FABLE VI.—(148.) Les Femmes et le Secret. Rien ne pèse tant qu'un secret : Le porter loin est difficile aux dames; Et je sais même sur ce fait Bon nombre d'hommes qui sont femmes. Pour éprouver la sienne, un mari s'écria, Quoi! j'accouche d'un œuf!- D'un œuf?-Oui, le voilà Ainsi que sur mainte autre affaire, Crut la chose, et promit ses grands dieux de se taire. Mais ce serment s'évanouit Avec les ombres de la nuit. L'épouse, indiscrète et peu fine, Sort du lit quand le jour fut à peine levé, Et de courir chez sa voisine: Ma commère, dit-elle, un cas est arrivé; N'en dites rien surtout, car vous me feriez battre : Mon mari vient de pondre un œuf gros comme quatre. Au nom de Dieu, gardez-vous bien D'aller publier ce mystère. Vous moquez-vous ? dit l'autre: ah! vous ne savez guère La femme du pondeur s'en retourne chez elle. Ce n'est pas encor tout, car une autre commère Car ce n'étoit plus un secret. Comme le nombre d'œufs, grâce à la renommée, De bouche en bouche alloit croissant, Avant la fin de la journée Ils se montoient à plus d'un cent. LATINS. Helyn, c. 125; J. Her., serm. 50; Prompt. exempl., de obed.; Abst., 128; Hulsb., p. 4, FRANÇAIS. Le chev. de la Tour Landry, fol. 39, 68; L. Dup., fol. 133, 164; Amyot.-Plut., du trop parler, § 16; Le Febvr. de Ther.; Rab., 1. 3, c. 33; Eutrap., c. 33; Fleurs des comm. de Dieu, n. 54. ་་་་་་་་་་་ FABLE VII.-(149.) Le Chien qui porte à son cou le diné de son Maître. Nous n'avons pas les yeux à l'épreuve des belles, Peu de gens gardent un trésor Certain chien, qui portoit la pitance au logis, Mais enfin il l'étoit : et, tous tant que nous sommes, Ce chien-ci donc étant de la sorte atourné, Qu'il espéroit d'abord : le chien mit bas la proie Sur le public, et craignent peu les coups. Notre chien, se voyant trop foible contre eux tous, que la chair couroit un danger manifeste, Et Voulut avoir sa part: et, lui sage, il leur dit : A ces mots, le premier, il vous happe un morceau; A qui mieux mieux : ils firent tous ripaille; Je crois voir en ceci l'image d'une ville Tout fait sa main : le plus habile Donne aux autres l'exemple; et c'est un passe-temps Il n'a pas de peine à se rendre : FABLE VIII. — (150.) Le Rieur et les Poissons. On cherche les rieurs, et moi je les évite. Les méchants diseurs de bons mots. Que quelqu'un trouvera que j'aurai réussi. Un rieur étoit à la table D'un financier, et n'avoit en son coin Que de petits poissons tous les gros étoient loin. Le rieur alors, d'un ton sage, Dit qu'il craignoit qu'un sien ami, N'eût depuis un an fait naufrage. Il s'en informoit donc à ce menu fretin: Mais tous lui répondoient qu'ils n'étoient pas d'un âge A savoir au vrai son destin; Les gros en sauroient davantage. N'en puis-je donc, messieurs, un gros interroger? |