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M. de Châteaubriand avait également reconnu la marche générale de l'Europe vers l'ordre constitutionnel. Dans ce mouvement commun il voyait une nécessité et une garantie pour chaque État. On a depuis voulu affaiblir l'autorité de ces idées, auxquelles un grand écrivain avait prêté la puissance de son éloquence et de son nom. Mais les idées, qui sont des principes, ne dépendent pas du talent qui les exprime : elles existent par elles-mêmes; elles ont le bon sens pour auteur, et les faits pour témoins. Le progrès des arts utiles à la vie, la facile communication des peuples, le partage plus égal des connaissances et des lumières, l'imprimerie, voilà les causes qui justifient les principes de liberté légale : ils ne pouvaient rencontrer d'obstacle que dans le plus horrible fléau de la société, la tyrannie militaire. C'est un bienfait pour l'Europe, que ces idées de liberté se trouvent si puissantes à l'époque même où la force des armes a pris partout un prodigieux accroissement. Dans l'état présent des choses, l'Europe n'aura jamais que des gouvernements constitutionnels ou des gouvernements militaires; et comme l'usurpation ne pourrait s'élever que par la force des armes, elle est essentiellement ennemie de toute constitution et de toute liberté. Ce sont les souverains héréditaires, les souverains légitimes, qui peuvent établir la liberté, surtout dans les grands États où toute révolution ne saurait arriver que par l'emploi de la force militaire, qui n'enfantera jamais qu'un pouvoir violent comme elle ainsi les maximes de la liberté se confondent avec les intérêts des rois. Ces maximes ne sont plus, aujour— d'hui, la suite de la révolution; elles sont nées de nouveau, pour ainsi dire, de l'horreur du despotisme impérial; elles ont en leur faveur l'exemple de dix ans de tyrannie : aussi sont-elles chères à des hommes qui n'ont jamais connu les premières théories de la révolution.

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(7) En célébrant la loyauté chevaleresque de nos vieux temps, M. de Châteaubriand a marqué mieux que personne cette puissance des idées nouvelles, cette ruine irréparable des anciennes mœurs, des anciens priviléges. « L'esprit du « siècle, dit-il, a pénétré de toutes parts; il est entré dans <«<les têtes, et jusque dans les cœurs de ceux qui s'en croient « le moins entachés. » M. de Châteaubriand expose partout cette vérité avec une force, un éclat, et quelquefois une expression de regret qui en augmente encore l'évidence. De cette vérité résulte le bienfait de l'ordre constitutionnel, établi par un sage monarque.

Il fallait à la France une loi de liberté qui pût satisfaire les idées et les espérances du siècle; il fallait une transaction solennelle qui garantît les intérêts nouveaux ; le roi a donné cette Charte, désormais inséparable de la monarchie légitime; plus elle sera puissante, plus la monarchie elle-même s'affermira. L'inviolabilité de la loi ajoute encore à celle du trône; et tel est l'avantage de la stabilité, que, même appliquée à des institutions de liberté, elle est utile au pouvoir.

DISCOURS

PRONONCÉ DANS L'ACADÉMIE FRANÇAISE,

LE 28 JUIN 1821,

PAR M. VILLEMAIN,

SUCCÉDANT A M. DE FONTANES.

MESSIEURS

ESSIEURS,

Le soin d'honorer la mémoire des membres que vous perdez est toujours, dans la bouche de leurs successeurs, un hommage rendu à la dignité même des Lettres. Pour moi, c'est aujourd'hui l'accomplissement d'un devoir personnel et sacré. Au moment où vos indulgents suffrages ont daigné me choisir, il m'a semblé que par une insigne bonté vous m'aviez admis à l'honneur de prononcer devant vous l'éloge public d'un bienfaiteur et d'un ami. Je me suis involontairement rappelé cette coutume romaine qui, lorsque la mort avait enlevé quelque célèbre citoyen, noble patron de la jeunesse, autorisait un de ses clients, un de

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