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FABLE XIII. (155.)

Tircis et Amarante.

POUR MADEMOISELLE DE SILLERY.

J'avois Ésope quitté,

Pour être tout à Bocace:

Mais une divinité

Veut revoir sur le Parnasse

Des fables de ma façon.
Or, d'aller lui dire, non,
Sans quelque valable excuse;
Ce n'est pas comme on en use
Avec des divinités,

Surtout quand ce sont de celles
Que la qualité de belles
Fait reines des volontés.

Car, afin que l'on le sache,
C'est Sillery qui s'attache
A vouloir que, de nouveau,
Sire loup, sire corbeau,
Chez moi se parlent en rime.
Qui dit Sillery dit tout:
Peu de gens en leur estime
Lui refusent le haut bout;

Comment le pourroit-on faire?

Pour venir à notre affaire,
Mes contes, à son avis,

Sont obscurs les beaux esprits
N'entendent pas toute chose.
Faisons donc quelques récits
Qu'elle déchiffre sans glose:

Amenons des bergers; et puis nous rimerons
disent entre eux les loups et les moutons.

Ce

que

Tircis disoit un jour à la jeune Amarante :
Ah! si vous connoissiez comme moi certain mal
Qui nous plaît et qui nous enchante,
Il n'est bien sous le ciel qui vous parût égal!
Souffrez qu'on vous le communique;
Croyez-moi, n'ayez point de peur:

Voudrois-je vous tromper, vous, pour qui je me pique
Des plus doux sentiments que puisse avoir un cœur?
Amarante aussitôt réplique:

Comment l'appelez-vous, ce mal? quel est son nom?
-L'amour.-Ce mot est beau! dites-moi quelques marques
A quoi je le pourrai connoître : que sent-on?
-Des peines près de qui le plaisir des monarques
Est ennuyeux et fade: on s'oublie, on se plaît

Toute seule en une forêt.

Se mire-t-on près d'un rivage,

Ce n'est pas soi qu'on voit; on ne voit qu'une image
Qui sans cesse revient, et qui suit en tous lieux:
Pour tout le reste on est sans yeux.

Il est un berger du village

Dont l'abord, dont la voix, dont le nom fait rougir:

On soupire à son souvenir;

On ne sait pas pourquoi, cependant on soupire: On a peur de le voir, encor qu'on le désire. Amarante dit à l'instant:

Oh! oh! c'est là ce mal que vous me prêchez tant!
Il ne m'est pas nouveau; je pense le connoître.
Tircis à son but croyoit être,

Quand la belle ajouta : Voilà tout justement
Ce que je sens pour Clidamant.

L'autre pensa mourir de dépit et de honte.

Il est force gens comme lui,

Qui prétendent n'agir que pour leur propre compte, Et qui font le marché d'autrui.

FRANÇAIS. Boileau.

Tout me fait peine,
Et, depuis un jour,

Je crois, Clymène,

Que j'ai de l'amour.

Cette nouvelle

Vous met en courroux !

Tout beau, cruelle,

Ce n'est pas pour vous.

Note de Brossette sur cette épigramme de Boileau.

L'auteur fit ces vers dans sa première jeunesse, sur l'air d'une sarabande que l'on chantoit alors. La Fontaine a rimé la même pensée dans la fable intitulée Tircis et Amarante.

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La femme du lion mourut;
Aussitôt chacun accourut

Pour s'acquitter envers le prince
De certains compliments de consolation,
Qui sont surcroît d'affliction.
Il fit avertir sa province

Que les obsèques se feroient

Un tel jour, en tel lieu; ses prévôts y seroient

Pour régler la cérémonie,

Et pour placer la compagnie.
Jugez si chacun s'y trouva.

Le prince aux cris s'abandonna,
Et tout son antre en résonna:

Les lions n'ont point d'autre temple.
On entendit, à son exemple,

Rugir en leur patois messieurs les courtisans.

Je définis la cour un pays

où les gens,

Tristes, gais, prêts à tout, à tout indifférents,

Sont ce qu'il plaît au prince, ou, s'ils ne peuvent l'être,
Tâchent au moins de le paroître.

Peuple caméléon, peuple singe du maître,
On diroit qu'un esprit anime mille corps :

C'est bien là que les gens sont de simples ressorts.

Pour revenir à notre affaire,

Le cerf ne pleura point. Comment l'eût-il pu faire?
Cette mort le vengeoit : la reine avoit jadis
Étranglé sa femme et son fils.

Bref, il ne pleura point. Un flatteur l'alla dire,
Et soutint qu'il l'avoit vu rire.

La colère du roi, comme dit Salomon,
Est terrible, et surtout celle du roi lion:
Mais ce cerf n'avoit pas accoutumé de lire.
Le monarque lui dit : Chétif hôte des bois :
Tu ris, tu ne suis pas ces gémissantes voix !
Nous n'appliquerons point sur tes membres profanes
Nos sacrés ongles: venez, loups,
Vengez la reine; immolez tous,
Ce traître à ses augustes mânes.

Le cerf reprit alors: Sire, le temps des pleurs

Est passé la douleur est ici superflue.

:

Votre digne moitié, couchée entre des fleurs,
Tout près d'ici m'est apparue;

Et je l'ai d'abord reconnue.

Ami, m'a-t-elle dit, garde que ce convoi

Quand je vais chez les dieux, ne t'oblige à des larmes :
Aux champs élysiens j'ai goûté mille charmes,
Conversant avec ceux qui sont saints comme moi.
Laisse agir quelque temps le désespoir du roi :
J'y prends plaisir. A peine on eut ouï la chose,
Qu'on se mit à crier : Miracle ! Apothéose!
Le cerf eut un présent, bien loin d'être puni.

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