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côtés, comme pour les recevoir encore. Si l'on jette | mées de Sémiramis et de Cyrus avaient péri dans il voulait que les bords de cette mer fussent habités, plus incommode : il se serait séparé de son em

les yeux sur la Grèce, on verra, dans un pays assez resserré, une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisaient une immense circonférence autour d'elle; et elle y voyait, pour ainsi dire, tout le monde qui n'était pas barbare. Pénétra-t-elle en Sicile et en Italie, elle y forma des nations. Navigua-t-elle vers les mers du Pont, vers les côtes de l'Asie mineure, vers celles d'Afrique; elle en fit de même. Ses villes acquirent de la prospérité à mesure qu'elles se trouvèrent près de nouveaux peuples. Et, ce qu'il y avait d'admirable, des îles sans nombre, situées comme en première ligne, l'entouraient encore.

Quelles causes de prospérité pour la Grèce, que des jeux qu'elle donnait pour ainsi dire à l'univers, des temples où tous les rois envoyaient des offrandes, des fêtes où l'on s'assemblait de toutes parts, des oracles qui faisaient l'attention de toute la curiosité humaine, enfin le goût et les arts portés à un point que de croire les surpasser sera toujours ne les pas connaître!

CHAPITRE VIII.

D'Alexandre. - Sa conquête.

Quatre événements arrivés sous Alexandre firent dans le commerce une grande révolution : la prise de Tyr, la conquête de l'Égypte, celle des Indes, et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L'empire des Perses s'étendait jusqu'à l'Indus. Longtemps avant Alexandre, Darius avait envoyé des navigateurs qui descendirent ce fleuve, et allèrent jusqu'à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes? Comment les Perses ne l'avaient-ils pas fait auparavant? Que leur servaient des mers qui étaient si proches d'eux, des mers qui baignaient leur empire? Il est vrai qu'Alexandre conquit les Indes: mais faut-il conquérir un pays pour y négocier? J'examinerai ceci.

L'Ariane 3, qui s'étendait depuis le golfe Persique jusqu'à l'Indus, et de la mer du midi jusqu'aux montagnes des Paropamisades, dépendait bien en quelque façon de l'empire des Perses: mais, dans sa partie méridionale, elle était aride, brûlée, inculte et barbare 4. La tradition portait que les ar

STRABON, liv. XV. * HÉRODOTE, in Melpomene. 3 STRABON, liv. XV.

4 Ariana, dit Pline, regio ambusta fervoribus, desertisque circumdata. (Natural. hist. lib. VI, cap. XXIII.) Strabon dit la même chose de la partie méridionale de l'Inde.

ces déserts; et Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d'y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissaient toute la côte au pouvoir des Ichtyophages 2, des Orittes, et autres peuples barbares. D'ailleurs les Perses n'étaient pas navigateurs, et leur religion même leur ôtait toute idée de commerce maritime 3. La navigation que Darius fit faire sur l'Indus et la mer des Indes fut plutôt une fantaisie d'un prince qui veut montrer sa puissance, que le projet réglé d'un monarque qui veut l'employer. Elle n'eut de suite ni pour le commerce ni pour la marine; et, si l'on sortit de l'ignorance, ce fut pour y retomber.

Il y a plus: il était reçu 4 avant l'expédition d'Alexandre, que la partie méridionale des Indes était inhabitable 5; ce qui suivait de la tradition que Sémiramis 6 n'en avait ramené que vingt hommes, et Cyrus que sept.

Alexandre entra par le nord. Son dessein était de marcher vers l'orient: mais, ayant trouvé la partie du midi pleine de grandes nations, de villes et de rivières, il en tenta la conquête, et la fit.

Pour lors il forma le dessein d'unir les Indes avec l'Occident par un commerce maritime, comme il les avait unies par des colonies qu'il avait établies dans les terres.

Il fit construire une flotte sur l'Hydaspe, descendit cette rivière, entra dans l'Indus, et navigua jusqu'à son embouchure. Il laissa son armée et sa flotte à Patale, alla lui-même avec quelques vaisseaux reconnaître la mer, marqua les lieux où il voulut que l'on construisît des ports, des havres, des arsenaux. De retour à Patale, il se sépara desa flotte, et prit la route de terre pour lui donner du secours et en recevoir. La flotte suivit la côte depuis l'embouchure de l'Indus, le long du rivage des pays des Orittes, des Ichtyophages, de la Caramanie et de la Perse. Il fit creuser des puits, bâtir des villes; il défendit aux Ichtyophages 7 de vivre de poisson;

I STRABON, liv. XV.

2 PLINE, liv. VI, chap. XXIII; STRABON, liv. XV.

3 Pour ne point souiller les éléments, ils ne naviguaient pas sur les fleuves. (M. Hyde, Religion des Perses.) Encore aujourd'hui ils n'ont point de commerce maritime, et ils traitent d'athées ceux qui vont sur mer.

4 STRABON, liv. XV.

5 Hérodote, in Melpomene, dit que Darius conquit les Indes. Cela ne peut être entendu que de l'Ariane: encore ne futce qu'une conquête en idée. (P.)

6 STRABON, liv. XV.

7 Ceci ne saurait s'entendre de tous les Ichtyophages, qui habitaient une côte de dix mille stades. Comment Alexandre aurait-il pu leur donner la subsistance? Comment se serait-il fait obéir? 11 ne peut être ici question que de quelques peuples particuliers. Néarque, dans le livre Rerum indicarum, dit qu'à l'extrémité de cette côte, du côté de la Perse, il avait

par des nations civilisées. Néarque et Onésicrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arrivèrent à Suse; ils y trouvèrent Alexandre, qui donnait des fêtes à son armée.

Ce conquérant avait fondé Alexandrie dans la vue de s'assurer de l'Égypte : c'était une clef pour l'ouvrir dans le lieu même où les rois ses prédécesseurs avaient une clef pour la fermer; et il ne songeait point à un commerce dont la découverte de la mer des Indes pouvait seule lui faire naître la pensée.

Il paraît même qu'après cette découverte il n'eut aucune vue nouvelle sur Alexandrie. Il avait bien, en général, le projet d'établir un commerce entre les Indes et les parties occidentales de son empire; mais, pour le projet de faire ce commerce par l'Égypte, il lui manquait trop de connaissances pour pouvoir le former. Il avait vu l'Indus, il avait vu le Nil; mais il ne connaissait point les mers d'Arabie, qui sont entre deux. A peine fut-il arrivé des Indes, qu'il fit construire de nouvelles flottes, et navigua sur l'Euléus, le Tigre, l'Euphrate et la mer: il óta les cataractes que les Perses avaient mises sur ces fleuves; il découvrit que le sein Persique était un golfe de l'Océan. Comme il alla reconnaître 3 cette mer, ainsi qu'il avait reconnu celle des Indes; comme il fit construire un port à Babylone pour mille vaisseaux, et des arsenaux; comme il envoya cinq cents talents en Phénicie et en Syrie, pour en faire venir des nautonniers, qu'il voulait placer dans les colonies qu'il répandait sur les côtes; comme enfin il fit des travaux immenses sur l'Euphrate et les autres fleuves de l'Assyrie, on ne peut douter que son dessein ne fût de faire le commerce des Indes par Babylone et le golfe Persique.

Quelques gens, sous prétexte qu'Alexandre vou

pire. Les califes, qui conquirent au loin, quittèrent d'abord l'Arabie pour s'établir ailleurs.

CHAPITRE IX.

Du commerce des rois grecs après Alexandre.

Lorsque Alexandre conquit l'Égypte, on connaissait très-peu la mer Rouge, et rien de cette partie de l'Océan qui se joint à cette mer, et qui baigne d'un côté la côte d'Afrique, et de l'autre celle de l'Arabie: on crut même depuis qu'il était impossible de faire le tour de la presqu'île d'Arabie. Ceux qui l'avaient tenté de chaque côté avaient abandonné leur entreprise. On disait : « Com« ment serait-il possible de naviguer au midi des << côtes de l'Arabie, puisque l'armée de Cambyse, « qui la traversa du côté du nord, périt presque << toute, et que celle que Ptolomée, fils de Lagus, « envoya au secours de Séleucus Nicator à Baby<< lone, souffrit des maux incroyables, et, à cause << de la chaleur, ne put marcher que la nuit? »

Les Perses n'avaient aucune sorte de navigation. Quand ils conquirent l'Égypte, ils y apportèrent le même esprit qu'ils avaient eu chez eux: et la négligence fut si extraordinaire que les rois grecs trouvèrent que non-seulement les navigations des Tyriens, des Iduméens et des Juifs dans l'Océan étaient ignorées, mais que celles même de la mer Rouge l'étaient. Je crois que la destruction de la première Tyr par Nabuchodonosor, et celle de plusieurs petites nations et villes voisines de la mer Rouge, firent perdre les connaissances que l'on avait acquises.

L'Égypte, du temps des Perses, ne confrontait point à la mer Rouge: elle ne contenait que cette lisière de terre longue et étroite que le Nil couvre

lait conquérir l'Arabie 4, ont dit qu'il avait formé par ses inondations, et qui est resserrée des deux

le dessein d'y mettre le siége de son empire : mais comment aurait-il choisi un lieu qu'il ne connaissait pas 5? D'ailleurs c'était le pays du monde le

côtés par des chaînes de montagnes. Il fallut donc découvrir la mer Rouge une seconde fois, et l'Océan une seconde fois; et cette découverte appartint à la curiosité des rois grecs.

On remonta le Nil; on fit la chasse des éléphants dans les pays qui sont entre le Nil et la mer; on découvrit les bords de cette mer par les terres; et comme cette découverte se fit sous les Grecs, les noms en sont grecs, et les temples sont consacrés 3 à des divinités grecques.

Les Grecs d'Égypte purent faire un commerce

trouvé les peuples moins ichtyophages. Je croirais que l'ordre d'Alexandre regardait cette contrée, ou quelque autre encore plus voisine de la Perse.

Alexandrie fut fondée dans une plage appelée Racotis. Les anciens rois y tenaient une garnison pour défendre l'entrée du pays aux étrangers, et surtout aux Grecs, qui étaient, comme on sait, de grands pirates. Voyez Pline, liv. VI, chap. x; et Strabon, liv. XXII.

* ARRIEN, de Expeditione Alexandri, lib. VII. 3 Ibid.

STRABON, liv. XVI, à la fin.

5 Voyant la Babylonie inondée, il regardait l'Arabie, qui en est proche, comme une ile. Aristobule, dans Strabon, liv. XVL

Voyez le livre Rerum indicarum.

2 STRABON, liv. XVI.
3 Ibid.

très-étendu : ils étaient maîtres des ports de la mer Rouge; Tyr, rivale de toute nation commerçante, n'était plus; ils n'étaient point gênés par les anciennes superstitions du pays; l'Égypte était de

venue le centre de l'univers.

terres. En suivant les côtes, on n'avait reconnu, du côté de l'est, que jusqu'au Jaxarte, et, du côté de l'ouest, que jusqu'aux extrémités de l'Albanie. La mer, du côté du nord, était vaseuse, et par conséquent très-peu propre à la navigation. Tout

Les rois de Syrie laissèrent à ceux d'Égypte le | cela fit que l'on ne vit jamais que l'Océan. commerce méridional des Indes, et ne s'attachèrent qu'à ce commerce septentrional qui se faisait par l'Oxus et la mer Caspienne. On croyait, dans ces temps-là, que cette mer était une partie de l'Océan septentrional; et Alexandre, quelque temps avant sa mort, avait fait construire une

L'armée d'Alexandre n'avait été, du côté de l'Orient, que jusqu'à l'Hypanis, qui est la dernière des rivières qui se jettent dans l'Indus. Ainsi le premier commerce que les Grecs eurent aux Indes se fit dans une très-petite partie du pays. Séleucus Nicator pénétra jusqu'au Gange et par

flotte, pour découvrir si elle communiquait à l'O- ❘ là on découvrit la mer où ce fleuve se jette, c'est

à-dire le golfe de Bengale. Aujourd'hui l'on découvre les terres par les voyages de mer; autrefois on découvrait les mers par la conquête des terres.

céan par le Pont-Euxin, ou par quelque autre mer orientale vers les Indes. Après lui, Séleucus et Antiochus eurent une attention particulière à la reconnaître : ils y entretinrent des flottes 4. Ce que Séleucus reconnut fut appelé mer Séleucide; ce qu' Antiochus découvrit fut appelé mer Antiochide. Attentifs aux projets qu'ils pouvaient avoir de ce côté-là, ils négligèrent les mers du midi; ❘ loin vers l'orient que Séleucus, ils allèrent plus

soit que les Ptolomées, par leurs flottes sur la mer Rouge, s'en fussent déjà procuré l'empire; soit qu'ils eussent découvert dans les Perses un éloignement invincible pour la marine. La côte du midi de la Perse ne fournissait point de matelots; on n'y en avait vu que dans les derniers moments de la vie d'Alexandre. Mais les rois d'Égypte, maîtres de l'île de Chypre, de la Phénicie et d'un grand nombre de places sur les côtes de l'Asie mineure, avaient toutes sortes de moyens pour faire des entreprises de mer. Ils n'avaient point à con

Strabon 3, malgré le témoignage d'Apollodore, paraît douter que les rois 4 grecs de Bactriane soient allés plus loin que Séleucus et Alexandre. Quand il serait vrai qu'ils n'auraient pas été plus

loin vers le midi : ils découvrirent 5 Siger et des ports dans le Malabar, qui donnèrent lieu à la navigation dont je vais parler.

Pline 6 nous apprend qu'on prit successivement trois routes pour faire la navigation des Indes. D'abord on alla du promontoire de Siagre à l'île de Patalène, qui est à l'embouchure de l'Indus : on voit que c'était la route qu'avait tenue la flotte d'Alexandre. On prit ensuite un chemin plus court 7 et plus sûr; et on alla du même promontoire à Siger. Ce Siger ne peut être que le royaume

traindre le génie de leurs sujets; ils n'avaient qu'à | de Siger dont parle Strabon 8, que les rois grecs

le suivre.

On a de la peine à comprendre l'obstination des anciens à croire que la mer Caspienne était une partie de l'Océan. Les expéditions d'Alexandre, des rois de Syrie, des Parthes et des Romains, ne purent leur faire changer de pensée : c'est qu'on revient de ses erreurs le plus tard qu'on peut. D'abord on ne connut que le midi de la mer Caspienne; on la prit pour l'Océan : à mesure que l'on avança le long de ses bords du côté du nord, on crut encore que c'était l'Océan qui entrait dans les

• Elles leur donnaient de l'horreur pour les étrangers. 2 PLINE, liv. II, chap. LXVH; et liv. VI, chap. Ix et XIII. STRABON, liv. XI. ARRIEN, de l'Expédition d'Alexandre, liv. III, pag. 74; et liv. V, pag 104. - Il est vrai que Strabon, Pomponius Méla, et Pline, ont cru qu'elle était une partie de l'Océan septentrional; mais des écrivains plus anciens, Diodore de Sicile, Aristote, et surtout Hérodote, ont parlé avec exactitude de cette mer, et ont dit qu'elle ne communiquait avec aucune autre. (P.)

de Bactriane découvrirent. Pline ne peut dire que ce chemin fût plus court, que parce qu'on le faisait en moins de temps; car Siger devait être plus reculé que l'Indus, puisque les rois de Bactriane le découvrirent. Il fallait donc que l'on évitât par là le détour de certaines côtes et que l'on profitât de certains vents. Enfin les marchands prirent une troisième route : ils se rendaient à Canes ou à Océlis, ports situés à l'embouchure de la mer Rouge, d'où, par un vent d'ouest, on arrivait à Muziris, première étape des Indes, et de là à d'au

tres ports.

On voit qu'au lieu d'aller de l'embouchure de la

3 ARRIEN, de l'Expédition d'Alexandre, liv. VII. (P.) 4 PLINE, liv. II, chap. LXVII.

Voyez la carte du czar.

2 PLINE, liv. VI, chap. XVII.

3 Liv. XV.

4 Les Macédoniens de la Bactriane, des Indes, et de l'Agrand État. riane, s'étant séparés du royaume de Syrie, formérent un

5 Appollonius Adramittin, dans Strabon, liv. XI.

6 Liv. VI, chap. xxIII.

8 Liv. XI. Sigertidis regnum.

Ibid.

mer Rouge jusqu'à Siagre, en remontant la côte de l'Arabie heureuse au nord-est, on alla directement de l'ouest à l'est, d'un côté à l'autre, par le moyen des moussons, dont on découvrit les changements en naviguant dans ces parages. Les anciens ne quittèrent les côtes que quand ils se servirent des moussons et des vents alisés, qui étaient une espèce de boussole pour eux.

Pline dit qu'on partait pour les Indes au milieu de l'été, et qu'on en revenait vers la fin de décembre et au commencement de janvier. Ceci est entièrement conforme aux journaux de nos navigateurs. Dans cette partie de la mer des Indes qui est entre la presqu'île d'Afrique et celle de deçà le Gange, il y a deux moussons : la première, pendant laquelle les vents vont de l'ouest à l'est, commence aux mois d'août et de septembre; la deuxième, pendant laquelle les vents vont de l'est à l'ouest, commence en janvier. Ainsi nous partons d'Afrique pour le Malabar dans le temps que partaient les flottes de Ptolomée, et nous en revenons dans le même temps.

La flotte d'Alexandre mit sept mois pour aller de Patale à Suse. Elle partit dans le mois de juillet, c'est-à-dire dans un temps où aujourd'hui aucun navire n'ose se mettre en mer pour revenir des Indes. Entre l'une et l'autre mousson, il y a un intervalle de temps pendant lequel les vents varient, et où un vent du nord, se mêlant avec les vents ordin aires, cause, surtout auprès des côtes, d'horribles tempêtes. Cela dure les mois de juin, de juillet et d'août. La flotte d'Alexandre, partant de Patale au mois de juillet, essuya bien des tempêtes, et le voyage fut long, parce qu'elle navigua dans une mousson contraire.

Pline dit qu'on partait pour les Indes à la fin de l'été: ainsi on employait le temps de la variation de la mousson à faire le trajet d'Alexandrie à la mer Rouge.

Voyez, je vous prie, comment on se perfectionna peu à peu dans la navigation. Celle que Darius fit faire, pour descendre l'Indus et aller à la mer Rouge, fut de deux ans et demi 3. La flotte d'Alexandre 4, descendant l'Indus, arriva à Suse dix mois après, ayant navigué trois mois sur l'Indus et sept sur la mer des Indes. Dans la suite, le trajet de la côte de Malabar à la mer Rouge se fit en quarante jours 5.

* Les moussons soufflent une partie de l'année d'un côté, et une partie de l'année de l'autre; et les vents alisés soufflent du méme côté toute l'année.

Liv. VI, chap. xxın.

3 HERODOTE, in Melpomene.

4 PLINE, liv. VI, chap. xxII. 5 Ibid.

Strabon, qui rend raison de l'ignorance où l'on était des pays qui sont entre l'Hypanis et le Gange, dit que, parmi les navigateurs qui vont de l'Égypte aux Indes, il y en a peu qui aillent jusqu'au Gange. Effectivement, on voit que les flottes n'y allaient pas; elles allaient, par les moussons de l'ouest à l'est, de l'embouchure de la mer Rouge à la côte de Malabar. Elles s'arrêtaient dans les étapes qui y étaient, et n'allaient point faire le tour de la presqu'île deçà le Gange par le cap de Comorin et la côte de Coromandel. Le plan de la navigation des rois d'Égypte et des Romains était de revenir la

même année.

Ainsi il s'en faut bien que le commerce des Grecs et des Romains aux Indes ait été aussi étendu que le nôtre, nous qui connaissons des pays immenses qu'ils ne connaissaient pas; nous qui faisons notre commerce avec toutes les nations indiennes, et qui commerçons même pour elles et naviguons pour elles.

Mais ils faisaient ce commerce avec plus de facilité que nous, et si l'on ne négociait aujourd'hui que sur la côte du Guzarat et du Malabar, et que, sans aller chercher les îles du midi, on se contentût des marchandises que les insulaires viendraient apporter, il faudrait préférer la route de l'Égypte à celle du cap de Bonne-Espérance. Strabon dit que l'on négociait ainsi avec les peuples de la Taprobane.

CHAPITRE X.

Du tour de l'Afrique.

On trouve dans l'histoire qu'avant la découverte de la boussole on tenta quatre fois de faire le tour de l'Afrique. Des Phéniciens envoyés par Nécho 3 et Eudoxe 4, fuyant la colère de Ptolomée-Lature, partirent de la mer Rouge, et réussirent. Sataspe 5 sous Xerxès, et Hannon qui fut envoyé par les Carthaginois, sortirent des colonnes d'Hercule, et ne réussirent pas.

Le point capital pour faire le tour de l'Afrique était de découvrir et de doubler le cap de BonneEspérance. Mais, si l'on partait de la mer Rouge, on trouvait ce cap de la moitié du chemin plus près qu'en partant de la Méditerranée. La côte qui va de la mer Rouge au Cap est plus saine que celle qui

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vá du Cap aux colonnes d'Hercule. Pour que ceux qui partaient des colonnes d'Hercule aient pu découvrir le Cap, il a fallu l'invention de la boussole, qui a fait que l'on a quitté la côte d'Afrique, et qu'on a navigué dans le vaste Océan pour aller vers l'île de Sainte-Hélène ou vers la côte du Brésil. Il était donc très-possible qu'on fût allé de la mer Rouge dans la Méditerranée, sans qu'on fût revenu de la Méditerranée à la mer Rouge.

Ainsi, sans faire ce grand circuit, après lequel on ne pouvait plus revenir, il était plus naturel de faire le commerce de l'Afrique orientale par la mer Rouge, et celui de la côte occidentale par les colon

nes d'Hercule.

Les rois grecs d'Égypte découvrirent d'abord dans la mer Rouge la partie de la côte d'Afrique qui va depuis le fond du golfe où est la cité d'Héroum jusqu'à Dira, c'est-à-dire jusqu'au détroit appelé aujourd'hui de Babel-Mandel. Delà, jusqu'au promontoire des Aromates, situé à l'entrée de la mer Rouge, la côte n'avait point été reconnue par les navigateurs: et cela est clair par ce que nous dit Artémidore3, que l'on connaissait les lieux de cette côte, mais qu'on en ignorait les distances : ce qui venait de ce qu'on avait successivement connu ces ports par les terres, et sans aller de l'un à l'autre.

Au delà de ce promontoire, où commence la côte de l'Océan, on ne connaissait rien, comme nous 4 l'apprenons d'Ératosthène et d'Artémidore.

Telles étaient les connaissances que l'on avait des côtes d'Afrique du temps de Strabon, c'est-à-dire du temps d'Auguste. Mais, depuis Auguste, les Romains découvrirent le promontoire Raptum et le promontoire Prassum, dont Strabon ne parle pas, parce qu'ils n'étaient pas encore connus. On voit que ces deux noms sont romains.

Ptolomée le géographe vivait sous Adrien et Antonin Pie; et l'auteur du Périple de la mer Érythrée, quel qu'il soit, vécut peu de temps après. Cependant le premier borne l'Afriques connue au promontoire

Prassum, qui est environ au quatorzième degré de latitude sud; et l'auteur du Périple, au promontoire Raptum, qui est à peu près au dixième degré de cette latitude. Il y a apparence que celui-ci prenait pour limite un lieu où l'on allait, et Ptolomée un lieu où l'on n'allait pas.

Ce qui me confirme dans cette idée, c'est que les peuples autour du Prassum étaient anthropophages". Ptolomée, qui nous parle d'un grand nombre de lieux entre le port des Aromates et le promontoire Raptum, laisse un vide total depuis le Raptum jusqu'au Prassum. Les grands profits de la navigation des Indes durent faire négliger celle d'Afrique. Enfin les Romains n'eurent jamais sur cette côte de navigation réglée: ils avaient découvert ces ports par les terres, et par des navires jetés par la tempête; et comme aujourd'hui on connaît assez bien les côtes d'Afrique, et très-mal l'intérieur 4, les anciens connaissaient assez bien l'intérieur et très-mal les côtes.

J'ai dit que des Phéniciens envoyés par Nécho et Eudoxe sous Ptolomée-Lature avaient fait le tour de l'Afrique: il faut bien que, du temps de Ptolomée le géographe, ces deux navigations fussent regardées comme fabuleuses, puisqu'il place 5, depuis le sinus magnus, qui est, je crois, le golfe de Siam, une terre inconnue, qui va d'Asie en Afrique aboutir au promontoire Prassum; de sorte que la mer des Indes n'aurait été qu'un lac. Les anciens, qui reconnurent les Indes par le nord, s'étant avancés vers l'orient, placèrent vers le midi cette terre inconnue.

CHAPITRE XI.

Carthage et Marseille.

Carthage avait un singulier droit des gens: elle faisait noyer 6 tous les étrangers qui trafiquaient en Sardaigne et vers les colonnes d'Hercule. Son droit politique n'était pas moins extraordinaire: elle défendit aux Sardes de cultiver la terre, sous peine de la vie. Elle accrut sa puissance par ses richesses, et

On trouve dans l'océan Atlantique, aux mois d'octobre, novembre, décembre et janvier, un vent de nord-est. On passe la ligne; et, pour éluder le vent général d'est, on dirige sa route vers le sud; ou bien on entre dans la zone torride, dans les lieux où le vent souffle de l'ouest à l'est.

2 Ce golfe, auquel nous donnons aujourd'hui ce nom, était appelé par les anciens le sein Arabique: ils appelaient mer Rouge la partie de l'Océan voisine de ce golfe.

3 STRABON, liv. XVI.

4 STRABON, liv. XVI. Artémidore bornait la côte connue au lieu appelé Austricornu; et Eratosthène, ad Cinnamomiferam.

5 Liv. I, chap. VII; liv. IV, chap. Ix; table IV de l'Afrique.

On a attribué ce Périple à Arrien. * PTOLOMÉE, liv. IV, chap. Ix.

3 Liv. IV, chap. VII et VIII.

4 Voyez avec quelle exactitude Strabon et Ptolomée nous décrivent les diverses parties de l'Afrique. Ces connaissances venaient des diverses guerres que les deux plus puissantes nations du monde, les Carthaginois et les Romains, avaient eues avec les peuples d'Afrique, des alliances qu'ils avaient contractées, du commerce qu'ils avaient fait dans les terres 5 Liv. VII, chap. III.

6 Eratosthène, dans Strabon, liv. XVII, pag. 802.

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