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qu'ils ne voient rien au-delà. Il ne peuvent au plus qu'être les premiers d'une seconde classe, et exceller dans le médiocre.

que

Il y a des esprits (1), si j'ose le dire, inférieurs et subalternes, qui ne semblent faits que pour être le recueil, le registre, ou le magasin de toutes les productions des autres génies. Ils sont plagiaires, traducteurs, compilateurs: ils ne pensent point, ils disent ce que les auteurs ont pensé; et comme le choix des pensées est invention, ils l'ont mauvais, peu juste, et qui les détermine plutôt à rapporter beaucoup de choses, d'excellentes choses: ils n'ont rien d'original et qui soit à eux: ils ne savent que ce qu'ils ont appris; et ils n'apprennent que ce que tout le monde veut bien ignorer, une science vaine, aride, dénuée d'agrément et d'utilité, qui ne tombe point dans la conversation, qui est hors du commerce, semblable à une monnaie qui n'a point de cours. On est tout-à-la-fois étonné de leur lecture et ennuyé de leur entretien ou de leurs ouvrages. Ce sont ceux que les grands et le vulgaire confondent avec les savants, et que les sages renvoient au pédantisme.

La critique souvent n'est pas une science: c'est un métier où il faut plus de santé que

d'esprit,

(1) Méuage.

plus de travail que de capacité, plus d'habitude. que de génie. Si elle vient d'un homme qui ait moins de discernement que de lecture, et qu'elle s'exerce sur de certains chapitres, elle corrompt et les lecteurs et l'écrivain:

a

Je conseille (1) à un auteur né copiste, et qui

l'extrême modestie de travailler d'après quelqu'un, de ne se choisir pour exemplaires que ces sortes d'ouvrages où il entre de l'esprit, de l'imagination, ou même de l'érudition : s'il n'atteint pas ses originaux, du moins il en approche, et il se fait lire. Il doit au contrairc éviter comme un écucil de vouloir imiter ceux qui écrivent par humeur, que le cœur fait parler, à qui il inspire les termes et les figures, et qui tirent, pour ainsi dire, de leurs entrailles tout ce qu'i's expriment sur le papier: dangereux modèles et tout propres à faire tomber dans le froid, dans le bas, et dans le ridicule, ceux qui s'ingèrent de les suivre. En effet, je rirais d'un homme qui voudrait sérieusement parler mon ton de voix, ou me ressembler de visage.

Un homme (2) né chrétien et Français se trouve contraint dans la satire : les grands sujets

(1) L'abbé de Villiers, qui avait été jésuite.

(2) Le Noble, natif de Troyes, ci-devant procureur général au parlement de Metz, a fait quantité d'ou

lui sont défendus; il les entame quelquefois, et se détourne ensuite sur de petites choses, qu'il par la beauté de son génie et de son

relève

style.

Il faut éviter le style vain et puéril, de peur de ressembler à Dorillas et Handbourg (1). L'on peut au contraire en une sorte d'écrits hasarder de certaines expressions, user de termes transposés et qui peignent vivement, et plaindre ceux qui ne sentent pas le plaisir qu'il y a à s'en servir ou à les entendre.

Celui qui n'a égard en écrivant qu'au goût de son siècle songe plus à sa personne qu'à ses écrits. Il faut toujours tendre à la perfection; et alors cette justice qui nous est quelquefois refusée par nos contemporains, la postérité sait nous la rendre.

Il ne faut point mettre un ridicule où il n'y en a point: c'est se gåter le goût, c'est corrompre

vrages d'esprit et d'érudition, entre autres, l'ESPRIT DE GERSON, qui a été mis à l'Index à Rome. Il a été détenu plusieurs années en prison, d'où il est enfin sorti après avoir fait amende honorable.

(1) Varillas et Maimbourg. Le P. Maimbourg, dit madame de Sévigné, lettre 116, a ramassé le délicat des mauvaises ruelles. Ce jugement s'accorde fort bien avec celui que La Bruyère porte ici du style de Handbourg. HAND, en anglais, signifie MAIN.

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DES OUVRAGES DE L'ESPRIT.

son jugement et celui des autres. Mais le ridicule qui est quelque part, il faut l'y voir, l'en tirer avec grace, et d'une manière qui plaise et qui instruise.

Horace, ou Despréaux, l'a dit avant yous. Je le crois sur votre parole, mais je l'ai dit comme inien. Ne puis-je pas penser après eux une chose vraie, et que d'autres encore penseront après moi!

QUI

CHAPITRE II.

Du Mérite personnel.

UI peut, avec les plus rares talents et le plus excellent mérite, n'être pas convaincu de sor inutilité, quand il considère qu'il laisse, en mourant, un monde qui ne se sent pas de sa perte, et où tant de gens se trouvent pour le remplacer?

De bien des gens il n'y a que le nom qui vaille quelque chose. Quand vous les voyez de fort près, c'est moins que rien: de loin ils imposent.

Tout persuadé que je suis que ceux que l'on choisit pour de différents emplois, chacun selon son génie et sa profession, font bien, je me hasarde de dire qu'il se peut faire qu'il y ait au monde plusieurs personnes connues ou incon

nues que l'on n'emploie pas, qui feraient trèsbien; et je suis induit à ce sentiment par le merveilleux succès de certaines gens que le hasard seul a placés, et de qui jusques alors on n'avait pas attendu de fort grandes choses.

Combien d'hommes admirables, et qui avaient de très-beaux génies, sont morts sans qu'on en ait parlé! Combien vivent encore dont on ne parle point et dont on ne parlera jamais!

Quelle horrible peine à un homme qui est sans prôneurs et sans cabale, qui n'est engagé dans aucun corps, mais qui est seul, et qui n'a que beaucoup de mérite pour toute recommanda tion, de se faire jour à travers l'obscurité où il se trouve, et de venir au niveau d'un fat qui est

en crédit!

Personne presque ne s'avise de lui-même du mérite d'un autre.

Les hommes sont trop occupés d'eux-mêmes pour avoir le loisir de pénétrer ou de discerner les autres: de là vient qu'avec un grand mérite et une plus grande modestie l'on peut être longtemps ignoré.

Le génie et les grands talents manquent souvent; quelquefois aussi les seules occasions: tels peuvent être loués de ce qu'ils ont fait, et tels de ce qu'ils auraient fait.

Il est moins rare de trouver de l'esprit que

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