Page images
PDF
EPUB

5

10

15

20

25

15. Le Renard et la Cigogne

Compère le renard se mit un jour en frais,
Et retint à dîner commère la cigogne.
Le régal fut petit et sans beaucoup d'apprêts;
Le galant, pour toute besogne,

Avait un brouet clair; (il vivait chichement).
Ce brouet fut par lui servi sur une assiette :
La cigogne au long bec n'en put attraper miette;
Et le drôle eut lapé le tout en un moment.

Pour se venger de cette tromperie,

A quelque temps de là, la cigogne le prie.
"Volontiers, lui dit-il; car avec mes amis
Je ne fais point cérémonie."

A l'heure dite, il courut au logis

De la cigogne son hôtesse,

Loua très fort la politesse,

Trouva le dîner cuit à point:

Bon appétit surtout; renards n'en manquent point.
Il se réjouissait à l'odeur de la viande

Mise en menus morceaux, et qu'il croyait friande.
On servit, pour l'embarrasser,

En un vase à long col et d'étroite embouchure.
Le bec de la cigogne y pouvait bien passer;
Mais le museau du sire était d'autre mesure.

Il lui fallut à jeun retourner au logis,

Honteux comme un renard qu'une poule aurait pris,
Serrant la queue, et portant bas l'oreille.

Trompeurs, c'est pour vous que j'écris :
Attendez-vous à la pareille.

16. Le Loup et le Chien

Un loup n'avait que les os et la peau,

Tant les chiens faisaient bonne garde :

Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau,
Gras, poli, qui s'était fourvoyé par mégarde.

L'attaquer, le mettre en quartiers,
Sire loup l'eût fait volontiers ;
Mais il fallait livrer bataille;

Et le mâtin était de taille

A se défendre hardïment.

Le loup donc l'aborde humblement,
Entre en propos, et lui fait compliment

Sur son embonpoint, qu'il admire.
"H ne tiendra qu'à vous, beau sire,

D'être aussi gras que moi, lui repartit le chien.
Quittez les bois, vous ferez bien :

Vos pareils y sont misérables,
Cancres, hères, et pauvres diables,

Dont la condition est de mourir de faim.

Car, quoi! rien d'assuré ! point de franche lippée;
Tout à la pointe de l'épée !

Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin.”

. Le loup reprit: "Que me faudra-t-il faire?

- Presque rien, dit le chien: donner la chasse aux gens Portants bâtons, et mendiants;

Flatter ceux du logis, à son maître complaire,

Moyennant quoi votre salaire

Sera force reliefs de toutes les façons,
Os de poulets, os de pigeons;
Sans parler de mainte caresse."

Le loup déjà se forge une félicité

Qui le fait pleurer de tendresse.

[merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small]

Chemin faisant, il vit le col du chien pelé.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small]

5

IO

chose.

Mais encor? - Le collier dont je suis attaché

De ce que vous voyez est peut-être la cause.

- Attaché! dit le loup: vous ne courez donc pas

Où vous voulez? Pas toujours; mais qu'importe? Il importe si bien, que de tous vos repas

Je ne veux en aucune sorte,

Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor."
Cela dit, maître loup s'enfuit, et court encor.

[blocks in formation]

17. Le Lion et le Rat

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde :
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,

Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un lion

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.
Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire ?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts
Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps

Font plus que force ni que rage.

18. La Colombe et la Fourmi

L'autre exemple est tiré d'animaux plus petits.

Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe:
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe,
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.
La colombe aussitôt usa de charité;

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.
Elle se sauve; et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus.
Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.

Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,

Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmis le pique au talon :

Le

Le vilain retourne la tête;

La colombe l'entend, part, et tire de long. souper du croquant avec elle s'envole: Point de pigeon pour une obole.

5

ΙΟ

15

19. Le Lièvre et les Grenouilles

Un lièvre en son gîte songeait

(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?) Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait :

Cet animal est triste, et la crainte le ronge.

"Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux :

20

25

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite;
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.

5

ΙΟ

15

20

25

Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle ?

Je crois même qu'en bonne foi

Les hommes ont peur comme moi.”
Ainsi raisonnait notre lièvre,

Et cependant faisait le guet.

Il était douteux, inquiet:

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
"Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire! Ma présence
Effraye aussi les gens ! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?

Comment? des animaux qui tremblent devant moi !
Je suis donc un foudre de guerre.

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi."

20. Le Coq et le Renard

Sur la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.

"Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

Nous ne sommes plus en querelle :
Paix générale cette fois.

« PreviousContinue »