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1737.

Ils étaient par une longue et pénible habitude endurcis aux travaux; ils favaient endurer la faim, la foif, et tous les maux qu'entraîne après foi l'âpreté d'une longue guerre. Une rigoureuse et rigide difcipline les uniffait intimement ensemble, les fefait tous concourir à un même but, et les rendait propres à exécuter avec promptitude et vigueur les deffeins les plus vaftes de leurs généraux.

Quant aux premiers temps de l'histoire romaine, je me fuis vu engagé à foutenir fa vérité; et cela par un motif qui vous furprendra. Pour vous l'expliquer, je fuis obligé d'entrer dans un détail que je tâcherai d'abréger autant qu'il me fera poffible.

Il y a quelques années qu'on trouva dans un manufcrit du Vatican l'hiftoire de Romulus et de Remus, rapportée d'une manière toute différente de celle dont elle nous eft connue. Ce manuscrit fait foi que Remus s'échappa des poursuites de fon frère, et que pour se dérober à fa jalouse fureur, il fe réfugia dans les provinces feptentrionales de la Germanie, vers les rives de l'Elbe; qu'il y bâtit une ville fituée auprès d'un grand lac, à laquelle il donna fon nom; et qu'après fa mort, il fut inhumé dans une île qui s'élevant du fein des eaux, forme une espèce de montagne au milieu du lac.

Deux moines font venus ici il y a quatre ans, de la part part du pape, pour découvrir l'endroit que Remus a fondé, felon la defcription que je viens d'en faire. Ils ont jugé que ce devait être Remusberg, ou comme qui dirait Mont-Remus. Ces bons pères ont fait creuser dans l'île de toutes parts pour découvrir les cendres de Remus. Soit qu'elles n'aient pas été confervées

affez foigneufement, ou que le temps qui détruit tout, les ait confondues avec la terre; ce qu'il 1737. de fûr, c'eft qu'ils n'ont rien trouvé.

y a

Une chofe qui n'eft pas plus avérée que celle-là, c'est qu'il y a environ cent ans, en pofant les fondemens de ce château, on trouva deux pierres fur lefquelles était gravée l'hiftoire du vol des vautours. Quoique les figures aient été fort effacées, on en a pu reconnaître quelque chofe. Nos gothiques aïeux, malheureusement fort ignorans et peu curieux des antiquités, ont négligé de nous conferver ces précieux monumens de l'hiftoire, et nous ont par conféquent laiffés dans une incertitude obfcure fur la vérité d'un fait auffi important.

On a trouvé, il n'y a pas trois mois, en remuant la terre dans le jardin, une urne et des monnaies romaines; mais qui étaient fi vieilles, que le coin en était quafi tout effacé. Je les ai envoyées à M. de la Croze. Il a jugé que leur antiquité pouvait être de dix-fept à dix-huit fiècles.

J'espère, Monfieur, que vous me faurez gré de l'anecdote que je viens de vous apprendre, et qu'en fa faveur vous excuferez l'intérêt que je prends à tout ce qui peut regarder l'hiftoire d'un des fondateurs de Rome, dont je crois conferver la cendre. D'ailleurs on ne m'accuse point de trop de crédulité. Si je péche ce n'eft pas par fuperftition.

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Ma foi fe défiant même du vraisemblable,

En évitant l'erreur, cherche la vérité.

Le grand, le merveilleux approchent de la fable;

Le vrai fe reconnaît à la fimplicité.

L'amour de la vérité et l'horreur de l'injuftice 1737. m'ont fait embraffer le parti de M. Wolf. La vérité nue a peu de pouvoir fur l'efprit de la plupart des hommes; pour se montrer, il faut qu'elle foit revêtue du rang, de la dignité et de la protection des grands.

L'ignorance, le fanatifme, la fuperftition, un zèle aveugle, mêlé de jaloufie, ont poursuivi M. Wolf. Ce font eux qui lui ont imputé des crimes, jusqu'à ce qu'enfin le monde commence d'apercevoir l'aurore de fon innocence.

Je ne veux point m'arroger une gloire qui ne m'est point due, ni tirer vanité d'un mérite étranger. Je peux vous affurer que je n'ai point traduit la métaphyfique de M. Wolf; c'eft un de mes amis à qui l'honneur en eft dû. Un enchaînement d'événemens l'a conduit en Ruffie où il eft depuis quelques mois, quoiqu'il mérite un fort meilleur. Je n'ai d'autre part à cet ouvrage que de l'avoir occafionné, et celui de la correction. Le copiste tient le refte de cette traduction : je l'attends tous les jours; vous l'aurez dans peu.

Le fouvenir d'Emilie m'eft bien flatteur. Je vous prie de l'affurer que j'ai des fentimens très-diftingués pour elle, car l'Europe la compte au rang des plus grands hommes.

Que pourrais-je refuser à Newton venu à la plus haute science, revêtu des agrémens, de la beauté, des charmes et des grâces de la jeuneffe?

J'envoie cette lettre par le canal du fieur du Breuil, à l'adreffe que vous m'avez indiquée. Je crois qu'il ferait bon de prendre des mesures avec le maître de poste de Trèves pour régler notre petite correfpondance.

J'attendrai

J'attendrai que vous ayez pris des arrangemens avec lui avant de me fervir de cette voie.

Quand eft-ce que le plus grand homme de la France n'aura plus befoin de tant de précautions? Eft-ce que vos compatriotes feront les feuls à vous dénier la gloire qui vous eft due? Sortez de cette ingrate patrie, et venez dans un pays où vous ferez adoré. Que vos talens trouvent un jour dans cette nouvelle Athènes leur rémunérateur.

Amène dans ces lieux la foule des beaux arts,
Fais - nous part du tréfor de ta philosophie;
Des peuples de favans fuivront tes étendards:
Eclaire-les du feu de ton puissant génie.
Les myrtes, les lauriers, foignés dans ce canton,
Attendent que, cueillis par les mains d'Emilie,
Ils fervent quelque jour à te ceindre le front.
J'en vois crever Rousseau de fureur et d'envie.

Je viens de recevoir l'Enfant prodigue. Il eft plein de beaux endroits; il n'y manque que la dernière

main.

Vos lettres me font un plaifir infini; mais je vous avoue que je leur préférerais de beaucoup la fatisfaction de m'entretenir avec vous, et de vous affurer de vive voix de la plus parfaite estime avec laquelle je fuis à jamais, Monfieur,

votre très-affectionné ami,

FÉDÉRIC.

1737.

Correfp. du roi de P... &c.

Tome I. F

LETTRE X I X.

DE M. DE VOLTAIRE.

VOILA, Monfeigneur, les réflexions que vous

1737. m'avez ordonné de faire fur cette ode (*) dont votre

Alteffe royale a daigné embellir la poëfie française. Souffrez que je vous dise encore combien je fuis étonné de l'honneur que vous faites à notre langue; et fans fatiguer davantage votre modeftie de tout ce que m'infpire mon admiration, je suis venu au détail de chaque ftrophe. Après avoir cueilli avec votre Alteffe royale les fleurs de la poëfie, il faut paffer aux épines de la métaphyfique.

J'admire avec votre Alteffe royale l'esprit vaste et précis, la méthode, la fineffe de M. Wolf. Il me paraît qu'il y a de la honte à le perfécuter, et de la gloire à le protéger. Je vois avec un plaifir extrême que vous le protégez en prince, et que vous le jugez en philofophe.

Votre Alteffe royale a fenti, en efprit fupérieur, le point critique de cette métaphyfique, d'ailleurs admirable. Cet être fimple dont il parle, donne naiffance à bien des difficultés. Il y a, dit-il, art. XVI, des êtres fimples par-tout où il y a des êtres compofés. Voici fes propres paroles: S'il n'y avait pas ,, des êtres fimples, il faudrait que toutes les parties ,, les plus petites confiftaffent en d'autres parties; et "comme on ne pourrait indiquer aucune raison (*) Sur l'Oubli..

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