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DES EDITEURS.

CETTE correspondance entre les deux hommes les plus extraordinaires peut-être que la nature ait produits fur le trône et dans les lettres, eft une des parties les plus piquantes de cette nouvelle édition : elle commence en 1736 et finit en 1778. Nous ne préviendrons pas les réflexions que cette lecture fera naître: pour qu'elle foit intéreffante, il fuffit qu'elle puisse servir à faire mieux connaître deux grands

hommes.

L'un des deux, fans doute, eft bien connu, comme roi; par fa politique hardie et sage, où fon habileté confifte fur-tout à n'être jamais fin; par des victoires qu'il n'a dues fouvent qu'à lui feul; par fon génie dans l'art militaire, qui l'a élevé peut-être au - deffus de tous les généraux; par l'exemple unique en Europe, depuis Charlemagne et Guflave-Vafa, d'un prince qui gouverne réellement par lui-même toutes

les affaires d'un grand Etat.

On connaît tout ce qu'il a fait pour la légiflation et l'adminiftration de fon pays. Des politiques ont blâmé quelques-uns de fes principes en ce genre, en le plaignant de les avoir

crus néceffaires. Mais fi le prince eft connu, l'homme eft presque ignoré : et c'est l'homme qu'on voit dans ces lettres, fur-tout dans celles qu'il a écrites pendant fa retraite de Remusberg. Le prince qui les dictait à vingt-quatre ans ne pouvait que devenir un grand roi : et l'on fent que le philofophe qui prenait plaifir à s'enfoncer dans les ténèbres de la métaphyfique de Wolf, dans le temps qu'il apprenait de M. de Voltaire l'art fi difficile, pour un français même, de faire des vers français, ne se ferait occupé que du foin de gouverner et d'éclairer fes fujets, fi le fort, en le plaçant à la tête d'une puissance naiffante et encore faible, ne l'eût forcé de combattre pour fa propre indépendance.

Ces lettres renferment de plus des leçons qui feront peut-être utiles aux fouverains, parce qu'ils les recevront d'un de leurs égaux. Un prince peut rougir d'être éclairé sur ses intérêts et fur fes devoirs par un philosophe qui n'a que du génie et de bonnes intentions; mais aucun ne dédaignera d'apprendre quelque chofe du vainqueur de Drefde et de Liffa.

SUR LE ROI DE PRUSSE,

PAR M. DE VOLTAIR E.

FREDERIC, roi de Prufse, né le 24 janvier 1712.

Les uns l'appellent Frédéric III, parce que fon aïeul ét fon père se nommaient auffi Frédéric. Les autres le nomment Frédéric II, parce que fon père était moins connu fous le nom de Frédéric que fous celui de Guillaume. Mais il n'y a point de contestation fur le titre de grand qu'on lui donne communément en Europe.

Il faut l'envisager fous plufieurs aspects différens. Comme guerrier, on eft convenu que Frédéric et Maurice comte de Saxe, ont été les plus habiles capitaines de ce fiècle : tous deux comparables aux plus illuftres des fiècles paffés.

Frédéric a eu fur Maurice l'avantage d'être roi, et celui de pouvoir lever et difcipliner des troupes à fon choix; avantage que rien ne peut compenser. Tous deux se sont signalés par des marches favantes, par des victoires, par des fiéges.

Frédéric a furmonté plus de difficultés que Maurice, ayant eu à combattre plus d'ennemis : tantôt les Autrichiens, tantôt les Français et les Ruffes. Son père avait augmenté jufqu'à foixante-fix mille hommes

fes troupes qui n'étaient auparavant qu'au nombre de vingt mille. Le nouveau roi, dès fa première campagne, eut plus de quatre-vingts mille hommes, et en eut enfuite jufqu'à cent quarante mille.

Sa première bataille fut celle de Molwitz en Silefie, le 10 d'avril 1741.

Le roi fon père avait formé et difcipliné fon infanterie; mais la cavalerie avait été négligée, auffi fut-elle battue. L'infanterie rétablit l'ordre et remporta la victoire. Frédéric depuis ce jour disciplina lui-même fa cavalerie, et la rendit une des meilleures de l'Europe.

Ce ne fut dans cette guerre contre la maison d'Autriche qu'un enchainement de victoires. Celle de Czaslaw fur la rivière de Crudemka près de l'Elbe, le 17 mai 1742, fut une des plus célèbres. Le roi à la tête de fa cavalerie foutint long-temps l'effort de celle d'Autriche, et enfin la diffipa. Sa conduite feule fit le fuccès de cette journée.

La bataille de Fridberg gagnée contre les Autrichiens et les Saxons, le 4 juin 1745, lui fit encore plus d'honneur, au jugement de tous les militaires. On prétend qu'il écrivit au roi de France alors fon allié J'ai acquitté à vue la lettre de change que vous avez tirée fur moi de votre camp de Fontenoi.

La victoire remportée auprès de Prague, le 6 mai 1757, fut de toutes la plus brillante. Mais il acquit une autre espèce de gloire bien plus rare, en publiant de vive voix et par écrit, que fi quelques femaines

après il perdit la bataille de Kolins, ce ne fut pas la faute de fes troupes, mais la fienne. Il avait attaqué avec trop d'opiniâtreté un corps inattaquable.

Enfin, fans compter un grand nombre d'autres actions où il commanda toujours en perfonne, on connaît la bataille de Rosbak, où il défit prefqu'en un moment une armée trois fois auffi forte que la fienne, mais commandée par un général autrichien qui choifit malheureusement pour le combattre le terrain le plus défavorable, malgré les représentations des officiers français.

Au fortir de cette bataille il court à l'autre extré mité de l'Allemagne; et au bout d'un mois il remporte la bataille décifive de Liffa, qui le mit au-deffus de tous les événemens, comme au-deffus des plus grands capitaines de fon fiècle.

Dans toutes fes expéditions il porta toujours l'uniforme de fes gardes: vêtu, nourri, couché comme eux; donnant tout à l'art de la guerre, rien au fafte ni même à la nature.

En qualité de roi, fi l'on veut confidérer fon gouvernement intérieur, on verra qu'il fut le légiflateur de fon pays, qu'il réforma la jurisprudence, abolit les procureurs, abrégea tous les procès, empêcha les fils de famille de fe ruiner, bâtit des villes, plus de trois cents villages, et les peupla ; encouragea l'agriculture et les manufactures : magnifique dans les jours d'appareil, fimple et frugal dans tout le refte.

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