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madame`d'Egmont

aveu; il est si simple!..... Mais, plus j'y pense, et plus je m'étonne d'avoir pu, tout à l'heure, par la plus innocente de toutes les moqueries, exciter un tel scandale, quand je sais qu'hier, à un petit souper chez madame d'Egmont, monsieur le comte de Guines; que voilà, a charmé tout le monde par des moqueries intarissables et charmantes sur la ville d'Arras, où le régiment des grenadiers de France est en garnison, et enfin sur son lieutenant-colonel....

LE COMTE.

Je n'ai point fait de plaisanterie sur la ville d'Arras. En me moquant d'elle,

* Où le régiment des grenadiers de France, dont le comte de Guines était colonel, se trouvait en gar

j'aurais également manqué à la vérité et au devoir de l'hospitalité. Mais je me suis égayé sur une vieille fille (comine disent les Anglais) qui habite cette ville, et qui a de grandes prétentions à l'art de broder, surtout depuis que mon lieutenant-colonel lui a dit que ce talent, aux yeux des anciens Grecs, était le premier de tous dans une femme. Mademoiselle d'En***, c'est le nom de cette fameuse brodeuse, passe les jours et les nuits à son métier, depuis qu'elle sait ce trait d'histoire. Un jour que je la trouvai dans son salon, terminant un grand ouvrage, je lui fis compliment sur son adresse inimitable. Elle me répondit d'un ton à la fois fier et modeste : Il est vrai, monsieur, qu'on m'a toujours dit que j'étais une autre

Arachenez*; mais j'ai bien senti que c'était une flatterie.

LA MARÉCHAle.

Mademoiselle d'En*** devait être une bien aimable personne; mais comment aviez-vous formé avec elle une liaison intime?

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* J'ai déjà dit que tous les mots et toutes les historiettes qui se trouvent dans cet ouvrage sont parfaitement vrais, et que je n'y ai rien ajouté.

quante ans, et de plus, elle avait toujours été laide, rousse, boiteuse et minaudière; ce qui n'empêchait pas mon lieutenant-colonel de me répéter sans cesse qu'il avait de l'attrait pour elle.

LE CHEVALIER.

Et lui, quel âge avait-il?

LE COMTE.

Mais environ cinquante-deux ou trois ans. Comme il lisait beaucoup de livres de médecine, il se croyait meilleur médecin que Tronchin; et comme mademoiselle d'En*** était souvent malade, il s'arrogeait le droit de lui prescrire le régime et les médicamens dont elle avait besoin. A la suite d'une assez longue maladie, il la questionna un jour à fond sur sa convalescence, et après avoir épuisé toutes les demandes vul

gaires que l'on fait en pareil cas, il demeura pensif un moment; ensuite, reprenant la parole: Mademoiselle, lui dit-il d'un air pédant, grave et solennel, quand

(Tout le monde rit aux éclats.)

* Je m'arrête, le trait que je crois devoir supprimer est un peu libre; mais il n'a rien de révoltant; le comte de Guines le conta, dans ce temps, chez la maréchale et dans tous les petits cercles du meilleur goût de Paris; partout l'on en rit et l'on en fut charmé. On avait alors au suprême degré le sentiment des bienséances, mais on n'y joignait jamais de la pruderie; du moins, deux femmes seules à cette époque en étaient accusées, et l'on se moquait universellement d'elles; nous avons vu croître cette affectation jusqu'au moment de la révolution, où la fausseté en tout genre était parvenue à son comble. Il est certain qu'aujourd'hui on ne connaît même plus une foule de bienséances auxquelles on était, jadis, généralement assujetti; et qu'en même temps

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