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absurde de faire une déclamation autour d'une médaille ou au bas d'un tableau, surtout lorsqu'il s'agit d'actions comme celles du roi, qui, étant d'elles-mêmes toutes grandes et toutes merveilleuses, n'ont pas besoin d'être exagérées.

Il suffit d'énoncer simplement les choses pour les faire admirer. « Le passage du Rhin » dit beaucoup plus que « Le merveilleux « passage du Rhin. » L'épithète de MERVEILLEUX en cet endroit, bien loin d'augmenter l'action, la diminue, et sent son déclamateur qui veut grossir de petites choses. C'est à l'inscription à dire : << Voilà le passage du Rhin, » et celui qui lit saura bien dire sans elle-: « Le passage du Rhin est une des plus merveilleuses actions qui aient jamais été faites dans la guerre. » Il le dira même d'autant plus volontiers que l'inscription ne l'aura pas dit avant lui, les hommes naturellement ne pouvant souffrir qu'on prévienne leur jugement, ni qu'on leur impose la nécessité d'admirer ce qu'ils admireront assez d'eux-mêmes.

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D'ailleurs, comme les tableaux de la galerie de Versailles sont des espèces d'emblèmes héroïques des actions du roi, il ne faut, dans les règles, que mettre au bas du tableau le fait historique qui a donné occasion à l'emblème. Le tableau doit dire le reste, et s'expliquer tout seul. Ainsi, par exemple, lorsqu'on aura mis au bas du premier tableau : « Le roi prend lui-même la conduite de << son royaume, et se donne tout entier aux affaires, 1661, » il sera aisé de concevoir le dessein du tableau, où l'on voit le roi fort jeune, qui s'éveille au milieu d'une foule de plaisirs dont il est environné, et qui, tenant de la main un timon, s'apprête à suivre la Gloire qui l'appelle, etc.

Au reste, cette simplicité d'inscriptions est extrêmement du goût des anciens, comme on le peut voir dans les médailles, où ils se contentaient souvent de mettre pour toute explication la date de l'action qui est figurée, ou le consulat sous lequel elle a été faite, ou tout au plus deux mots qui apprennent le sujet de la médaille.

Il est vrai que la langue latine dans cette simplicité a une noblesse et une énergie qu'il est difficile d'attraper en notre langue; mais si l'on n'y peut atteindre, il faut s'efforcer d'en approcher, et tout du moins ne pas charger nos inscriptions d'un verbiage et d'une enflure de paroles qui, étant fort mauvaises partout ailleurs, devient surtout insupportable en ces endroits.

Ajoutez à tout cela que ces tableaux étant dans l'appartement du roi, et ayant été faits par son ordre, c'est en quelque sorte le roi lui-même qui parle à ceux qui viennent voir sa galerie. C'est pour ces raisons qu'on a cherché une grande simplicité dans les nouvelles inscriptions, où l'on ne met proprement que le titre et la date, et où l'on a surtout évité le faste et l'ostentation.

TRAITÉ DU SUBLIME,

OU

DU MERVEILLEUX DANS LE DISCOURS,

TRADUIT DU GREC DE LONGIN.

PRÉFACE DU TRADUCTEUR.

Ce petit traité, dont je donne la traduction au public1, est une pièce échappée du naufrage de plusieurs autres livres que Longin avait composés. Encore n'est-elle pas venue à nous tout entière.: car, bien que le volume ne soit pas fort gros, il y a plusieurs endroits défectueux; et nous avons perdu le Traité des Passions, dont l'auteur avait fait un livre à part, qui était comme une suite naturelle de celui-ci. Néanmoins, tout défiguré qu'il est, il nous en reste encore assez pour nous faire concevoir une fort grande idée de son auteur, et pour nous donner un véritable regret de la perte de ses autres ouvrages. Le nombre n'en était pas médiocre. Suidas en compte jusqu'à neuf, dont il ne nous reste plus que des titres assez confus. C'étaient tous ouvrages de critique. Et certainement on ne saurait assez plaindre la perte de ces excellents originaux, qui, à en juger par celui-ci, devaient être autant de chefs-d'œuvre de bon sens, d'érudition et d'éloquence. Je dis d'éloquence, parce que Longin ne s'est pas contenté, comme Aristote et Hermogène2, de nous donner des préceptes tout secs et dépouillés d'ornements. Il n'a pas voulu tomber dans le défaut qu'il reproche à Cécilius, qui avait, dit-il, écrit du sublime en style bas. En traitant des beautés de l'élocution, il a employé toutes les finesses de l'éłocution. Sɔu

L'auteur la donna en 1674, dans sa trente-huitième année.

2 Rhéteur célèbre de Tarse en Cilicie. Il prononçait, dès l'âge de quinze ans, des discours improvisés avec une si étonnante facilité, que l'empereur Marc-Aurele voulut aller l'entendre, A seize ans, il publia son excellent ouvrage sur la rhétorique; mais, à vingt-cinq, il perdit tout à coup la mémoire, et tomba dans un état de stupidité où il végéta jusqu'à un âge fort avancé, n'étant plus que l'ombre de lui-même. Voyez Belin de Ballu, Hist. crit. de l'Eloq., tome II.

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vent il fait la figure qu'il enseigne; et, en parlant du sublime, il est lui-même très-sublime. Cependant il fait cela si à propos et avec tant d'art, qu'on ne saurait l'accuser en pas un endroit de sortir du style didactique. C'est ce qui a donné à son livre cette haute réputation qu'il s'est acquise parmi les savants, qui l'ont tous regardé comme un des plus précieux restes de l'antiquité sur les matières de rhétorique. Casaubon l'appelle un livre d'or, voulant marquer par là le poids de ce petit ouvrage, qui, malgré sa petitesse, peut être mis en balance avec les plus gros volumes.

Aussi jamais homme, de son temps mème, n'a été plus estimé que Longin. Le philosophe Porphyre, qui avait été son disciple, parle de lui comme d'un prodige. Si on l'en croit, son jugement était la règle du bon sens; ses décisions en matière d'ouvrages passaient pour des arrêts souverains; et rien n'était bon ou mauvais qu'autant que Longin l'avait approuvé qu blâmé. Eunapius, dans la Vie des Sophistes, passe encore plus avant. Pour exprimer l'estime qu'il fait de Longin, il se laisse emporter à des hyperboles extravagantes, et ne saurait se résoudre à parler en style raisonnable d'un mérite aussi extraordinaire que celui de cet auteur. Mais Longin ne fut pas simplement un critique habile, ce fut un ministre d'État considérable; et il suffit, pour faire son éloge, de dire qu'il fut considéré de Zénobie, cette fameuse reine des Palmyréniens, qui osa bien se déclarer reine de l'Orient après la mort de son mari Odenat. Elle avait appelé d'abord Longin auprès d'elle pour s'intruire dans la langue grecque : mais de son maitre en grec elle en fit à la fin un de ses principaux ministres. Ce fut lui qui encouragea cette reine à soutenir la qualité de reine de l'Orient, qui lui rehaussa le cœur dans l'adversité, et qui lui fournit les paroles altières qu'elle écrivit à Aurélian, quand cet empereur la somma de se rendre. Il en coûta la vie à notre auteur; mais sa mort fut également glorieuse pour lui et honteuse pour Aurélian, dont on peut dire qu'elle a pour jamais flétri la mémoire. Comme cette mort est un des plus fameux incidents de l'histoire de ce temps-là, le lecteur ne sera peut-être pas fâché que je lui rapporte ici ce que Flavius Vopiscus en a écrit. Cet auteur raconte que l'armée de Zénobie et de ses alliés ayant été mise en fuite près de la ville d'Émèse, Aurélian alla mettre le siége devant Palmyre, où cette princesse s'était retirée. Il y trouva plus de résistance qu'il ne s'était imaginé, et qu'il n'en devait attendre vraisemblablement de la résolution

d'une femme. Ennuyé de la longueur du siége, il essaya de l'avoir par composition. Il écrivit donc une lettre à Zénobie, dans laquelle il lui offrait la vie et un lieu de retraite, pourvu qu'elle se rendit dans un certain temps. Zénobie, ajoute Vopiscus, répondit à cette lettre avec une fierté plus grande que l'état de ses affaires ne lui permettait. Elle croyait par là donner de la terreur à Aurélian. Voici sa réponse :

« Zénobie, reine de l'Orient, à l'empereur Aurélian.

<< Personne jusqu'ici n'a fait une demande pareille à la tienne. C'est « la vertu, Aurélian, qui doit tout faire dans la guerre. Tu me «< commandes de me remettre entre tes mains, comme si tu ne savais « pas que Cléopâtre aima mieux mourir avec le titre de reine, que << de vivre dans toute autre dignité. Nous attendons le secours des Perses; les Sarrasins arment pour nous; les Arméniens se sont « déclarés en notre faveur ; une troupe de voleurs dans la Syrie a « défait ton armée: juge ce que tu dois attendre, quand toutes ces «forces seront jointes. Tu rabattras de cet orgueil avec lequel, «< comme maître absolu de toutes choses, tu m'ordonnes de me « rendre. >>

Cette lettre, ajoute Vopiscus, donna encore plus de colère que de honte à Aurélian. La ville de Palmyre fut prise peu de jours après, et Zénobie arrêtée comme elle s'enfuyait chez les Perses. Toute l'armée demandait sa mort; mais Aurélian ne voulut pas déshonorer sa victoire par la mort d'une femme. Il réserva donc Zénobie pour le triomphe, et se contenta de faire mourir ceux qui l'avaient assistée de leurs conseils. Entre ceux-là, continue cet historien, le philosophe Longin fut extrêmement regretté. Il avait été appelé auprès de cette princesse pour lui enseigner le grec. Aurélian le fit mourir pour avoir écrit la lettre précédente; car, bien qu'elle fût écrite en langue syriaque, on le soupçonnait d'en être l'auteur. L'historien Zosime témoigne que ce fut Zénobic elle-même qui l'en accusa. «< Zenobie, dit-il, se voyant arrêtée,

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rejeta toute sa faute sur ses ministres, qui avaient, dit-elle, abusé « de la faiblesse de son esprit. Elle nomma entre autres Longin, «< celui dont nous avons encore plusieurs écrits si utiles. Aurélian << ordonna qu'on l'envoyât au supplice. Ce grand personnage, « poursuit Zosime, souffrit la mort avec une constance admirable,

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