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Latona proles divina, Jovisque bicornis.

APOLLON.

Vous avez donc perdu l'esprit ? Vous donnez des cornes à mon père?

LE POETE.

C'est pour finir le vers. J'ai pris la première épithète que Textor m'a donnée.

APOLLON.

Pour finir le vers, fallait-il dire une énorme sottise? Mais vous, Horace, faites aussi des vers français.

HORACE.

C'est-à-dire qu'il faut que je vous donne aussi une scène à mes dépens et aux dépens du sens commun.

APOLLON.

Ce ne sera qu'aux dépens de ces étrangers. Rimez toujours.

HORACE.

Sur quel sujet ? Qu'importe? Rimons, puisqu'Apollon l'ordonne. Le sujet viendra après.

Sur la rive du fleuve amassant de l'arène...

UN POETE.

Alte là. On ne dit point en notre langue : sur la rive du fleuve, mais sur le bord de la rivière. Amasser de l'arène ne se dit pas non plus; il faut dire du sable.

HORACE.

Vous êtes plaisant. Est-ce que rive et bord ne sont pas des mots synonymes aussi bien que fleuve et rivière? Comme si je ne savais pas que dans votre cité de Paris la Seine passe sous le PontNouveau! Je sais tout cela sur l'extrémité du doigt.

UN POETE.

Quelle pitié! Je ne conteste pas que toutes vos expressions ne soient françaises; mais je dis que vous les employez mal. Par exemple, quoique le mot de cité soit bon en soi, il ne vaut rien où vous le placez on dit la ville de Paris. De même on dit le PontNeuf, et non pas le Pont-Nouveau ; savoir une chose sur le bout du doigt, et non pas sur l'extrémité du doigt.

HORACE.

Puisque je parle si mal votre langue, croyez-vous, messieurs les faiseurs de vers latins, que vous soyez plus habiles dans la notre? Pour vous dire nettement ma pensée, Apollon devrait

vous défendre aujourd'hui pour jamais de toucher plume ni papier.

APOLLON.

Comme ils ont fait des vers sans ma permission, ils en feraient encore malgré ma défense. Mais, puisque dans les grands abus il faut des remèdes violents, punissons-les de la manière la plus terrible. Je crois l'avoir trouvée. C'est qu'ils soient obligés désormais à lire exactement les vers les uns des autres. Horace, faitesleur savoir ma volonté.

HORACE.

De la part d'Apollon, il est ordonné, etc.

SANTEUL.

Que je lise le galimatias de Dupérier! Moi! je n'en ferai rien. C'est à lui de lire mes vers.

DUPÉRIER.

Je veux que Santeul commence par me reconnaître pour son maître, et après cela je verrai si je puis me résoudre à lire quelque chose de son phébus.

Ces poëtes continuent à se quereller; ils s'accablent réciproquement d'injures, et Apollon les fait chasser honteusement du Parnasse.

ARRÊT BURLESQUE

Donné en la grand'chambre du Parnasse, en faveur des maîtres-ès-arts, médecins et professeurs de l'Université de Stagyre, au pays des Chimères, pour le maintien de la doctrine d'Aristote.

Vu par la cour la requête présentée par les régents, maitresès-arts, docteurs et professeurs de l'Université, tant en leurs noms que comme tuteurs et défenseurs de la doctrine de maitre en blanc Aristote, ancien professeur royal en grec dans le collége du Lycée, et précepteur du feu roi de querelleuse mémoire, Alexandre dit le Grand, acquéreur de l'Asie, Europe, Afrique, et autres lieux; contenant que, depuis quelques années, une inconnue, nommée la Raison, aurait entrepris d'entrer par force dans les écoles de ladite Université; et pour cet effet, à l'aide de certains quidams factieux, prenant les surnoms de Gassendistes,

L'Université avait présente requête au parlement pour empêcher qu'on n'enseignât la philosophie de Descartes. La requête fut supprimée, et Bernier en fit imprimer une de sa façou.

avec

Cartésiens, Malebranchistes et Pourchotistes, gens sans aveu, se serait mise en état d'en expulser ledit Aristote, ancien et paisible possesseur desdites écoles, contre lequel elle et ses consorts auraient déjà publié plusieurs livres, traités, dissertations et raisonnements diffamatoires; voulant assujettir ledit Aristote à subir devant elle l'examen de sa doctrine, ce qui serait directement opposé aux lois, us et coutumes de ladite Université, où ledit Aristote aurait toujours été reconnu pour juge sans appel, et non comptable de ses opinions; que même, sans l'aveu d'icelui, elle aurait changé et innové plusieurs choses en et au dedans de la nature, ayant ôté au cœur la prérogative d'être le principe des nerfs, que ce philosophe lui avait accordée libéralement et de son bon gré, et laquelle elle aurait cédée et transportée au cerveau : et ensuite, par une procédure nulle de toute nullité, aurait attribué audit cœur la charge de recevoir le chyle, appartenant ci-devant au foie, comme aussi de faire voiturer le sang par tout le corps, plein pouvoir audit sang d'y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et artères, n'ayant autre droit ni titre, pour faire lesdites vexations, que la seule expérience, dont le témoignage n'a jamais été reçu dans lesdites écoles. Aurait aussi attenté ladite Raison, par une entreprise inouïe, de déloger le feu de la plus haute région du ciel, et prétendu qu'il n'avait là aucun domicile, nonobstant les certificats dudit philosophe, et les visites et descentes faites par lui sur les lieux. Plus, par un attentat et voie de fait énorme contre la Faculté de médecine, se serait ingérée de guérir, et aurait réellement et de fait guéri, quantité de fièvres intermittentes, comme tierces, doubles-tierces, quartes, triplesquartes, et même continues, avec vin pur, poudre, écorce de quinquina, et autres drogues inconnues audit Aristote et à Hippocrate son devancier, et ce sans saignée, purgation ni évacuation précédentes; ce qui est non-seulement irrégulier, mais tortionnaire et abusif; ladite Raison n'ayant jamais été admise ni agrégée au corps de ladite Faculté, et ne pouvant par conséquent consulter avec les docteurs d'icelle, ni être consultée par eux, comme elle ne l'a en effet jamais été. Nonobstant quoi, et malgré les plaintes et oppositions réitérées des sieurs Blondel, Courtois, Denyau, et autres défenseurs de la bonne doctrine, elle n'aurait pas laissé de se servir toujours desdites drogues, ayant eu la hardiesse de les employer sur les médecins même de ladite Faculté, dont plusieurs,

au grand scandale des règles, ont été guéris par lesdits remèdes : ce qui est d'un exemple très-dangereux, et ne peut avoir été fait que par mauvaises voies, sortiléges et pactes avec le diable. Et, non contente de ce, aurait entrepris de diffamer et de bannir des écoles de philosophie les formalités, matérialités, entités, identités, virtualités, eccéités, pétréités, polycarpéités et autres êtres imaginaires, tous enfants et ayants cause de défunt maitre Jean Scot, leur père; ce qui porterait un préjudice notable, et causerait la totale subversion de la philosophie scolastique, dont elles font tout le mystère, et qui tire d'elles toute sa subsistance', s'il n'y était par la cour pourvu. Vu les libelles intitulés Physique de Rohault, Logique de Port-Royal, Traitės du Quinquina, même l'ADVERSUS ARISTOTELEOS de Gassendi, et autres pièces attachées à ladite requête, signée CHICANEAU, procureur de ladite Université: Oui le rapport du conseiller-commis; tout considéré :

LA COUR, ayant égard à ladite requête, a maintenu et gardé, maintient et garde ledit Aristote en la pleine et paisible possession et jouissance desdites écoles. Ordonne qu'il sera toujours suivi et enseigué par les régents, docteurs', maîtres-ès-arts et professeurs de ladite Université, sans que pour ce ils soient obligés de le lire, ni de savoir sa langue et ses sentiments. Et, sur le fond de sa doctrine, les renvoie à leurs cahiers. Enjoint au cœur de continuer d'être le principe des nerfs, et à toutes personnes, de quelque condition et profession qu'elles soient, de le croire tel, nonobstant toute expérience à ce contraire. Ordonne pareillement au chyle d'aller droit au foie, sans plus passer par le cœur, et au foie de le recevoir. Fait défenses au sang d'être plus vagabond, errer ni circuler dans le corps, sous peine d'être entièrement livré et abandonné à la Faculté de médecine. Défend à la Raison et à ses adhérents de plus s'ingérer à l'avenir de guérir les fièvres tierces, doubles-tierces, quartes, triple-quartes ni continues, par mauvais moyens et voies de sortiléges, comme vin pur, poudre, écorce de quinquina, et autres drogues non approuvées ni connues des anciens. Et en cas de guérisons irrégulières par icelles drogues, permet aux médecins de ladite Faculté de rendre, suivant leur méthode ordinaire, la fièvre aux malades, avec casse, séné, sirops, juleps et autres remèdes propres à ce; et de remettre lesdits malades en tel et semblable état qu'ils étaient auparavant, pour être ensuite traités selon les règles; et, s'ils n'en réchappent, conduits du moins en

l'autre monde suffisamment purgés et évacués. Remet les entités, identités, virtualités, eccéités et autres pareilles formules scotistes, en leur bonne fame et renommée. A donné acte aux sieurs Blondel, Courtois et Denyau de leur opposition au bon sens. A réintégré le feu dans la plus haute région du ciel, suivant et conformément aux descentes faites sur les lieux. Enjoint à tous régents, maîtres-èsarts et professeurs d'enseigner comme ils ont accoutumé, et de se servir, pour raison de ce, de tel raisonnement qu'ils aviseront bon être, et aux répétiteurs hibernois et autres leurs suppôts de leur prêter main-forte, et de courir sus aux contrevenants, à peine d'être privés du droit de disputer sur les prolégomènes de la logique. Et afin qu'à l'avenir il n'y soit contrevenu, a banni à perpétuité la Raison des écoles de ladite Université; lui fait défenses d'y entrer, troubler ni inquiéter ledit Aristote en la possession et jouissance d'icelles, à peine d'être déclarée janséniste et amie des nouveautés. Et à cet effet, sera le présent arrêt lu et publié aux Mathurins de Stagyre, à la première assemblée qui sera faite pour la procession du recteur, et affiché aux portes de tous les colléges du Parnasse, et partout où besoin sera. Fait ce trente-huitième jour d'août onze mille six cent soixante et quinze.

COLLATIONNÉ AVEC PARAPHE.

REMERCIMENT

A MESSIEURS DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

1684.

MESSIEURS,

L'honneur que je reçois aujourd'hui est quelque chose pour moi de si grand, de si extraordinaire, de si peu attendu, et tant de sortes de raisons semblaient devoir pour jamais m'en exclure, que, dans le moment même où je vous en fais mes remerciments, je ne sais encore ce que je dois croire. Est-il possible, est-il bien vrai que vous m'ayez en effet jugé digne d'être admis dans cette illustre compagnie, dont le fameux établissement ne fait guère moins d'honneur à la mémoire du cardinal de Richelieu que tant

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