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CHAPITRE VIII.

prend la place de la vertu politique dont j'ai parlé,
et la représente partout. Il y peut inspirer les plus
belles actions; il peut, joint à la force des lois, Que l'honneur n'est point le principe des États despotiques.

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Le gouvernement monarchique suppose, comme nous avons dit, des prééminences, des rangs, et même une noblesse d'origine. La nature de l'honneur est de demander des préférences et des distinctions: il est donc, par la chose même, placé dans ce gouvernement.

L'ambition est pernicieuse dans une république 3: elle a de bons effets dans la monarchie; elle donne la vie à ce gouvernement; et on y a cet avantage qu'elle n'y est pas dangereuse, par ce qu'elle y peut être sans cesse réprimée.

Vous diriez qu'il en est comme du système de l'univers, où il y a une force qui éloigne sans cesse du centre tous les corps, et une force de pesanteur qui les y ramène. L'honneur fait mouvoir toutes les parties du corps politique, il les lie par son action même, et il se trouve que chacun va au bien commun, croyant aller à ses intérêts particuliers.

Il est vrai que, philosophiquement parlant, c'est un honneur faux qui conduit toutes les parties de l'État; mais cet honneur faux est aussi utile au public que le vrai le serait aux particuliers qui pourraient l'avoir.

Et n'est-ce pas beaucoup d'obliger les hommes à faire toutes les actions difficiles et qui demandent de la force, sans autre récompense que le bruit de ces actions?

Ce n'est point l'honneur qui est le principe des États despotiques : les hommes y étant tous égaux, on n'y peut se préférer aux autres; les hommes y étant tous esclaves, on n'y peut se préférer à rien.

De plus, comme l'honneur a ses lois et ses règles, et qu'il ne saurait plier; qu'il dépend bien de son propre caprice, et non pas de celui d'un autre, il ne peut se trouver que dans des États où la constitution est fixe, et qui ont des lois certaines.

Comment serait-il souffert chez le despote? II fait gloire de mépriser la vie, et le despote n'a de force que parce qu'il peut l'ôter. Comment pourraitil souffrir le despote? Il a des règles suivies et des caprices soutenus; le despote n'a aucune règle, et ses caprices détruisent tous les autres.

L'honneur, inconnu aux États despotiques, où même souvent on n'a pas de mot pour l'exprimer, règne dans les monarchies; il y donne la vie à tout le corps politique, aux lois et aux vertus mêmes.

CHAPITRE IX.

Du principe du gouvernement despotique.

Comme il faut de la vertu dans une république, et dans une monarchie de l'honneur, il faut de la crainte dans un gouvernement despotique: pour la vertu, elle n'y est point nécessaire, et l'honneur y serait dangereux.

Ce mot homme de bien ne s'entend ici que dans un sens politique.

2 Ces préférences, ces distinctlons, ces honneurs, cet honneur, étaient dans la république romaine tout autant pour le moins que dans les débris de cette république, qui forment aujourd'hui tant de royaumes. La préture, le consulat, les haches, les faisceaux, le triomphe, valaient bien des rubans de toutes couleurs. (VOLT.)

3 Elle l'est partout; partout elle tend aux priviléges exclusifs. Dans la démocratie, elle tend directement à sa dissolution; dans la monarchie, à sa corruption. (H.)

Voyez Perry, page 447.

2 On a beaucoup combattu, et Voltaire plus que tout autre, le système général du livre qui établit, comme principe des trois gouvernements connus dans le monde, la vertu pour les républiques, l'honneur pour les monarchies, la crainte pour les États despotiques. On est généralement d'accord avec l'auteur sur le dernier: on a fort incidenté sur les deux autres. Je pense que Montesquieu eût prévenu beaucoup de difficultés, s'il fût entré dans son plan et dans son genre d'esprit de s'occuper beaucoup des objections; mais il est évident qu'il ne songe qu'à construire la série des ses idées, et je conçois ses motifs. Son entreprise était si considérable, à raison de ce qu'il y voyait; la carrière qu'il mesurait de l'œil était si étendue, et le terme lui en paraissait si éloigné, qu'il pouvait craindre que celui de sa vie ne l'arrêtát en deçà; et en effet, il avait à peine atteint le premier, qu'il touchait à l'autre. II ne survécut que peu d'années à la publication de l'Esprit des Lois. S'il eût voulu controverser, ne fût-ce que sur les points principaux, son ouvrage n'avait plus de mesure, et il était également de l'intérêt public et de la gloire de l'auteur de resserrer l'ouvrage et de l'achever. (LA H.)

* La première édition parut en 1748, et Montesquieu mourut en

1755.

1

Le pouvoir immense du prince y passe tout entier à ceux à qui il le confie. Des gens capables de s'estimer beaucoup eux-mêmes seraient en état d'y faire des révolutions. Il faut donc que la crainte y abatte tous les courages, et y éteigne jusqu'au moindre sentiment d'ambition.

Un gouvernement modéré peut, tant qu'il veut, et sans péril, relâcher ses ressorts: il se maintient par ses lois et par sa force même. Mais lorsque dans le gouvernement despotique le prince cesse un moment de lever le bras, quand il ne peut pas anéantir à l'instant ceux qui ont les premières places, tout est perdu: car le ressort du gouvernement, qui est la crainte, n'y étant plus, le peuple n'a plus de protecteur.

C'est apparemment dans ce sens que des cadis ont soutenu que le Grand Seigneur n'était point obligé de tenir sa parole ou son serment, lorsqu'il bornait par là son autorité.

Il faut que le peuple soit jugé par les lois, et les grands par la fantaisie du prince; que la tête du dernier sujet soit en sûreté, et celle des pachas toujours exposée. On ne peut parler sans frémir de ces gouvernements monstrueux. Le sophi de Perse, détrôné de nos jours par Mirivéis, vit le gouvernement périr avant la conquête, parce qu'il n'avait pas versé assez de sang 3.

L'histoire nous dit que les horribles cruautés de Domitien effrayèrent les gouverneurs au point que le peuple se rétablit un peu sous son règne 4. C'est ainsi qu'un torrent qui ravage tout d'un côté laisse de l'autre des campagnes où l'œil voit de loin quelques prairies.

CHAPITRE X.

Différence de l'obéissance dans les gouvernements modérés et dans les gouvernements despotiques.

Dans les États despotiques la nature du gouvernement demande une obéissance extrême : et la volonté du prince, une fois connue, doit avoir aussi infailliblement son effet qu'une boule jetée contre une autre doit avoir le sien.

Il n'y a point de tempérament, de modification, d'accommodements, de termes, d'équivalents, de pourparlers, de remontrances, rien d'égal ou de meilleur à proposer. L'homme est une créature qui obéit à une créature qui veut.

On n'y peut pas plus représenter ses craintes sur un événement futur qu'excuser ses mauvais succès sur le caprice de la fortune. Le partage des hommes comme des bêtes, y est l'instinct, l'obéissance, le châtiment.

Il ne sert de rien d'opposer les sentiments naturels, le respect pour un père, la tendresse pour ses enfants et ses femmes, les lois de l'honneur, l'état de sa santé; on a reçu l'ordre, et cela suffit.

En Perse, lorsque leroi a condamné quelqu'un, on ne peut plus lui en parler ni demander grâce. S'il était ivre ou hors de sens, il faudrait que l'arrêt s'exécutât tout de même : sans cela il se contredirait, et la loi ne peut se contredire. Cette manière de penser y a été de tout temps: l'ordre que donna Assuérus d'exterminer les Juifs ne pouvant être révoqué, on prit le parti de leur donner la permission de se défendre 3.

Il y a pourtant une chose que l'on peut quelquefois opposer à la volonté du prince 4: c'est la religion. On abandonnera son père, on le tuera même, si le prince l'ordonne; mais on ne boira pas du vin, s'il le veut et s'il l'ordonne. Les lois de la religion sont d'un précepte supérieur, parce qu'elles sont données sur la tête du prince comme sur celle des sujets. Mais, quant au droit naturel, il n'en est

* Comme il arrive souvent dans l'aristocratie militaire. *RICAULT, de l'empire ottoman. - L'auteur de l'Esprit des Lois donne cette pretendue décision des cadis comme une preuve du despotisme du sultan. Il me semble que ce serait au contraire une preuve qu'il est soumis aux lois, puisqu'il serait obligé de consulter des docteurs pour se mettre audessus des lois. Nous sommes voisins des Turcs; nous ne les connaissons pas. Le comte de Marsigli, qui a vécu si longtemps au milieu d'eux, dit qu'aucun auteur n'a donné une véritable connaissance ni de leur empire, ni de leurs lois. Nous n'avons eu même aucune traduction tolérable de l'Alcoran avant celle que nous a donnée l'anglais Sale, en 1734. Presque tout ce qu'on a dit de leur religion et de leur jurisprudence est faux; et les conclusions que l'on en tire tous les jours contre eux sont trop peu fondées. On ne doit, dans l'examen des lois, citer que des lois reconnues. (VOLT.)

3 Voyez Thistoire de cette révolution, par le P. Ducerceau. 4. Son gouvernement était militaire; ce qui est une des especes du gouvernement despotique.

Voyez Chardin.

2 Cet ordre fut cependant révoqué par un nouvel édit, rapporté fort au long dans le livre d'Esther, et dont voici la principale disposition: Unde eas litteras, quas sub nomine nostro ille (Aman) direxerat, sciatis esse irritas. (Ch. xvi, vers. 7.)

3 Il fut permis aux Juifs, non pas de se défendre, comme le dit l'auteur, mais d'exterminer leurs ennemis, comme il avait été permis à leurs ennemis de les exterminer. Le jour de cette vengeance fut fixé au 13 du mois Adar, qui était le même jour auquel Aman avait fixé son exécution. Celle des Juifs fut sanglante: ils mirent a mort un grand nombre de leurs ennemis avec les dix fils d'Aman; et ce fut en mémoire de cet événement qu'ils instituèrent la fête de Purim. (D.) 4 Voyez Chardin".

Description du gouvernement, ch. 11. (P.)

pas de même: le prince est supposé n'être plus un homme.

la crainte 1.

CHAPITRE II.

férentes dans chaque espèce de gouvernement: dans les monarchies, elles auront pour objet l'honneur; Dans les États monarchiques et modérés, la puis- ❘ dans les républiques, la vertu; dans le despotisme, sance est bornée par ce qui en est le ressort, je veux dire l'honneur, qui règne, comme un monarque, sur le prince et sur le peuple. On n'ira point lui alléguer les lois de la religion, un courtisan se croirait ridicule: on lui alléguera sans cesse celles de l'honneur. De là résultent des modifications nécessaires dans l'obéissance; l'honneur est naturellement sujet à des bizarreries, et l'obéissance les sui

vra toutes.

Quoique la manière d'obéir soit différente dans ces deux gouvernements, le pouvoir est pourtant le même. De quelque côté que le monarque se tourne, il emporte et précipite la balance, et est obéi. Toute la différence est que, dans la monarchie, le prince a des lumières, et que les ministres y sont infiniment plus habiles et plus rompus aux affaires que dans l'État despotique.

CHAPITRE XI.

Réflexion sur tout ceci.

Tels sont les principes des trois gouvernements : ce qui ne signifie pas que, dans une certaine république, on soit vertueux; mais qu'on devrait l'être. Cela ne prouve pas non plus que, dans une certaine monarchie, on ait de l'honneur, et que, dans un État despotique particulier, on ait de la crainte; mais qu'il faudrait en avoir: sans quoi le gouvernement sera imparfait.

LIVRE QUATRIÈME.

LES LOIS DE L'ÉDUCATION

DOIVENT ÊTRE RELATIVES AUX PRINCIPES
DU GOUVERNEMENT.

CHAPITRE I.

Des lois de l'éducation.

Les lois de l'éducation sont les premières que nous recevons. Et comme elles nous préparent à être citoyens, chaque famille particulière doit être gouvernée sur le plan de la grande famille qui les comprend toutes.

Si le peuple en général a un principe, les parties qui le composent, c'est-à-dire les familles, l'auront aussi. Les lois de l'éducation seront donc dif

De l'éducation dans les monarchies.

Ce n'est point dans les maisons publiques où l'on instruit l'enfance que l'on reçoit dans les monarchies la principale éducation; c'est lorsque l'on entre dans le monde que l'éducation, en quelque façon, commence. Là est l'école de ce que l'on appelle honneur, ce maître universel qui doit partout nous conduire.

C'est là que l'on voit et que l'on entend toujours dire trois choses : « Qu'il faut mettre dans les vertus « une certaine noblesse; dans les mœurs, une cer<< taine franchise : dans les manières, une certaine << politesse. >>>

Les vertus qu'on nous y montre sont toujours moins ce que l'on doit aux autres que ce que l'on se doit à soi-même: elles ne sont pas tant ce qui nous appelle vers nos concitoyens que ce qui nous en distingue.

On n'y juge pas les actions des hommes comme bonnes, mais comme belles; comme justes, mais comme grandes; comme raisonnables, mais contme extraordinaires.

Dès que l'honneur y peut trouver quelque chose de noble, il est ou le juge qui les rend légitimes, ou le sophiste qui les justifie.

Il permet la galanterie lorsqu'elle est unie à l'idée des sentiments du cœur, ou à l'idée de conquête; et c'est la vraie raison pour laquelle les mœurs ne sont jamais si pures dans les monarchies que dans les gouvernements républicains.

Il permet la ruse lorsqu'elle est jointe à l'idée de la grandeur de l'esprit ou de la grandeur des affaires, comme dans la politique, dont les finesses ne l'offensent pas.

Il ne défend l'adulation que lorsqu'elle est séparée de l'idée d'une grande fortune, et n'est jointe qu'au sentiment de sa propre bassesse.

A l'égard des mœurs, j'ai dit que l'éducation des monarchies doit y mettre une certaine franchise. On y veut donc de la vérité dans les discours. Mais

J'ai vu des enfants de valets de chambre à qui on disait : Monsieur le marquis, songez à plaire au roi; et j'ai oui dire qu'à Venise les gouvernantes recommandent aux petits garçons de bien aimer la république, et que dans les sérails de Maroc et d'Alger on crie: Prends garde au grand eunuque noir! (VOLT.)

est-ce par amour pour elle? point du tout. On la veut, parce qu'un homme qui est accoutumé à la dire paraît être hardi et libre. En effet, un tel homme semble ne dépendre que des choses, et non pas de la manière dont un autre les reçoit.

C'est ce qui fait qu'autant qu'on y recommande cette espèce de franchise, autant on y méprise celle du peuple, qui n'a que la vérité et la simplicité pour objet.

Enfin, l'éducation dans les monarchies exige dans les manières une certaine politesse. Les hommes, nés pour vivre ensemble, sont nés aussi pour se plaire; et celui qui n'observerait pas les bienséances, choquant tous ceux avec qui il vivrait, se décréditerait au point qu'il deviendrait incapable de faire aucun bien.

Mais ce n'est pas d'une source si pure que la politesse a coutume de tirer son origine. Elle naît de l'envie de se distinguer. C'est par 'orgueil que nous sommes polis: nous nous sentons flattés d'avoir des manières qui prouvent que nous ne sommes pas dans la bassesse, et que nous n'avons pas vécu avec cette sorte de gens que l'on a abandonnés dans tous les âges.

Dans les monarchies, la politesse est naturalisée à la cour. Un homme excessivement grand rend tous les autres petits. De là les égards que l'on doit à tout le monde; de là naît la politesse, qui flatte autant ceux qui sont polis que ceux à l'égard de qui ils le sont, parce qu'elle fait comprendre qu'on est de la cour, ou qu'on est digne d'en être.

L'air de la cour consiste à quitter sa grandeur propre pour une grandeur empruntée. Celle-ci flatte plus un courtisan que la sienne même. Elle donne une certaine modestie superbe qui se répand au loin, mais dont l'orgueil diminue insensiblement, à proportion de la distance où l'on est de la source de cette grandeur.

On trouve à la cour une délicatesse de goût en toutes choses, qui vient d'un usage continuel des superfluités d'une grande fortune, de la variété et surtout de la lassitude des plaisirs, de la multiplicité, de la confusion même des fantaisies, qui, lorsqu'elles sont agréables, y sont toujours reçues.

C'est sur toutes ces choses que l'éducation se porte pour faire ce qu'on appelle l'honnête homme, qui a toutes les qualités et toutes les vertus que Fon demande dans ce gouvernement.

Là l'honneur, se mêlant partout, entre dans toutes les façons de penser et toutes les manières de sentir, et dirige même les principes.

Cet honneur bizarre fait que les vertus ne sont que ce qu'il veut, et comme il les veut; il met de son chef des règles à tout ce qui nous est prescrit; il étend ou il borne nos devoirs à sa fantaisie, soit qu'ils aient leur source dans la religion, dans la politique, ou dans la morale

Il n'y a rien dans la monarchie que les lois, la religion et l'honneur prescrivent tant que l'obéissance aux volontés du prince; mais cet honneur nous dicte que le prince ne doit jamais nous prescrire une action qui nous déshonore, parce qu'elle nous rendrait incapables de le servir.

Crillon refusa d'assassiner le duc de Guise; mais il offrit à Henri III de se battre contre lui. Après la Saint-Barthélemi, Charles IX ayant écrit à tous les gouverneurs de faire massacrer les huguenots, le vicomte d'Orte qui commandait dans Baïonne, écrivit au roit, « SIRE, je n'ai trouvé << parmi les habitants et les gens de guerre que de a bons citoyens, de braves soldats, et pas un << bourreau : ainsi, eux et moi supplions Votre << Majesté d'employer nos bras et nos vies à choses << faisables. » Ce grand et généreux courage regardait une lacheté comme une chose impossible.

Il n'y a rien que l'honneur prescrive plus à la noblesse que de servir le prince à la guerre : en effet, c'est la profession distinguée, parce que ses hasards, ses succès et ses malheurs même, conduisent à la grandeur. Mais en imposant cette loi, l'honneur veut en être l'arbitre; et, s'il se trouve choqué, il exige ou permet qu'on se retire chez soi.

Il veut qu'on puisse indifféremment aspirer aux emplois, ou les refuser; il tient cette liberté au

dessus de la fortune même.

L'honneur a donc ses règles suprêmes, et l'éducation est obligée de s'y conformer. Les principales sont, qu'il nous est bien permis de faire cas de notre fortune; mais qu'il nous est souverainement défendu d'en faire aucun de notre vie.

La seconde est que, lorsque nous avons été une fois placés dans un rang, nous ne devons rien faire ni souffrir qui fasse voir que nous nous tenons inférieurs à ce rang même.

La troisième, que les choses que l'honneur défend sont plus rigoureusement défendues lorsque les lois ne concourent point à les proscrire, et que celles qu'il exige sont plus fortement exigées lorsque les lois ne les demandent pas.

Voyez l'Histoire de d'Aubigné.

2 On dit ici ce qui est, et non pas ce qui doit être : l'honneur est un préjugé que la religion travaille tantôt à détruire, tantôt à régler.

CHAPITRE III.

De l'éducation dans le gouvernement despotique.

des choses que nous ne voyons plus aujourd'hui, et qui étonnent nos petites âmes. Leur éducation avait un autre avantage sur la nôtre: elle n'était jamais démentie. Épaminondas, la dernière année de sa vie, disait, écoutait, voyait, faisait les mêmes choses que dans l'âge où il avait commencé d'être instruit.

Comme l'éducation dans les monarchies ne travaille qu'à élever le cœur, elle ne cherche qu'à l'abaisser dans les États despotiques, il faut qu'elle y soit servile. Ce sera un bien, même dans le commandement, de l'avoir eue telle, personne n'y étant tyran sans être en même temps esclave.

L'extrême obéissance suppose de l'ignorance dans celui qui obéit; elle en suppose même dans celui qui commande: il n'a point à délibérer, à douter, ni à raisonner, il n'a qu'à vouloir.

Dans les États despotiques, chaque maison est un empire séparé. L'éducation, qui consiste principalement à vivre avec les autres, y est donc trèsbornée: elle se réduit à mettre la crainte dans le cœur, et à donner à l'esprit la connaissance de quelques principes de religion fort simples. Le savoir y sera dangereux, l'émulation funeste; et, pour les vertus, Aristote ne peut croire qu'il y en ait quelqu'une de propre aux esclaves 3; ce qui bornerait bien l'éducation dans ce gouvernement. L'éducation y est donc en quelque façon nulle. Il faut ôter tout, afin de donner quelque chose, et commencer par faire un mauvais sujet, pour faire un bon esclave.

Eh! pourquoi l'éducation s'attacherait-elle à y former un bon citoyen qui prît part au malheur public? S'il aimait l'État, il serait tenté de relâcher les ressorts du gouvernement: s'il ne réussissait pas, il se perdrait; s'il réussissait, il courrait risque de se perdre, lui, le prince et l'empire.

CHAPITRE IV.

Différence des effets de l'éducation chez les anciens et parmi nous.

La plupart des peuples anciens vivaient dans des gouvernements qui ont la vertu pour principe; et, lorsqu'elle y était dans sa force, on y faisait

Aujourd'hui, nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde. Ce qu'on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières. Cela vient, en quelque partie, du contraste qu'il y a parmi nous entre les engagements de la religion et ceux du monde : choses que les anciens ne connaissaient pas 2.

CHAPITRE V.

De l'éducation dans le gouvernement républicain.

C'est dans le gouvernement républicain que l'on a besoin de toute la puissance de l'éducation. La crainte des gouvernements despotiques naît d'ellemême parmi les menaces et les châtiments; l'honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour; mais la vertu politique est un renoncement à soi-même 3, qui est toujours une chose très-pénible.

On peut définir cette vertu, l'amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières : elles ne sont que cette préférence.

Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties. Dans elles seules, le gouvernement est

L'extrême obéissance suppose de la soumission, et non de l'ignorance, dans celui qui obéit. Si l'obéissance supposait l'ignorance, il s'ensuivrait que dans les monarchies, dont la soumission est le principe, les ordres du monarque seraient toujours mal compris et mal exécutés: ce qui conduirait infailliblement l'État à sa ruine. (D.) - Cette réflexion est excellente en elle-même, et c'est pour cela que nous l'avons rapportée; mais son application manque de justesse: tout le monde voit que, par les mots extréme obéissance, il faut entendre ici une obéissance aveugle.

2 Politiq. liv. I.

La religion chrétienne défend la vengeance, et prescrit l'humilité; et c'est là peut-être le contraste dont l'auteur veut parler; mais ces préceptes n'ont pas fait de l'Europe un monde de poltrons: et l'on remarque que les officiers les plus attachés aux devoirs de cette religion sont communément les plus exacts à remplir les devoirs de leur état, et les plus intrépides dans le danger. (D.)

2 On ne leur enseignait, dès le berceau, que des fables, des allégories, des emblèmes, qui devenaient bientôt la règle et la

passion de toute leur vie. Leur valeur ne pouvait mépriser le dieu Mars. L'emblème de Vénus, des Gráces et des Amours ne pouvait choquer un jeune homme amoureux. S'il brillait au sénat, il ne pouvait mépriser Mercure, le dieu de l'éloquence. II se voyait entouré de dieux qui protégeaient ses talents et ses dé sirs. (VOLT.)

3 Cette vertu, que Montesquieu va définir, «l'amour de la patrie, » n'est point un renoncement à soi-même. Loin de porter l'homme à l'abnégation de ses intérêts, elle lui donne un désir extrême de voir l'État florissant et tranquille. Dans cette prospérité et cette tranquillité publique, le citoyen trouve à la fois sa tranquillité particulière, son indépendance, la possession et la jouissance paisible de ses biens, l'espérance de les augmen

ter par la liberté du commerce, et celle d'être élevé à de plus

3 Comment cela se pourrait-il? ils n'ont point de volonté. (H.) grandes dignités. (D.)

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