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Je paffe condamnation au fujet de mon ode. Je 1737. conviens de toutes les fautes que vous me reprochez: mais loin de me rebuter, je vous importunerai encore avec quelques-unes de mes pièces que je vous prierai de vouloir corriger avec la même fincérité. Si je n'y profite autrement, je trouve toujours ce moyen heureux pour vous excroquer quelques bons vers.

Je paffe à préfent à la philofophie. Vous fuivez en tout la route des grands génies, qui, loin de se fentir animés d'une basse et vile jalousie, estiment le mérite où ils le rencontrent et le prifent fans prévention. Je vous fais des complimens à la place de M. Wolf fur la manière avantageufe dont vous vous expliquez fur fon fujet. Je vois, Monfieur, que vous avez très-bien compris les difficultés qu'il y a fur l'être fimple. Souffrez que j'y réponde.

Les géomètres prouvent qu'une ligne peut être divisée à l'infini ; que tout ce qui a deux côtés ou deux faces, ce qui revient au même, peut l'être également : mais, dans la propofition de M. Wolf, il ne s'agit, fi je ne me trompe, ni de lignes ni de points, il s'agit des unités ou parties indivisibles qui compofent la matière.

Perfonne ne peut ni ne pourra jamais les apercevoir donc on n'en peut avoir d'idée ; car nous n'avons d'idées nettes que des chofes qui tombent fous nos fens. M. Wolf dit tout ce que l'être fimple n'eft pas; il écarte l'efpace, la longueur, la largeur, &c. avec beaucoup de précaution, pour prévenir le raifonnement des géomètres qui n'eft plus applicable à fon être fimple, parce qu'il n'a aucune propriété de la matière. Notre philofophe fe fert de l'artifice de

St Paul, qui après nous avoir promenés jufque dans le fanctuaire des cieux, nous abandonne à notre 1737. propre imagination, fuppléant par le terme d'ineffable

à ce qu'il n'aurait pu expliquer fans donner prise fur lui.

Il me femble cependant qu'il n'y a rien de plus vrai, que toute chofe compofée doit avoir des parties. Ces parties en peuvent avoir à leur tour autant que vous en voudrez imaginer. Mais enfin il faut pourtant qu'on trouve des unités ; et faute de n'avoir pas l'organe des yeux et de l'attouchement affez fubtil, faute d'inftrumens affez délicats, nous ne décompoferons jamais la matière jusqu'à pouvoir trouver ces unités.

Que vous repréfentez-vous quand vous pensez à un régiment compofé de quinze cents hommes ? Vous vous repréfentez ces quinze cents hommes comme autant d'unités ou comme autant d'individus réunis fous un même chef. Prenons un de ces hommes feul: je trouve que c'eft un être fini, qui a de l'étendue, largeur, épaiffeur, &c. que cet être a des bornes, et par conféquent une figure: je trouve qu'il est divisible à l'infini. Pourrait-il être un être fini et infini en même temps? Non, car cela implique contradiction. Or, comme une chose ne faurait être et ne pas être en même temps, il faut néceffairement que l'homme ne foit pas infini: donc il n'eft pas divisible à l'infini; donc il y a des unités qui, prifes ensemble, font des nombres compofés; et ce font ces nombres, dès qu'ils font compofés, qu'on nomme matière.

Je vous abandonne volontiers le divin Ariftote, le

divin Platon, et tous les héros de la philofophie 1737. fcolaftique. C'étaient des hommes qui avaient recours à des mots pour cacher leur ignorance. Leurs disciples les en croyaient fur leur réputation ; et des fiècles entiers fe font contentés de parler fans s'entendre. Il n'eft plus permis de nos jours de fe fervir de mots que dans leur fens propre. M. Wolf donne la définition de chaque mot, il règle son usage; et ayant fixé les termes, il prévient beaucoup de difputes qui ne naiffent fouvent que d'un jeu de mots, ou de la différente fignification que les perfonnes y attachent.

Il n'y a rien de plus vrai que ce que vous dites de la métaphyfique; mais je vous avoue qu'indépendamment de cela, je ne faurais défendre à mon esprit, naturellement curieux, d'approfondir des myftères qui l'intéreffent beaucoup, et qui l'attirent par les difficultés qu'ils lui préfentent.

Vous me dites le plus poliment du monde que je fuis une bête. Je m'en étais bien douté un peu jufqu'à préfent; mais je commence à en être convaincu. A parler férieufement vous n'avez pas tort; et cette raison, prérogative dont les hommes tirent un fi glorieux avantage, qui eft-ce qui la possède? des hommes qui, pour vivre enfemble, ont été obligés de fe choisir des fupérieurs, et de se faire des lois, pour s'apprendre que c'était une injuftice de s'entretuer, de fe voler, &c. Ces hommes raisonnables fe font la guerre pour de vains argumens qu'ils ne comprennent pas ces êtres raifonnables ont cent religions différentes, toutes plus abfurdes les unes que les autres ; ils aiment à vivre long-temps, et se plaignent de la durée du temps et de l'ennui pendant

1737.

toute leur vie. Sont-ce-là les effets de cette raison qui les diftingue des brutes?

On peut m'objecter les favantes découvertes des géomètres, les calculs de M. Bernoulli et de Newton : mais en quoi ces gens-là étaient-ils plus raifonnables que les autres ? Ils paffaient toute leur vie à chercher des propofitions algébriques, des rapports de nombres; et ils ne tiraient aucun profit de la courte et briève durée de la vie.

Que j'approuve un philofophe qui fait fe délaffer auprès d'Emilie! Je fais bien que je préférerais infiniment fa connaiffance à celle du centre de gravité, de la quadrature du cercle, de l'or potable, et du péché contre le Saint-Esprit.

Vous parlez, Monfieur, en homme inftruit fur ce qui regarde les princes du Nord. Ils ont inconteftablement de grandes obligations à Luther et à Calvin, (pauvres gens d'ailleurs) qui les ont affranchis du joug des prêtres et de la cour romaine, et qui ont augmenté confidérablement leurs revenus par la fécu, larisation des biens eccléfiaftiques. Leur religion cependant n'eft pas purifiée de fuperftitieux et de bigots. Nous avons une fecte de béats qui ne reffemblent pas mal aux presbytériens d'Angleterre, et qui font d'autant plus infupportables qu'ils damnent avec beaucoup d'orthodoxie et fans appel tous ceux qui ne font pas de leur avis. On eft obligé de cacher fes fentimens pour ne fe point faire d'ennemis mal à propos. C'eft un proverbe commun, et qui eft dans la bouche de tout le monde, de dire : cet homme n'a ni foi ni loi. Cela vaut feul la décifion d'un concile. On vous damne, fans vous entendre, et on vous

perfécute, fans vous connaître. D'ailleurs, attaquer la 1737. religion reçue dans un pays, c'est attaquer dans fon dernier retranchement l'amour propre des hommes, qui leur fait préférer un fentiment reçu et la foi de leurs pères à toute autre créance, quoique plus raifonnable que la leur.

Je pense comme vous, Monfieur, fur M. Bayle. Cet indigne Jurieu qui le perfécutait, oubliait le premier devoir de toute religion, qui eft la charité. M. Bayle m'a paru d'ailleurs d'autant plus estimable, qu'il était de la fecte des académiciens qui ne fefaient que rapporter fimplement le pour et le contre des questions, fans décider témérairement fur des sujets dont nous ne pouvons découvrir que les abymes.

Il me femble que je vous vois à table, le verre à la main, vous reffouvenir de votre ami. Il m'eft plus flatteur que vous buviez à ma fanté, que de voir ériger en mon honneur les temples qu'on érigeait à Augufte. Brutus fe contentait de l'approbation de Caton les fuffrages d'un fage me suffisent.

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Que vous prêtez un fecours puiffant à mon amour propre je lui oppose fans ceffe l'amitié que vous avez pour moi; mais qu'il est difficile de fe rendre juftice! et combien ne doit-on pas être en garde contre la vanité à laquelle nous nous fentons une pente fi naturelle !

Mon petit ambaffadeur partira dans peu pour Cirey, muni d'un crédit et du portrait que vous voulez abfolument avoir. Des occupations militaires ont retardé fon départ. Il eft comme le Meffie annoncé: je vous en parle toujours et il n'arrive jamais. C'est à lui que je vous prie de remettre tout ce que vous

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