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FABLE VI, — (175.)

Le Statuaire et la Statue de Jupiter.

Un bloc de marbre étoit si beau,
Qu'un statuaire en fit l'emplette.
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il dieu, table ou cuvette?

Il sera dieu : même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains; faites des vœux :
Voilà le maître de la terre.

L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'idole,

Qu'on trouva qu'il ne manquoit rien

A Jupiter que la parole:

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image,
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

A la foiblesse du sculpteur

Le poëte autrefois n'en dut guère,
Des dieux dont il fut l'inventeur
Craignant la haine et la colère :

Il étoit enfant en ceci;

Les enfants n'ont l'âme occupée
Que du continuel souci

Qu'on ne fâche point leur poupée.

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne, qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Ils embrassoient violemment
Les intérêts de leur chimère :
Pygmalion devint amant

De la Vénus dont il fut père.

Chacun tourne en réalités,

Autant qu'il peut, ses propres songes:
L'homme est de glace aux vérités,

Il est de feu pour les mensonges.

LATINS. Hor., l. 1, sat. vi, v. 1 et s.; Av., 23; R. Holk., lect. 153. ORIENTAUX. Isaïe, c. tv, versets 13, 14, 15, 16, 17.

FABLE VII. — (176.)

La Souris métamorphosée en Fille.

Une souris tomba du bec d'un chat-huant:
Je ne l'eusse pas ramassée;

Mais un bramin le fit : je le crois aisément;
Chaque pays a sa pensée.

La souris étoit fort froissée.

De cette sorte de prochain

Nous nous soucions peu mais le peuple bramin
Le traite en frère. Ils ont en tête

Que notre âme, au sortir d'un roi,

Entre dans un ciron, ou dans telle autre bête
Qu'il plaît au Sort : c'est là l'un des points de leur loi,
Pythagore chez eux a puisé ce mystère.

Sur un tel fondement le bramin crut bien faire

De prier un sorcier qu'il logeât la souris

Dans un corps qu'elle eût eu pour hôte au temps jadis.

Le sorcier en fit une fille

De l'âge de quinze ans, et telle et si gentille,
Que le fils de Priam pour elle auroit tenté
Plus encor qu'il ne fit pour la grecque beauté.
Le bramin fut surpris de chose si nouvelle.
Il dit à cet objet si doux :

Vous n'avez qu'à choisir; car chacun est jaloux
De l'honneur d'être votre époux.

En ce cas je donne, dit-elle,

Ma voix au plus puissant de tous.

Soleil, s'écria lors le bramin à

genoux,

C'est toi qui seras notre gendre.

Non, dit-il; ce nuage épais

Est plus puissant que moi, puisqu'il cache mes traits : Je vous conseille de le prendre.

Eh bien, dit le bramin au nuage volant,

Es-tu né pour ma fille?— Hélas! non; car le vent
Me chasse à son plaisir de contrée en contrée :
Je n'entreprendrai point sur les droits de Borée
Le bramin fâché s'écria:

O vent, donc, puisque vent y a,

Viens dans les bras de notre belle !
Il accouroit: un mont en chemin l'arrêta.
L'éteuf passant à celui-là,

Il le renvoie, et dit : J'aurois une querelle
Avec le rat; et l'offenser

Ce seroit être fou, lui qui peut me percer.
Au mot de rat, la demoiselle

Ouvrit l'oreille : il fut l'époux.

Un rat! un rat : c'est de ces coups
Qu'Amour fait; témoin telle et telle;
Mais ceci soit dit entre nous.

On tient toujours du lieu dont on vient. Cette fable
Prouve assez bien ce point. Mais, à la voir de près,
Quelque peu de sophisme entre parmi ses traits:
Car quel époux n'est point au soleil préférable,
En s'y prenant ainsi? Dirai-je qu'un géant
Est moins fort qu'une puce? Elle le mord pourtant.
Le rat devoit aussi renvoyer, pour bien faire,

La belle au chat, le chat au chien,
Le chien au loup. Par le moyen
De cet argument circulaire,
Pilpay jusqu'au Soleil eût enfin remonté;
Le Soleil eût joui de la jeune beauté.
Revenons, s'il se peut, à la métempsycose :
Le sorcier du bramin fit sans doute une chose
Qui, loin de la prouver, fait voir sa fausseté.
Je prends droit là-dessus contre le bramin même;
Car il faut, selon son système,

Que l'homme, la souris, le ver, enfin chacun
Aille puiser son âme en un trésor commun :
Toutes sont donc de même trempe;

Mais, agissant diversement

Selon l'organe seulement,

L'une s'élève, et l'autre rampe.

D'où vient donc que ce corps si bien organisé
Ne put obliger son hôtesse

De s'unir au Soleil? Un rat eut sa tendresse.

Tout débattu, tout bien pesé,

Les âmes des souris et les âmes des belles
Sont très-différentes entre elles;
Il en faut revenir toujours à son destin,
C'est-à-dire, à la loi par le ciel établie;

Parlez au diable, employez la magie,

Vous ne détournerez nul être de sa fin.

LATINS. Sanct. Hier., quæst. sup. Genes., pag. 1319; Jac. de Lenda, fol. 41, 1o.

FRANÇAIS. Mar. de Fr., 64; Basnage, Hist. du peuple juif.
ORIENTAUX. Bidpaï, t. 2, p. 385.

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