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FABLE IV.—(173.)

Le Gland et la Citrouille.

Dieu fait bien ce qu'il fait. Sans en chercher la
En tout cet univers, et l'aller parcourant,
Dans les citrouilles je la treuve.

Un villageois, considérant

Combien ce fruit est gros et sa tige menue,
A quoi songeoit, dit-il, l'auteur de tout cela?
Il a bien mal placé cette citrouille-là !

Hé parbleu ! je l'aurois pendue

A l'un des chênes que voilà;
C'eût été justement l'affaire :

Tel fruit, tel arbre, pour bien faire.

C'est dommage, Garo, que tu n'es point entré
Au conseil de celui que prêche ton curé;

Tout en eût été mieux : car pourquoi, par exemple,

Le gland, qui n'est pas gros comme mon petit doigt, Ne pend-il pas en cet endroit?

Dieu s'est mépris : plus je contemple

Ces fruits ainsi placés, plus il semble à Garo
Que l'on a fait un quiproquo.

Cette réflexion embarrassant notre homme:

On ne dort point, dit-il, quand on a tant d'esprit. Sous un chêne aussitôt il va prendre son somme. Un gland tombe le nez du dormeur en pâtit.

Il s'éveille; et, portant la main sur son visage,
Il trouve encor le gland pris au poil du menton.
Son nez meurtri le force à changer de langage :
Oh! oh! dit-il, je saigne! Et que seroit-ce donc
S'il fût tombé de l'arbre une masse plus lourde,
Et que ce gland eût été gourde?

Dieu ne l'a pas voulu : sans doute il eut raison;
J'en vois bien à présent la cause.

En louant Dieu de toute chose
Garo retourne à la maison.

GRECS. St. Cyr., l. 2, c. 14; l. 3, c. 13.

LATINS. P. Crinitas (P. Riccio), de honest. discipl., l. 2; Phil., 10; J. Raul., de matrim., serm. 3.

Quercus enim pulchra et alta non fert nisi glandem pro fructu: qui fructus est porcorum; vitis verò vilis arbor et tortuosa fert optimum vinum, Deum et homines latificans.

FRANCAIS. Guill. Haud., 262; Tabarin, fol. 8, r°.

Si la nature a fait quelque chose en vain.

GRATELARD. Mon maître, nous sommes entrez aujourd'hui en grande dispute, moi et un philosophe. Nous promenions dans un jardin de la pateripatetienne. Je voulois soutenir que la nature faisoit de grands manquements en ce qu'elle produisoit; et lui, me disoit le contraire.

LE MAITRE. Et outre ce que la nature produit, elle se montre mère commune et libérale.

GRATEL.

ce qu'il disoit, être vrai.

. J'ai enfin été contraint d'avouer au philosophe,

LE MAÎTRE. On ne le peut nier qu'on ne désassamble quand et quant le lien et l'union qui conjoignent et soutiennent les choses de la nature. GRATEL. Qui; mais je vais vous enseigner comment il a fallu lui accorder son opinion.

LE MAÎTRE. Comment cela s'est-il pratiqué, Gratelard ?

GRATEL. En me promenant, comme j'ai déjà dit, dans ce jardin, j'ai aperçu une grosse citrouille : par ma foi, c'étoit un grand tambour de Suisse qui étoit pendu en l'air : j'admirois comme la nature avoit eu

si peu d'esprit de dire qu'un si gros fruit fût soutenu par une si petite queue qui, au moindre vent, se pouvoit rompre.

LE MAÎTRE. Tu accusois la nature sur ce sujet ?

GRATEL. Je l'accusois d'indiscrétion, comme de vrai, il y devroit avoir une proportion inter sustinentem et sustinendum; mais, quand j'ai été plus avant dans le bois qui est à l'autre extrémité du jardin, j'ai bien changé d'opinion.

LE MAÎTRE. Tu as connu enfin que la nature ne produit rien qu'avec grande considération,

GRATEL. Par la mordienne, j'étois perdu si elle eût fait autrement: car en passant par-dessous un grand chesne, j'entendois chanter un oiseau qui, par son doux ramage, m'arresta tout court, et, comme je voulois regarder en haut, un gland me tomba sur le nez : je fus alors contraint d'avouer que la nature avoit bien fait; car si elle eût mis une citrouille au sommet d'un chesne, cela m'cût fort bien cassé le nez.

LE MAÎTRE. Il l'eût fait beau voir avec ton nez en escharpe, boire dans une bouteille, Gratelard.

GRATEL. Je jure la Géorgique de Virgile, mon maître, que c'étoit là le moyen par où la nature me pouvoit empecher de porter des lunettes dans ma vieillesse, etc. etc.

On pardonnera, nous l'espérons, la réimpression de ce fragment d'une farce fort rare aujourd'hui. Il a fallu l'autorité des autres commentateurs de La Fontaine pour nous décider à citer les fables des auteurs indiqués: elles ne conviennent nullement au sujet traité par notre fabuliste.

FABLE V.-(174.)

L'Écolier, le Pédant, et le Maître d'un jardin.

Certain enfant qui sentoit son collége,
Doublement sot et doublemeut fripon
Par le jeune âge et par le privilége
Qu'ont les pédants de gâter la raison,
Chez un voisin déroboit, ce dit-on,
Et fleurs et fruits. Ce voisin en automne
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avoit la fleur, les autres le rebut.

Chaque saison apportoit son tribut :
Car au printemps il jouissoit encore

Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour dans son jardin il vit notre écolier,
Qui, grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gâtoit jusqu'aux boutons, douce et frêle espérance
Avant-coureurs des biens que promet l'abondance:
Même il ébranchoit l'arbre; et fit tant à la fin
Que le possesseur du jardin

Envoya faire plainte au maître de la classe.
Celui-ci vint suivi d'un cortège d'enfants :
Voilà le verger plein de gens

Pires que le premier. Le pédant, de sa grâce,
Accrut le mal en amenant

Cette jeunesse mal instruite :

Le tout, à ce qu'il dit, pour faire un châtiment

Qui pût servir d'exemple, et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d'une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,

Avec force traits de science.

Son discours dura tant, que la maudite engeance Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.

Je hais les pièces d'éloquence

Hors de leur place, et qui n'ont point de fin; Et ne sais bête au monde pire

Que l'écolier, si ce n'est le pédant.

Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire, Ne me plairoit aucunement.

LATINS. Virg., Georg., c. vi, v. 134:

Primus vere rosam, atque autumno carpere poma.

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