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25. Le Loup et l'Agneau

La raison du plus fort est toujours la meilleure :
Nous l'allons montrer tout à l'heure.

Un agneau se désaltérait

Dans le courant d'une onde pure.

Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
que la faim en ces lieux attirait. ་

Et

"Qui te rend så hardi de troubler mon breuvage?"
Dit cet animal plein de rage:

"Tu seras chátié de ta témérité.

Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant

Dans le courant,

Plus de vingt pas au-dessous d'elle;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
-Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'agneau; je tette encor ma mère.

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- Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.

- Je n'en ai point. — C'est donc quelqu'un des tiens; Car vous ne m'épargnez guère,

Vous, vos bergers, et vos chiens.

On me l'a dit: il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts

Le loup l'emporte, et puis le mange,
Sans autre forme de procès.

26. Le Renard et le Bouc

Capitaine renard allait de compagnie
Avec son ami bouc des plus haut encornés :
Celui-ci ne voyait pas plus loin que son nez;
L'autre était passé maître en fait de tromperie.
La soif les obligea de descendre en un puits:
Là, chacun d'eux se désaltère.

Après qu'abondamment tous deux en eurent pris,
Le renard dit au bouc: "Que ferons-nous, compère?
Ce n'est pas tout de boire, il faut sortir d'ici.
Lève tes pieds en haut, et tes cornes aussi ;
Mets-les contre le mur: le long de ton échine
Je grimperai premièrement;
Puis sur tes cornes m'élevant,
A l'aide de cette machine,
De ce lieu-ci je sortirai,

Après quoi je t'en tirerai.

Par ma barbe, dit l'autre, il est bon; et je loue
Les gens bien sensés comme toi.
Je n'aurais jamais, quant à moi,
Trouvé ce secret, je l'avoue."

Le renard sort du puits, laisse son compagnon,
Et vous lui fait un beau sermon
Pour l'exhorter à patience.

"Si le ciel t'eût, dit-il, donné par excellence
Autant de jugement que de barbe au menton,
Tu n'aurais pas, à la légère,

Descendu dans ce puits. Or, adieu; j'en suis hors:
Tâche de t'en tirer, et fais tous tes efforts;

Car, pour moi, j'ai certaine affaire
Qui ne me permet pas d'arrêter en chemin."
En toute chose il faut considérer la fin.

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27. Le Loup et la Cigogne

Les loups mangent gloutonnement.
Un loup donc étant de frairie
Se pressa, dit-on, tellement
Qu'il en pensa perdre la vie :

Un os lui demeura bien avant au gosier. **
De bonheur pour ce loup, qui ne pouvait crier,
Près de là passe une cigogne.

Il lui fait signe; elle accourt.

Voilà l'opératrice aussitôt en besogne.
Elle retira l'os; puis pour un si bon tour
Elle demanda son salaire.
"Votre salaire? dit le loup:

Vous riez, ma bonne commère !
Quoi? ce n'est pas encor beaucoup
D'avoir de mon gosier retiré votre cou?
Allez, vous êtes une ingrate :

Ne tombez jamais sous ma patte."

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28. Le Lion abattu par l'Homme

On exposait une peinture

Où l'artisan avait tracé

Un lion d'immense stature

Par un seul homme terrassé.

Les regardants en tiraient gloire.

Un lion en passant rabattit leur caquet:
"Je vois bien, dit-il, qu'en effet
On vous donne ici la victoire ;
Mais l'ouvrier vous a déçus :

Il avait liberté de feindre.

Avec plus de raison nous aurions le dessus,
Si mes confrères savaient peindre."

29. Conseil tenu par les Rats

Un chat nommé Rodilardus,

Faisait de rats telle déconfiture,

Que l'on n'en voyait presque plus,

Tant il en avait mis dedans la sépulture.
Le peu qu'il en restait, n'osant quitter son trou,
Ne trouvait à manger que le quart de son soûl;
Et Rodilard passait, chez la gent misérable,

Non pour un chat, mais pour un diable.
Or un jour qu'au haut et au loin

Le galant alla chercher femme,

Pendant tout le sabbat qu'il fit avec sa dame,
Le demeurant des rats tint chapitre en un coin

Sur la nécessité présente.

Dès l'abord, leur doyen, personne fort prudente,
Opina qu'il fallait, et plus tôt que plus tard,
Attacher un grelot au cou de Rodilard;

Qu'ainsi, quand il irait en guerre,

De sa marche avertis, ils s'enfuiraient sous terre ;
Qu'il n'y savait que ce moyen.

Chacun fut de l'avis de monsieur le doyen :
Chose ne leur parut à tous plus salutaire.
La difficulté fut d'attacher le grelot.

L'un dit: "Je n'y vas point, je ne suis

pas

si sot;"

L'autre: "Je ne saurais." Si bien que sans rien faire
On se quitta. J'ai maints chapitres vus,
Qui pour néant se sont ainsi tenus;

Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines,
Voire chapitres de chanoines.

Ne faut-il que délibérer,

La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d'exécuter,

L'on ne rencontre plus personne.

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30. Les Loups et les Brebis

Après mille ans et plus de guerre déclarée,
Les loups firent la paix avecque les brebis.
C'était apparemment le bien des deux partis :
Car si les loups mangeaient mainte bête égarée,
Les bergers de leur peau se faisaient maints habits.
Jamais de liberté, ni pour les pâturages,

Ni d'autre part pour les carnages:

Ils ne pouvaient jouir qu'en tremblant de leurs biens.
La paix se conclut donc : on donne des otages;
Les loups leurs louveteaux; et les brebis leurs chiens.
L'échange en étant fait aux formes ordinaires,

Et réglé par des commissaires,

Au bout de quelque temps que messieurs les louvats
Se virent loups parfaits et friands de tuerie,
Ils vous prennent le temps que dans la bergerie
Messieurs les bergers n'étaient pas,
Étranglent la moitié des agneaux les plus gras,
Les emportent aux dents, dans les bois se retirent.
Ils avaient averti leurs gens secrètement.

Les Chiens, qui, sur leur foi, reposaient sûrement,
Furent étranglés en dormant.

Cela fut sitôt fait qu'à peine ils le sentirent :
Tout fut mis en morceaux; un seul n'en échappa.

Nous pouvons conclure de là

Qu'il faut faire aux méchants guerre continuelle.

La paix est fort bonne de soi;

J'en conviens; mais de quoi sert-elle
Avec des ennemis sans foi?

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