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NOTICE SUR FÉNÉLON.

Fénélon a trouvé un historien digne de lui. M. de Bausset s'est livré aux plus curieuses recherches pour écrire la vie d'un évêque dont il sentait profondément les vertus; et, ce qui est le plus grand des éloges, il a conservé dans la candeur noble et touchante de sa narration quelque chose du goût et du style de Fénélon.

DE SYMMAQUE,

ET

DE SAINT AMBROISE.

UN des hommes les plus remarquables qui aient paru dans les dernières époques de l'empire, est sans doute Symmaque. Défenseur des fables du paganisme, il fut admiré par les chrétiens. Pendant une longue vie, et sous la rapide succession de tant d'empereurs, il remplit les premières dignités de l'État; il cultiva tous les arts de l'esprit, au milieu de la barbarie qui naissait déjà de toutes parts.

Proconsul d'Afrique, préfet de Rome, prince du sénat, souverain pontife, il eut par-dessus tous ces titres la réputation de grand orateur*, et fut comparé à Cicéron. Pour nous Symmaque est un exemple curieux de l'état des lettres et de la

* O linguam miro verborum fonte fluentem,
Romani decus eloquii! etc.

Os dignum æterno cinctum quod fulgeat auro.

PRUDENTIUS, lib. I.

civilisation païenne au quatrième siècle; et à ce titre on peut l'étudier.

Symmaque était zélé pour le polytheïsme. L'histoire explique comment, au milieu de la ruine de l'empire, dans la chute de la discipline, dans l'oubli des vertus guerrières, quelques ames ardentes avaient pu lier les sentiments qu'elles éprouvaient au souvenir et au regret de l'ancienne religion, contemporaine de la gloire de Rome. Le paganisme, si docile sous la main des tyrans, tenait cependant aux plus belles époques de la république. Avant de s'avilir par l'apothéose d'Auguste, il s'était honoré des vertus de Scipion : et ce regret de la liberté perdue, ces nobles traditions que, depuis tant de siècles, les ames généreuses se transmettaient dans le silence de l'esclavage, parlaient en sa faveur, et s'autorisaient des malheurs publics. Enfin cette poésie, cette éloquence, qui devaient être la consolation et le refuge des ames élevées, étaient toutes remplies des fables et de la philosophie païennes. Lors même que le scepticisme, généralement répandu, décréditait ces ingénieux mensonges, leur séduction agissait encore, à défaut de leur autorité. Elle inspirait à des esprits, même éclairés, une sorte d'attachement pour un culte inséparable de tant de beaux souvenirs, qui faisaient le charme de leurs études. Ainsi, tandis qu'une partie de la foule ignorante.

tenait encore aux idoles de ses aïeux, regrettait les fêtes licencieuses de l'ancienne religion, et, dans sa haine aveugle contre les chrétiens, leur reprochait tous les maux qu'elle souffrait, quelques ames généreuses, quelques esprits séduits par le charme de l'éloquence et des lettres, s'opiniâtraient pour des fables qu'ils ne croyaient pas, mais qu'ils aimaient, dont leur imagination se laissait doucement flatter, et qu'ils confondaient avec les deux biens qu'avait perdus Rome, la gloire et la liberté.

Dans les époques successives d'une société, comme dans les différents. âges de la vie de l'homme, c'est une disposition naturelle à notre esprit d'imputer les maux qu'il souffre à l'absence des illusions qu'il a perdues. Ainsi, philosophe et homme d'état, Symmaque défendait, au milieu du siècle de Théodose, le culte et la théogonie de Numa. Des intérêts politiques animaient encore son zèle: la fondation de Constantinople, cette grande époque du christianisme, avait laissé dans le peuple et le sénat de Rome un sentiment de regret et de jalousie. Constantin avait endurci dans leurs erreurs ceux qu'il voulait punir; et le sénat de Rome, humilié de n'être plus l'unique sénat de l'empire, marquait du moins son dépit et sa rivalité par son obstination dans le culte des faux dieux. C'était là que s'était réfugié l'or

gueil de l'ancienne métropole du monde. Symmaque, au premier rang des sénateurs de Rome, se trouvait engagé dans la défense du polythéisme, par cet intérêt commun et cet amour-propre d'une grande assemblée, si puissant sur l'esprit de ceux même qui la dominent. Du reste, on ne trouve dans ses écrits nulle expression de haine contre le christianisme: comme Pline le jeune, il va même jusqu'à louer la vertu des chrétiens. Ce n'est pas le seul trait de ressemblance que l'on aperçoive entre ces deux orateurs, qui, à trois siècles de distance, brillèrent dans le sénat romain. Symmaque, avec moins de goût et de pureté, travaille à reproduire l'ingénieuse élégance de Pline, plus accessible à l'imitation que la grande éloquence des beaux siècles de Rome. Le hasard a voulu que ces deux hommes qui, chacun dans leur temps, parurent le modèle de l'éloquence, ne nous soient guère connus que par un recueil de lettres *. Les lettres de Symmaque respirent également le goût de l'étude et de la vertu; quelques-unes sont adressées à Ausone,

* M. Angelo Maio, si justement célèbre par ses précieuses découvertes, et par ses manuscrits palimpsestes, a trouvé et publié quelques fragments des panégyriques de Symmaque. Mais ces débris d'un genre d'ouvrage insignifiant par lui-même n'offrent aucun intérêt pour l'histoire ou pour le goût. Que faire aujourd'hui de compliments adressés à Valentinien ou à Gratien ?

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