nous plonger, et qui est une grande préparation pour l'amour. Quant à la seconde objection, par laquelle on me reproche que ce livre fait tort aux femmes, on auroit raison si je parlois sérieusement: mais qui ne voit que ceci est jeu, et par conséquent ne peut porter coup? Il ne faut pas avoir peur que les mariages en soient à l'avenir moins fréquents, et les maris plus fort sur leur garde. On me peut encore objecter que ces contes ne sont pas fondés, ou qu'ils ont partout un fondement aisé à détruire; enfin, qu'il y a des absurdités, et pas la moindre teinture de vraisemblance. Je réponds en peu de mots que j'ai mes garants; et puis, ce n'est ni le vrai ni le vraisemblable qui font la beauté et la grace de ces chosesci; c'est seulement la manière de les conter.

Voilà les principaux points sur quoi j'ai cru être obligé de me défendre. J'abandonne le reste aux censeurs aussi bien seroit-ce une entreprise infinie que de prétendre répondre à tout. Jamais la critique ne demeure court, ni ne manque de sujets de s'exercer : quand ceux que je puis prévoir lui seroient ôtés, elle en auroit bientôt trouvé d'autres.

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A ce propos s'avance un certain gentilhomme
D'auprès de Rome.

Sire, dit-il, si votre majesté

Est curieuse de beauté,

Qu'elle fasse venir mon frère :

Aux plus charmants il n'en doit guère; Je m'y connois un peu, soit dit sans vanité. Toutefois, en cela pouvant m'être flatté,

Que je n'en sois pas cru, mais les cœurs de vos dames. Du soin de guérir leurs flammes

Il vous soulagera, si vous le trouvez bon:

Car de pourvoir vous seul au tourment de chacune,
Outre que tant d'amour vous seroit importune,
Vous n'auriez jamais fait; il vous faut un second.
Là dessus Astolphe répond:

(C'est ainsi qu'on nommoit ce roi de Lombardie)
Votre discours me donne une terrible envie

De connoître ce frère: amenez-le-nous donc.

Voyons si nos beautés en seront amoureuses,
Si ses appas le mettront en crédit;

Nous en croirons les connoisseuses,
Comme très bien vous avez dit.

Le gentilhomme part et va querir Joconde:
(C'est le nom que ce frère avoit)
A la campagne il vivoit,

Loin du commerce du monde :

Marié depuis peu; content, je n'en sais rien.
Sa femme avoit de la jeunesse,
De la beauté, de la délicatesse;

Il ne tenoit qu'à lui qu'il ne s'en trouvât bien.
Son frère arrive, et lui fait l'ambassade;

Enfin il le persuade.

Joconde d'une part regardoit l'amitié

D'un roi puissant, et d'ailleurs fort aimable; Et d'autre part aussi sa charmante moitié Triomphoit d'être inconsolable,

Et de lui faire des adieux
A tirer les larmes des yeux.

Quoi! tu me quittes! disoit-elle:
As-tu bien l'ame assez cruelle
Pour préférer à ma constante amour
Les faveurs de la cour?

Tu sais qu'à peine elles durent un jour;
Qu'on les conserve avec inquiétude,

Pour les perdre avec désespoir.
Si tu te lasses de me voir,
Songe au moins qu'en ta solitude
Le repos règne jour et nuit;

Que les ruisseaux n'y font du bruit
Qu'afin de t'inviter à fermer la paupière.
Crois-moi, ne quitte point les hôtes de tes bois,

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