Page images
PDF
EPUB

Mais jusqu'au haut du mont! d'une haleine! il n'est pas
Au pouvoir d'un mortel; à moins que la figure
Ne soit d'un éléphant nain, pygmée, avorton,
Propre à mettre au bout d'un bâton :
Auquel cas, où l'honneur d'une telle aventure?
On nous veut attraper dedans cette écriture;
Ce sera quelque énigme à tromper un enfant :
C'est pourquoi je vous laisse avec votre éléphant.
Le raisonneur parti, l'aventureux se lance,
Les yeux clos, à travers cette eau.

Ni profondeur ni violence

Ne purent l'arrêter; et, selon l'écriteau,
Il vit son éléphant couché sur l'autre rive.
Il le prend, il l'emporte, au haut du mont arrive,
Rencontre une esplanade, et puis une cité.
Un cri par l'éléphant est aussitôt jeté :

Le peuple aussitôt sort en armes.

Tout autre aventurier, au bruit de ces alarmes,
Auroit fui celui-ci, loin de tourner le dos,
Veut vendre au moins sa vie et mourir en héros.
Il fut tout étonné d'ouïr cette cohorte
Le proclamer monarque au lieu de son roi mort.
Il ne se fit prier que de la bonne sorte;
Encor que le fardeau fût, dit-il, un peu fort.
Sixte en disoit autant quand on le fit saint père :
Seroit-ce bien une misère

Que d'être pape ou d'être roi?)

On reconnut bientôt son peu de bonne foi.

Fortune aveugle suit aveugle hardiesse.

Le sage quelquefois fait bien d'exécuter Avant que de donner le temps à la sagesse D'envisager le fait, et sans la consulter.

ORIENTAUX. Bidpaï, t. 1, p. 247.

FABLE XV.-(203.)

Les Lapins.

DISCOURS

A M. LE DUC DE LA ROCHEFOUCAULD.

Je me suis souvent dit, voyant de quelle sorte
L'homme agit, et qu'il se comporte

En mille occasions comme les animaux :

Le roi de ces gens-là n'a pas moins de défauts
Que ses sujets; et la nature

A mis dans chaque créature

Quelque grain d'une masse où puisent les esprits:
J'entends les esprits corps, et pétris de matière.
Je vais prouver ce que je dis.

A l'heure de l'affût, soit lorsque la lumière
Précipite ses traits dans l'humide séjour,
Soit lorsque le soleil rentre dans sa carrière,

Et

que, n'étant plus nuit, il n'est pas encor jour, Au bord de quelque bois sur un arbre je grimpe, Et, nouveau Jupiter, du haut de cet Olympe, Je foudroie à discrétion

Un lapin qui n'y pensoit guère.

Je vois fuir aussitôt toute la nation

Des lapins qui sur la bruyère,

L'œil éveillé, l'oreille au guet,

S'égayoient, et de thym parfumoient leur banquet.

Le bruit du coup fait que
S'en va chercher sa sûreté

Dans la souterraine cité.

la bande

Mais le danger s'oublie, et cette peur si grande
S'évanouit bientôt : je revois les lapins,

Plus gais qu'auparavant, revenir sous mes mains.

Ne reconnoît-on pas en cela les humains?
Dispersés par quelque orage,

A peine ils touchent le port,
Qu'ils vont hasarder encor
Même vent, même naufrage:
Vrais lapins, on les revoit

Sous les mains de la Fortune.

Joignons à cet exemple une chose commune.

Quand des chiens étrangers passent par quelque endroit

Qui n'est pas de leur détroit,

Je laissse à penser quelle fête !

Les chiens du lieu, n'ayant en tête
Qu'un intérêt de gueule, à cris, à coups de dents
Vous accompagnent ces passants

Jusqu'aux confins du territoire.

Un intérêt de bien, de grandeur et de gloire
Aux gouverneurs d'états, à certains courtisans,
gens de tous métiers, en fait tout autant faire.
On nous voit tous, pour l'ordinaire,

Α

Piller le survenant, nous jeter sur sa peau.
La coquette et l'auteur sont de ce caractère :
Malheur à l'écrivain nouveau !

Le moins de gens qu'on peut à l'entour du gâteau;
C'est le droit du jeu, c'est l'affaire.

Cent exemples pourroient appuyer mon discours: . Mais les ouvrages les plus courts

Sont toujours les meilleurs. En cela j'ai pour guide Tous les maîtres de l'art, et tiens qu'il faut laisser Dans les plus beaux sujets quelque chose à penser: Ainsi ce discours doit cesser.

Vous, qui m'avez donné ce qu'il a de solide,
Et dont la modestie égale la grandeur,
Qui ne pûtes jamais écouter sans pudeur
La louange la plus permise,

La plus juste et la mieux acquise;

Vous enfin, dont à peine ai-je encore obtenu
Que votre nom reçût ici quelques hommages,
Du temps et des censeurs défendant mes ouvrages,
Comme un nom qui, des ans et des peuples connu,
Fait honneur à la France, en grands noms plus féconde
Qu'aucun climat de l'univers,

Permettez-moi.du moins d'apprendre à tout le monde
Que vous m'avez donné le sujet de ces vers.

« PreviousContinue »