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y renonça sans retour, incapable de plier son esprit sous le joug de l'église établie, et voulant garder l'indépendance de sa foi.

A l'âge de vingt-quatre ans, Milton revint près de son père, qui s'était retiré des affaires, et habitait à la campagne. Il y passa quelques années dans l'ardeur de l'étude, embrassa presque toutes les connaissances humaines, antiquités, langues modernes, histoire, philosophie, mathématiques. La poésie latine, qu'il aima et cultiva toujours, et la poésie anglaise, qu'il devait embellir d'une gloire nouvelle, servaient seules de diversion à ses travaux. C'est à cette époque, sans doute, qu'il faut reporter la composition de quelques pièces que Milton publia plus tard, et qui sont pour peu de chose dans sa renommée. Elles indiquent seulement les fortes études et le goût profond de l'antiquité, qui se mêlaient à son génie original, et qui semblent quelquefois le ralentir sous le poids de l'érudition et des souvenirs. Ses vers latins ont beaucoup de correction et d'harmonie: ses vers anglais qu'il n'osait pas encore affranchir du joug de la rime, sentent l'effort et la contrainte. On a beaucoup vanté, parmi ses premiers essais, l'Allegro et le Penseroso, deux pièces où ne se trouve pas le contraste que promet l'opposition de leurs titres. Le génie de Milton semblait dès-lors ami des idées tristes et éle

vées; et le Comus, espèce de comédie-féerie qu'il fit à cette époque, à l'imitation des Italiens, présente plus de bizarrerie que de gaîté.

Après plusieurs années de retraite et d'étude, Milton, qui venait de perdre sa mère, partit pour un voyage en Italie. Il passa par la France, dont il connaissait la littérature, encore peu formée, et se rendit à Florence, où il eut plusieurs fois occasion de voir le grand Galilée dans sa prison. Le beau ciel de l'Italie, le spectacle de cette contrée poétique, toute pleine des monuments des arts, et toute retentissante de la gloire du Tasse, charmaient l'imagination du jeune Anglais. Il visita deux fois Rome, où la hardiesse de ses discours sur les questions religieuses donna quelque sujet d'inquiétude à ses amis. Il fut cependant très-favorablement accueilli par le cardinal Barberini; et admis à ses concerts, il entendit Léonora, musicienne fameuse, dont il a célébré la voix et la beauté, dans quelques vers anglais, et dans un sonnet italien. Familiarisé dès long-temps avec la littérature du midi, Milton avait composé, dans le pur toscan, des vers qu'il lut avec

succès aux académies d'Italie. Mais son ambition poétique était de polir sa langue maternelle, et d'être un jour, dans cette langue, l'interprète des pensées de ses concitoyens. Il était dès-lors tourmenté de l'espérance d'élever quelque grand mo

nument à la gloire de son pays. A Naples, il fortifia cette pensée par les entretiens qu'il eut avec le marquis de Villa-Manso, vieillard ingénieux et enthousiaste, qui avait connu et beaucoup aimé be Tasse, et qui parlait de lui avec cette abondance de souvenirs et de précieux détails que laisse dans la mémoire l'intimité d'un homme illustre et malheureux. Milton se sentait inspiré, en écoutant l'ami du Tasse. Il lui disait, dans des vers latins dignes du siècle d'Auguste : « Vieillard <<< aimé des dieux, il faut que Jupiter ait protégé << ton berceau, et que Phébus l'ait éclairé de sa << douce lumière; car il n'y a que le mortel aimé << des dieux dès sa naissance, qui puisse avoir eu << le bonheur de secourir un grand poète *. >>

Milton souhaitait pour lui-même un tel ami, un tel défenseur de sa gloire, un aussi religieux dépositaire de sa cendre; et il se promettait, à ce prix, de chanter un jour les antiquités nationales de l'Angleterre, les exploits du roi Arthur, et les héros de la chevalerie. Milton avait formé à Naples le dessein de parcourir la Sicile et la Grèce, lorsque le premier bruit des troubles de l'Angle

* Dîs dilecte senex, te Juppiter æquus oportet
Nascentem, et miti lustrârit lumine Phoebus
Atlantisque nepos; neque enim nisi carus ab ortu
Dis superis magno poterit favisse poctæ.

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