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voit tout, le combat contre le doute est le plus grand effort de la pensée humaine. Pascal luimême y succombe quelquefois : il cherche des secours bizarres contre un si grand péril. Vous vous étonnez qu'une fois il mette à croix ou pile l'existence de Dieu et l'immortalité de l'ame, et qu'il détermine sa conviction par un calcul de probabilité souvenez-vous de Rousseau, plus faible et plus capricieux, faisant dépendre d'une pierre qu'il lance l'espoir de son salut éternel. Il faut reconnaître ici cette impuissance, et, pour ainsi dire, ce désespoir de la pensée, après de longs efforts pour pénétrer l'incompréhensible. Ce fut le tourment de Pascal, tourment d'autant plus grand, qu'il se proportionnait à son génie. Une religion positive put seule l'affranchir, et le soulager. Elle lui rendait quelque sécurité, en le domptant à force de croyance. Quand on lit que Pascal en était venu à porter sous ses vêtements un symbole formé de paroles mystiques, une espèce d'amulette, on sent que cette puissante intelligence avait reculé jusqu'à ces pratiques superstitieuses, pour fuir de plus loin une horrible incertitude. C'était là sa terreur. Le précipice que, depuis un accident funeste, les sens affaiblis de Pascal croyaient voir s'entr'ouvrir sous ses pas, n'était qu'une faible image de cet abîme du doute qui épouvantait intérieurement son ame.

Ainsi donc se partagea la vie trop courte de ce grand homme. D'abord il chercha à émanciper la raison humaine, il réclama l'indépendance de la pensée et l'autorité de la conscience; ensuite, il se consuma d'efforts pour élever des digues et des barrières contre l'invasion illimitée du scepticisme. Cet esprit puissant et inflexible embrasse d'une conviction profonde, comme une sauvegarde, les dogmes du christianisme, et leur donne, par sa soumission, le plus grand peut-être des témoignages humains. Mais si la conviction est entière, la démonstration est imparfaite, les preuves ne sont pas réunies, le raisonnement n'est pas achevé : et il reste quelques indices de la lutte qu'avait subie Pascal, et quelques marques extraordinaires de sa force, plutôt qu'un monument complet de sa victoire. Quoi qu'il en soit, ces débris sont là pour étonner le pyrrhonisme frivole, pour le mettre en doute de lui-même, et faire long-temps méditer les savants et les sages. On a dit que Pascal ne parlait pas au cœur, que sa religion avait l'air d'un joug qu'il impose, plutôt que d'une consolation qu'il promet. Vincent de Paule et Fénélon auraient obtenu sans doute plus de conversions que Pascal. On ne sent pas en lui cette tendresse d'ame, cette affection pour l'humanité, qui respire dans l'Évangile, et qui fit la puissance de la loi nouvelle. Toutefois il inté

resse profondément : il est si peu déclamateur, et si vrai! Ses paroles amères contre la nature humaine ne sont pas des invectives; ce sont des cris de douleur sur lui-même. On demeure frappé d'une sorte de triste respect, en voyant le mal intérieur de cette sublime intelligence. Sa misanthropie semble une expiation de son génie : il en est lui-même plus humilié qu'erorgueilli. Il n'est pas, comme le stoïcien de l'antiquité, un contemplateur impassible de nos misères : il les porte toutes en lui : « Mais, dit-il, malgré la vue de << toutes ces misères qui nous touchent, et qui << nous tiennent à la gorge, nous avons un instinct, << que nous ne pouvons réprimer, qui nous élève. >> Cet instinct de spiritualisme opposé à notre faiblesse mortelle, ce contraste de grandeur et de néant remplit seul les chapitres sublimes de Pascal sur la nature de l'homme. Il lui inspire des mouvements d'une incomparable éloquence, et des pensées d'une effrayante profondeur. On s'étonne de le voir descendre de cette haute méta

physique à des vérités d'observation, surprendre les moindres secrets du cœur, et pénétrer l'homme tout entier d'un vaste et triste regard.

Pascal ne fait pas, comme La Bruyère, des descriptions, des portraits: mais il saisit, et exprime d'un trait le principe des actions humaines. Il écrit l'histoire de l'espèce, et non celle de l'indi

vidu. Jugeant les choses de la terre avec une liberté et un désintéressement tout philosophique, il arrive souvent, par une route bien opposée, au même but que les plus hardis novateurs : mais il ne s'y arrête pas; il voit au-delà. Quelquefois il a l'air d'ébranler les principes mêmes de la société, de la propriété, de la justice; mais bientôt il les raffermit par une pensée plus haute. Il est sublime de bon sens autant que de génie. Le style porte en lui l'empreinte de ces deux caractères. Nulle part vous ne trouverez plus d'audace et de simplicité, plus de grandeur et de naturel, plus d'enthousiasme et de familiarité. Un écrivain célèbre a remarqué qu'il est peut-être le seul génie original que le goût n'ait presque jamais le droit de reprendre: on le conçoit, mais on n'y songe pas, en le lisant.

NOTICE

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FENELON (François de Salignac de Lamotte),

d'une famille ancienne et illustre, naquit au château de Fénélon en Périgord, le 6 août 1651. Sous les yeux d'un père vertueux, il fit avec autant de succès que de rapidité ses études littéraires; et dès l'enfance, nourri de l'antiquité classique, élevé dans la solitude parmi les modèles de la Grèce, son goût noble et délicat parut en même temps que son heureux génie. Appelé à Paris par son oncle, le marquis de Fénélon, pour achever ses études philosophiques et commencer le cours de théologie nécessaire à sa vocation naissante, il soutint, à quinze ans, la même épreuve que Bossuet, et prêcha devant un auditoire moins célèbre à la vérité que celui de l'hôtel de Ram

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