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isolé; ils ont beaucoup de sentences et d'épigrammes. La majesté de l'éloquence ne peut s'accommoder de toutes ces recherches; elle ne peut souffrir la concision affectée. Les orateurs disparaissent, et font place aux penseurs hardis et aux écrivains ingénieux.

Ce qui nous reste à dire de l'oraison funèbre * confirmera ces réflexions. L'éloquence, une fois sur son déclin, n'a plus eu de retour. Quelques hommes de talent ont essayé de la relever à la fin du dix-huitième siècle; mais ils n'ont pu lui rendre ces deux qualités distinctives, le naturel et la grandeur. L'abbé de Boismont manqua surtout de la première, et souvent abusa de l'autre. L'évêque de Senez, avec moins de force et d'éclat, moins de verve oratoire, eut un mérite continu d'élégance et de pureté, qui permet de proposer ses ouvrages à la jeunesse. C'est un orateur faible, mais un bon écrivain. Il n'impose point à l'esprit par la grandeur des pensées religieuses : son imagination est trop faible pour soutenir le sublime de l'Écriture, et le faire heureusement

*Cet essai, fort étendu pour ce qui concerne les modèles antiques, devait être court sur les modernes. Thomas, La Harpe, Maury, semblaient avoir tout dit. Et récemment un de nos plus élégants écrivains et de nos meilleurs critiques, M. Dussault, a, tout ensemble, renouvelé et épuisé le sujet dans son beau travail sur les oraisons funèbres de Bossuet et de Fléchier,

passer dans son style; mais il dédaigne les petites recherches d'une élocution fardée; il est pur, simple et vrai; il ne lui manque de l'éloquence que les parties les plus hautes; il peut instruire, et il n'égarera point: à ce titre ses ouvrages méritent d'être lus. En effet, après avoir admiré la hauteur de la pensée humaine dans les plus magnifiques modèles du plus beau de tous les talents, et du plus difficile de tous les arts, puisqu'il faut descendre, en quittant Bossuet, ne nous arrêtons du moins que sur ces ouvrages où la sagesse remplace l'inspiration; et si nous ne pouvons plus espérer le sublime, cherchons toujours la raison et le goût.

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voir et le génie, avait multiplié dans Rome les écoles des rhéteurs, déplorait un jour l'inutilité de ses soins, et la chute de l'éloquence sous son règne. Prince, lui dit un courtisan sincère, fermez toutes les écoles, et laissez parler le sénat.

En effet, messieurs, privé d'un objet sérieux et noble, l'art oratoire n'est qu'une vaine étude, une gymnastique impuissante. Renfermé dans l'enceinte des écoles, il se dénature par les efforts mêmes que l'on fait pour le conserver; et l'appa

rente prospérité des études ne sert qu'à perpétuer le triomphe du faux goût, plus incurable que la barbarie, et surtout bien plus contraire au vrai génie de l'éloquence. Il n'en est pas ainsi lorsque l'institution politique a fait du talent de la parole une des premières distinctions, et quelquefois un des premiers devoirs du citoyen.

La nécessité, l'occasion, inspirent alors les hommes nés pour l'éloquence; et la gravité des intérêts livrés à l'attention publique ne permet pas d'écouter la frivole science des rhéteurs. Les ames deviennent plus fortes, et les esprits plus sévères; deux dispositions heureuses pour l'éloquence: et la liberté légale, salutaire à tant de choses, profite même au bon goût.

En indiquant, messieurs, ce principe moral de l'art oratoire, je ne prétends pas ramener vos re gards et votre préférence sur les grands génies enfantés du milieu des orages de la liberté grecque ou romaine. L'éloquence française est ici notre première étude. Les mœurs, les habitudes, les passions françaises, le génie national sous ses formes diverses, seront notre seul moyen d'expliquer cette éloquence.

L'éloquence de la chaire, médiocrement cultivée chez les autres nations modernes, mais que l'église de France avait, pour ainsi dire, substituée à la puissante tribune de l'antiquité, est

peut-être le plus beau titre de notre supériorité littéraire; ou du moins, par un contraste assez bizarre, elle partage cette gloire avec notre théâtre. Mais le génie de l'éloquence appartient à cette foule de grands écrivains qui, chez une nation ingénieuse, passionnée, mobile, ont tour à tour agité et dominé les esprits. Combien sera-t-elle instructive et brillante cette revue de talents si variés! En la commençant aux premières époques, de notre langue, nous ne l'entendrons pas d'abord au-delà du dix-septième siècle. Plus tard, nous examinerons ce que fut l'éloquence dans le siècle suivant. Enfin, nous chercherons ce qu'elle peut devenir encore. Car ces modèles, que nous allons réunir, appeler de toutes parts, ne sont pas là, messieurs, pour vous désespérer. Ils ont, il est vrai, parcouru les genres les plus divers. Ils ont, en apparence, tari les sources de l'originalité : ils ont partout brûlé la moisson et le sol. Mais étudiez profondément leur génie; méditez leurs ouvrages; remuez les cendres qu'ils ont laissées; il en sortira des richesses nouvelles. Que tous ces heureux génies, que tous ces immortels écrivains prennent donc à vos yeux un nouveau caractère, en vous offrant à la fois et ce qu'ils ont fait, et ce qu'ils peuvent vous inspirer.

L'éloquence qui s'échappe d'une ame vivement émue peut se manifester dans l'idiome le plus

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