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Je fais que vos ouvrages n'ont aucun prix; ils portent en eux leur récompenfe, qui eft l'immortalité. J'ef- 1736. père cependant que vous voudrez accepter, comme une marque de mon fouvenir, le bufte de Socrate, (*) que je vous envoie en faveur de ce qu'il fut le plus grand homme de la Grèce, et le maître qui forma Alcibiade. Fefant abftraction de ce dont la calomnie le noircit, je pourrais le mettre en parallèle avec vous; mais craignant de blesser votre modestie, si je vous difais fur ce fujet le tiers de ce que je pense, je me contenterai de le dire à toute la terre, qui me fervira d'organe pour faire parvenir jusqu'à vous les fentimens d'eftime et d'admiration avec lefquels je fuis à jamais, Monfieur, votre très-affectionné ami, FÉDÉRIC.

(*) Ce buste formait une pomme de canne, en or.

Correfp. du roi de P... &c.

Tome I. C

1736.

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VOLTAIRE, ce n'eft point le rang et la puissance,
Ni les vains préjugés d'une illuftre naissance,
Qui peuvent procurer la folide grandeur :

Du vulgaire ignorant telle est souvent l'erreur;
Mais un homme éclairé tient en main la balance;
Lui seul fait diftinguer le vrai de l'apparence:
Il n'eft point ébloui par un trompeur éclat;
Sous des titres pompeux il découvre le fat;
Et d'illuftres aïeux ne compte point la fuite,
Si vous n'héritez d'eux leurs vertus, leur mérite.

Il est d'autres moyens de fe rendre fameux,
Qui dépendent de nous et font plus glorieux :
Chacun a des talens dont il doit faire ufage,
Selon que le deftin en régla le partage.
L'efprit de l'homme eft tel qu'un diamant précieux,
Qui fans être taillé ne brille point aux yeux.
Quiconque a trouvé l'art d'anoblir fon génie,
Mérite notre hommage en dépit de l'envie.
Rome nous vante encor les fons de Corelli;
Le Français prévenu fredonne avec Lulli;
L'Enéide immortelle, en beautés fi fertile,
Transmet jusqu'à nos jours l'heureux nom de Virgile;
Carrache, le Titien, Rubens, Bonnarotti,
Nous font auffi connus que l'eft Algarotti,

Lui dont l'art du compas et le calcul excède
Le favoir tant vanté du célèbre Archimède.
On respecte en tous lieux le profond Caffini;
La façade du louvre exalte Bernini;

1736.

Aux mânes de Newton tout Londre encore encense;
Henri, le grand Colbert, font chéris dans la France;
Et votre nom fameux par de favans exploits,
Doit être mis au rang des héros et des rois.

Monfieur, vous favez, fans doute, que le caractère dominant de notre nation n'est pas cette aimable vivacité des Français. On nous attribue en revanche le bon fens, la candeur, et la véracité de nos difcours. Ce qui fuffit pour vous faire fentir qu'un rimeur du fond de la Germanie n'est pas propre à produire des impromptus; la pièce que je vous envoie n'a pas non plus ce mérite.

J'ai été long-temps en fufpens fi je devais vous envoyer mes vers ou non, à vous l'Apollon du Parnasse français, à vous devant qui les Corneille et les Racine ne fauraient se soutenir. Deux motifs m'y ont pourtant déterminé celui qui eût furement diffuadé tout autre, c'eft, Monfieur, que vous êtes vous-même poëte, et que par conféquent vous devez connaître. ce défir infurmontable, cette fureur que l'on a de produire fes premiers ouvrages : l'autre, et qui m'a le plus fortifié dans mon dessein, eft le plaifir que j'ai de vous faire connaître mes fentimens à la faveur des vers, ce qui n'aurait pas eu la même grâce en profe.

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Le plus grand mérite de ma pièce eft, fans contredit, de ce qu'elle eft ornée de votre nom;

1736.

mon amour propre ne m'aveugle pas jusqu'au point de croire cette épître exempte de défauts. Je ne la trouve pas digne même de vous être adreffée. J'ai lu, Monfieur, vos ouvrages et ceux des plus célèbres auteurs, et je vous affure que je connais la différence infinie qu'il y a entre leurs vers et les miens.

Je vous abandonne ma pièce; critiquez, condamnez, défapprouvez-la, à condition de faire grâce aux deux vers qui la finiffent. Je m'intéreffe vivement pour eux : la pensée en est si véritable, fi évidente, fi manifefte, que je me vois en état d'en défendre la cause contre les critiques les plus rigides, malgré la haine et l'envie, et en dépit de la calomnie.

Je fuis, &c. FÉDÉRIC.

J'AI

LETTRE VII.

DU PRINCE

ROYAL.

A Remusberg, ce 3 de décembre.

MONSIEUR,

AI été agréablement furpris en recevant aujourd'hui votre lettre avec les pièces dont vous avez bien voulu l'accompagner. Rien au monde ne m'aurait pu faire plus de plaifir, n'y ayant aucuns ouvrages dont je fois auffi avide que des vôtres. Je fouhaiterais feulement que la fouveraineté que vous m'accordez en qualité d'être penfant me mît en état de yous donner des marques réelles de l'eftime que j'ai pour vous, et que l'on ne faurait vous refufer.

J'ai lu la Differtation fur l'ame que vous adressez au père Tournemine. (*) Tout homme raifonnable qui 1736. ne peut croire que ce qu'il peut comprendre, et qui ne décide pas témérairement fur des matières que notre faible raison ne faurait approfondir, sera toujours de votre fentiment. Il est certain que l'on ne parviendra jamais à la connaissance des premières causes. Nous qui ne pouvons pas comprendre d'où vient que deux pierres frappées l'une contre l'autre donnent du feu, comment pouvons-nous avancer que DIEU ne faurait réunir la pensée à la matière ? Ce qu'il y a de sûr, c'est que je fuis matière et que je penfe. Cet argument me prouve la vérité de votre propofition.

Je ne connais le père Tournemine que par la façon indigne dont il a attaqué M. Beaufobre fur fon hiftoire du manichéifme. Il fubftitue les invectives aux raifons; faible et groffière refsource qui prouve bien qu'il n'avait rien de mieux à dire. Quant à mon ame, je vous affure, Monfieur, qu'elle eft bien la très-humble fervante de la vôtre. Elle fouhaiterait fort qu'un peu plus dégagée de fa matière, elle pût aller s'inftruire à Cirey;

A cet endroit fameux où mon ame révère
Le favoir d'Emilie, et l'efprit de Voltaire:
Oui c'est là que le Ciel, prodiguant fes faveurs,
Vous a doué d'un bien préférable aux grandeurs.
Il m'a donné du rang le frivole avantage;

A vous tous les talens: gardez votre partage.

(*) Cette Differtation eft imprimée dans les Mélanges littéraires, tome III, page 45.

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