Le Renard, le Singe et les Animaux.
Les animaux, au décès d'un lion, En son vivant prince de la contrée, Pour faire un roi s'assemblèrent, dit-on. De son étui la couronne est tirée : Dans une chartre un dragon la gardoit. Il se trouva que, sur tous essayée, A pas un d'eux elle ne convenoit : Plusieurs avoient la tête trop menue, Aucuns trop grosse, aucuns même cornue. Le singe aussi fit l'épreuve en riant; Et, par plaisir, la tiare essayant, Il fit autour force grimaceries, Tours de souplesse et mille singeries, Passa dedans ainsi qu'en un cerceau. Aux animaux cela sembla si beau,
Qu'il fut élu chacun lui fit hommage. Le renard seul regretta son suffrage, Sans toutefois montrer son sentiment. Quand il eut fait son petit compliment, Il dit au roi Je sais, sire, une cache, Et ne crois pas qu'autre que moi la sache. Or tout trésor, par droit de royauté, Appartient, sire, à votre majesté.
Le nouveau roi bâille après la finance :
Lui-même y court, pour C'étoit un piége; il y fut attrapé. Le renard dit, au nom de l'assistance: Prétendrois-tu nous gouverner encor, Ne sachant pas te conduire toi-même ? Il fut démis, et l'on tomba d'accord Qu'à peu de gens convient le diadème.
GRECS. ES.-Cor., 29; II 29.
LATINS. Faern., 75; J. Posth., 29.
FRANÇAIS. Mar. de Fr., 22; G. Corr., 63; Guill. Haud., 39, 227; Bens., 33.
ITALIENS. Ces. Pav., 27, 74; Verdizz., 73.
Le Mulet se vantant de sa généalogie.
Le mulet d'un prélat se piquoit de noblesse, Et ne parloit incessamment Que de sa mère la jument,
Dont il contoit mainte prouesse. Elle avoit fait ceci, puis avoit été là. Son fils prétendoit pour cela
Qu'on le dût mettre dans l'histoire. Il eût cru s'abaisser servant un médecin. Étant devenu vieux, on le mit au moulin : Son père l'âne alors lui revint en mémoire.
Quand le malheur ne seroit bon Qu'à mettre un sot à la raison, Toujours seroit-ce à juste cause Qu'on le dit bon à quelque chose.
GRECS. ES.-Cor., 140; H 140.
LATINS. Faern, 33; J. Posth., 122; Alb. Fred. Mellem., del poët. Germ., part. 4, p. 493; fab. extrav. 1; Freitag., 20.
FRANÇAIS. Le Cast., 3; Amyot-Plut., Banq. des vii sages; Jul. Mach.Extrav., 1; Guill. Haud., 230; G. Corr., 86; P. Despr., 57; Bens., 171. ITALIENS. Ces. Pav., 35; Verdizz., 5.
ESPAGNOLS. Ysopo-Extrav., 1.
ALLEMANDS. H. Steinh.-Extrav., 1.
HOLLANDAIS. Esopus-Extrav., I.
Un vieillard sur son àne aperçut, en passant, Un pré plein d'herbe et fleurissant; Il y lâche sa bête et le grison se rue Au travers de l'herbe menue,
Se vautrant, grattant et frottant, Gambadant, chantant et broutant, Et faisant mainte place nette. L'ennemi vient sur l'entrefaite. Fuyons, dit alors le vieillard.
Pourquoi? répondit le paillard:
Me fera-t-on porter double bât, double charge?
dit le vieillard, qui prit d'abord le large. que m'importe donc, dit l'âne, à qui je sois? Sauvez-vous, et me laissez paître.
Notre ennemi, c'est notre maître :
Je vous le dis en bon françois.
GRECS. Es.-Camer., f. 295.
LATINS. Phædr., 15; Abst., 8.
FRANÇAIS. M.***, 5; Guill. Haud., 275. ITALIENS. Verdizz., 98.
Le Cerf se voyant dans l'eau.
Dans le cristal d'une fontaine Un cerf se mirant autrefois Louoit la beauté de son bois,
Et ne pouvoit qu'avecque peine Souffrir ses jambes de fuseaux,
Dont il voyoit l'objet se perdre dans les eaux. Quelle proportion de mes pieds à ma tête! Disoit-il en voyant leur ombre avec douleur; Des taillis les plus hauts mon front atteint le faîte; Mes pieds ne me font point d'honneur. Tout en parlant de la sorte,
Un limier le fait partir. Il tâche à se garantir;
Dans les forêts il s'emporte :
Son bois, dommageable ornement, L'arrêtant à chaque moment, Nuit à l'office que lui rendent
Ses pieds, de qui ses jours dépendent. Il se dédit alors, et maudit les présents Que le ciel lui fait tous les ans.
Nous faisons cas du beau, nous méprisons l'utile: Et le beau souvent nous détruit.
Ce cerf blâme ses pieds qui le rendent agile : Il estime un bois qui lui nuit.
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