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Vous ne manquez que de chaleur ;
Le long âge en vous l'a détruite.

D'un loup écorché vif appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante;

Le secret sans doute en est beau
Pour la nature défaillante.

Messire loup vous servira,

S'il vous plaît, de robe de chambre."
Le roi goûte cet avis-là :

On écorche, on taille, on démembre

Messire loup. Le monarque en soupa,
Et de sa peau s'enveloppa.

Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire ;
Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire.
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d'une ou d'autre manière :
Vous êtes dans une carrière

Où l'on ne se pardonne rien.

78. Le Satyre et le Passant

Au fond d'un antre sauvage
Un satyre et ses enfants
Allaient manger leur potage,
Et prendre l'écuelle aux dents.
On les eût vus sur la mousse,
Lui, sa femme, et maint petit;
Ils n'avaient tapis ni housse,
Mais tous fort bon appétit.
Pour se sauver de la pluie,
Entre un passant morfondu.
Au brouet on le convie,
Il n'était pas attendu.

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79. Le Rat et l'Éléphant

Se croire un personnage est fort commun en France;
On y fait l'homme d'importance,

Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois :

C'est proprement le mal françois.

La sotte vanité nous est particulière.

Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière :
Leur orgueil me semble, en un mot,

Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre,
Qui sans doute en vaut bien un autre.

Un rat des plus petits voyait un éléphant

Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,

Qui marchait à gros équipage.

Sur l'animal à triple étage
Une sultane de renom,

Son chien, son chat, et sa guenon,

Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
S'en allait en pèlerinage.

Le rat s'étonnait que les gens

Fussent touchés de voir cette pesante masse :
"Comme si d'occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants!
Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants?

Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D'un grain moins que les éléphants."

Il en aurait dit davantage;

Mais le chat, sortant de sa cage,

Lui fit voir en moins d'un instant,
Qu'un rat n'est pas un éléphant.

80. Le Vieillard et l'Ane

Un vieillard sur son âne aperçut, en passant,

Un pré plein d'herbe et fleurissant :

Il y lâche sa bête, et le grison se rue

Au travers de l'herbe menue,

Se vautrant, grattant, et frottant,
Gambadant, chantant, et broutant,
Et faisant mainte place nette.
L'ennemi vient sur l'entrefaite.
"Fuyons, dit alors le vieillard.

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- Pourquoi? répondit le paillard,

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Me fera-t-on porter double bât, double charge?
Non pas, dit le vieillard, qui prit d'abord le large.
- Et que m'importe donc, dit Fâne, à qui je sois?
Sauvez-vous, et me laissez paître.

Notre ennemi, c'est notre maître :
Je vous le dis en bon françois."

81. L'Ane et le Chien

Il se faut entr'aider; c'est la loi de nature.
L'âne un jour pourtant s'en moqua :
Et ne sais comme il y manqua ;

Car il est bonne créature.

Il allait par pays, accompagné du chien,
Gravement, sans songer à rien,

Tous deux suivis d'un commun maître.

Ce maître s'endormit: l'âne se mit à paître ;
Il était alors dans un pré

Dont l'herbe était fort à son gré.

Point de chardons pourtant; il s'en passa pour
Il ne faut pas toujours être si délicat ;
Et faute de servir ce plat,
Rarement un festin demeure.

Notre baudet s'en sut enfin

l'heure :

Passer pour cette fois. Le chien, mourant de faim,
Lui dit: "Cher compagnon, baisse-toi, je te prie;
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain."
Point de réponse, mot; le roussin d'Arcadie
Craignit qu'en perdant un moment

Il ne perdît un coup de dent.

Il fit longtemps la sourde oreille :

Enfin il répondit: "Ami, je te conseille
D'attendre que ton maître ait fini son sommeil ;

Car il te donnera, sans faute, à son réveil,
Ta portion accoutumée ;

Il ne saurait tarder beaucoup."

Sur ces entrefaites, un loup

Sort du bois, et s'en vient; autre bête affamée.
L'âne appelle aussitôt le chien à son secours.
Le chien ne bouge, et dit : "Ami, je te conseille
De fuir, en attendant que ton maître s'éveille;
Il ne saurait tarder: détale vite, et cours.
Que si ce loup t'atteint, casse-lui la mâchoire :
On t'a ferré de neuf; et, si tu me veux croire,
Tu l'étendras tout plat." Pendant ce beau discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.

Je conclus qu'il faut qu'on s'entr'aide.

82. Le Torrent et la Rivière

Avec grand bruit et grand fracas

Un torrent tombait des montagnes :

Tout fuyait devant lui; l'horreur suivait ses pas;
Il faisait trembler les campagnes.
Nul voyageur n'osait passer

Une barrière si puissante:

Un seul vit des voleurs; et se sentant presser,
Il mit entre eux et lui cette onde menaçante.
Ce n'était que menace et bruit sans profondeur;
Notre homme enfin n'eut que la peur.
Ce succès lui donnant courage,

Et les mêmes voleurs le poursuivant toujours,
Il rencontra sur son passage

Une rivière dont le cours,

Image d'un sommeil doux, paisible et tranquille,
Lui fit croire d'abord ce trajet fort facile :

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