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Son seul espoir étoit certain trafic

Qu'il prétendoit devoir remplir sa bourse:
Espoir douteux, incertaine ressource.
Il étoit dit que tout seroit fatal

A notre époux; ainsi tout alla mal :
Ses agents, tels que la plupart des nôtres,
En abusoient: il perdit un vaisseau,
Et vit aller le commerce à vau-l'eau,
Trompé des uns, mal servi par les autres.
Il emprunta. Quand ce vint à payer,
Et qu'à sa porte il vit le créancier,
Force lui fut d'esquiver par la fuite,
Gagnant les champs, où de l'âpre poursuite
Il se sauva chez un certain fermier,
En certain coin remparé de fumier.
A Mathéo, c'étoit le nom du sire,
Sans tant tourner il dit ce qu'il étoit :
Qu'un double mal chez lui le tourmentoit,
Ses créanciers, et sa femme encor pire:
Qu'il n'y savoit remède que d'entrer
Au corps des gens, et de s'y remparer,
D'y tenir bon: iroit-on là le prendre?
Dame Honesta viendroit-elle y prôner
Qu'elle a regret de se bien gouverner?
Chose ennuyeuse, et qu'il est las d'entendre:
Que de ces corps trois fois il sortiroit,
Sitôt que lui Mathéo l'en prieroit.

Trois fois sans plus; et ce, pour récompense
De l'avoir mis à couvert des sergents.

Tout aussitôt l'ambassadeur commence

Avec grand bruit d'entrer au corps des gens.
Ce que le sien, ouvrage fantastique,
Devint alors, l'histoire n'en dit rien.
Son coup d'essai fut une fille unique
Où le galant se trouvoit assez bien :
Mais Mathéo, moyennant grosse somme,
L'en fit sortir au premier mot qu'il dit.
C'étoit à Naple. Il se transporte à Rome;
Saisit un corps: Mathéo l'en bannit,

Le chasse encore: autre somme nouvelle.
Trois fois enfin, toujours d'un corps femelle,
Remarquez bien, notre diable sortit.

Le roi de Naple avoit lors une fille,
Honneur du sexe, espoir de sa famille :
Maint jeune prince étoit son poursuivant.
Là d'Honesta Belphegor se sauvant,
On ne le put tirer de cet asile.

Il n'étoit bruit, aux champs comme à la ville,
Que d'un manant qui chassoit les esprits.
Cent mille écus d'abord lui sont promis.
Bien affligé de manquer cette somme
(Car les trois fois l'empêchoient d'espérer
Que Belphegor se laissât conjurer),
Il la refuse: il se dit un pauvre homme,
Pauvre pécheur, qui, sans savoir comment,
Sans dons du ciel, par hasard seulement,
De quelques corps a chassé quelque diable,
Apparemment chétif et misérable,

Et ne connoît celui-ci nullement.
Il a beau dire: on le force, on l'amène,
On le menace; on lui dit que, sous peine
D'être pendu, d'être mis haut et court
En un gibet, il faut que sa puissance
Se manifeste avant la fin du jour.

Dès l'heure même on vous met en présence
Notre démon et son conjurateur :

D'un tel combat le prince est spectateur.
Chacun y court: n'est fils de bonne mère
Qui pour le voir ne quitte toute affaire.
D'un côté sont le gibet et la hart;
Cent mille écus bien comptés, d'autre part.
Mathéo tremble, et lorgne la finance.
L'esprit malin, voyant sa contenance,
Rioit sous cape, alléguoit les trois fois;
Dont Mathéo suoit dans son harnois,
Pressoit, prioit, conjuroit avec larmes,
Le tout en vain. Plus il est en alarmes,
Plus l'autre rit. Enfin le manant dit
Que sur ce diable il n'avoit nul crédit.
On vous le happe et mène à la potence.
Comme il alloit haranguer l'assistance,
Nécessité lui suggéra ce tour:

Il dit tout bas qu'on battît le tambour.
Ce qui fut fait. De quoi l'esprit immonde
Un peu surpris au manant demanda :
Pourquoi ce bruit? coquin, qu'entends-je là?
L'autre répond: C'est madame Honesta

Qui vous réclame, et va par tout le monde
Cherchant l'époux que le ciel lui donna.
Incontinent le diable décampa,

S'enfuit au fond des enfers, et conta
Tout le succès qu'avoit eu son voyage.
Sire, dit-il, le nœud du mariage
Damne aussi dru qu'aucuns autres états.
Votre grandeur voit tomber ici-bas,
Non par flocons, mais menu comme pluie,
Ceux que l'Hymen fait de sa confrérie;
J'ai par moi-même examiné le cas.
Non que de soi la chose ne soit bonne;
Elle eut jadis un plus heureux destin,
Mais, comme tout se corrompt à la fin,
Plus beau fleuron n'est en votre couronne.
Satan le crut: il fut récompensé,
Encor qu'il eût son retour avancé.

Car qu'eût-il fait? Ce n'étoit pas merveilles
Qu'ayant sans cesse un diable à ses oreilles,
Toujours le même, et toujours sur un ton,
Il fut contraint d'enfiler la venelle :
Dans les enfers, encore en change-t-on.
L'autre peine est, à mon sens, plus cruelle.
Je voudrois voir quelques gens y durer!
Elle eût à Job fait tourner la cervelle.

De tout ceci que prétends-je inférer?
Premièrement, je ne sais pire chose
Que de changer son logis en prison.

En second lieu, si par quelque raison
Votre ascendant à l'hymen vous expose,
N'épousez point d'Honesta, s'il se peut :
N'a pas pourtant une Honesta qui veut.

LATINS. Abst., 194.

FRANÇAIS. Le Febvre de Therouane, Matheolus, 1, 2, fol. 28; Facét. journées de G. Chappuis, journ. 11, nouv. 3. ITALIENS. Machiavel; Straparola, notte 2

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nov. 4.

On trouve en note dans la traduction française de Straparole, 1726: Un chanoine de Saint-Martin de Tours m'a dit que le mariage du diable, en 5 ou 6 lignes, se trouvoit dans un vieux manuscrit latin de cette église. LAINEZ.

FIN.

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