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Je sais coudre une rime au bout de quelques mots :
Souvent j'habille en vers une maligne prose: 1

C'est par là que

que je vaux, si je vaux quelque chose. Ainsi, soit que bientôt, par une dure loi,

La mort d'un vol affreux vienne fondre sur moi, 2
Soit que le ciel me garde un cours long et tranquille,
A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville,
Dût ma muse par là choquer tout l'univers,
Riche, gueux, triste ou gai, je veux faire des vers.'

Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie!
Modère ces bouillons de ta mélancolie;

Et garde qu'un de ceux que tu penses blâmer
N'éteigne dans ton sang cette ardeur de rimer.

1. On a cru voir dans ce vers la preuve que Boileau composait d'abord ses ouvrages en prose et les mettait ensuite en vers; cette opinion parut recevoir quelque force de la découverte faite par Saint-Marc, dans la Bibliothèque du roi, d'un canevas en prose de la satire IX. On s'accorde aujourd'hui à ne voir dans ce canevas qu'une pièce apocryphe, indigne de Boileau, et l'on ne trouve plus dans ce vers que le regret exprimé par le poëte de n'avoir pas tous les dons de la poésie. C'est ainsi qu'Horace écrit:

Neque enim concludere versum

Dixeris esse satis; neque si quis scribat, uti nos,
Sermoni propiora, putes hunc esse poetam.

2. Boileau imite ici Horace :

(Livre I, satire IV, v. 40-42.)

Ne longum faciam : seu me tranquilla senectus
Expectat; seu mors atris circumvolat alis;
Dives, inops, Romæ, seu fors ita jusserit, exsul;
Quisquis erit vitæ, scribam, color.

3. Expression sans justesse et sans facilité.

4. Boileau avait mis d'abord riche, gueux ou content. Desmarets fit observer que content n'avait pas de mot qui lui fût opposé; suivant lui, il fallait dire Riche ou gueux, triste ou gai, je veux faire des vers. Despréaux profita de la critique, à moitié seulement, et il écrivit : Riche, gueux, triste ou gai...

5. C'est ce que dit Trébatius à son ami Horace, dans la satire citée déjà :

O puer, ut sis

Vitalis, metuo et majorum ne quis amicus

Eh quoi! lorsque autrefois Horace, après Lucile,1
Exhaloit en bons mots les vapeurs de sa bile,
Et, vengeant la vertu par des traits éclatants,
Alloit ôter le masque aux vices de son temps;
Ou bien quand Juvénal, de sa mordante plume
Faisant couler des flots de fiel et d'amertume,
Gourmandoit en courroux tout le peuple latin,
L'un ou l'autre fit-il une tragique fin?

2

Et que craindre, après tout, d'une fureur si vaine?
Personne ne connoît ni mon nom ni ma veine.
On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil, "
Grossir impunément les feuillets d'un recueil.

A peine quelquefois je me force à les lire,

Pour plaire à quelque ami que charme la satire,

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3

1. Horace, né l'an 9 avant J.-C.-Lucilius, né en 149 avant J.-C., mort en 103. Il ne nous reste que des fragments des trente satires qu'il avait composées.

2. Juvénal (Decimus-Junius Juvenalis), né à Aquinum l'an 42 après J.-C., fut l'élève de Quintilien. Il mourut en Égypte, où le ressentiment d'un histrion, favori d'Adrien, le fit exiler avec le titre de préfet d'une légion. Boileau semble avoir ignoré cette circonstance.

3. Le nom de Montreuil dominoit dans tous les fréquents recueils de poésies choisies qu'on faisoit alors. (BOILEAU, 1713.) Mathieu de Montreuil, né à Paris en 1620, mort à Aix, secrétaire de l'archevêque Daniel de Cosnac, en 1691.

4.

Cur metuas me?

Nulla taberna meos habeat, neque pila libellos,

Queis manus insudet vulgi, Hermogenisque Tigelli;
Non recito cuiquam, nisi amicis, idque coactus,

Non ubivis, coramve quibuslibet...

(HORACE, livre I, satire IV, v. 70-76.)

Qui me flatte peut-être, et, d'un air imposteur,

Rit tout haut de l'ouvrage, et tout bas de l'auteur.1
Enfin c'est mon plaisir; je me veux satisfaire :
Je ne puis bien parler, et ne saurois me taire;
Et, dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit,
Je n'ai point de repos qu'il ne soit en écrit :
Je ne résiste point au torrent qui m'entraîne.

Mais c'est assez parlé prenons un peu d'haleine : Ma main, pour cette fois, commence à se lasser. Finissons. Mais demain, Muse, à recommencer.

1. Par ces derniers vers, Boileau désignait Furetière. Quand Despréaux lut sa première satire à cet abbé, il s'aperçut qu'à chaque trait Furetière souriait malignement et laissait voir une joie secrète de la nuée d'ennemis qui allait fondre sur l'auteur. Cette perfide approbation fut bien remarquée par Despréaux. (D'ALEMBERT, Éloge de Despréaux.)

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De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air,
Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer,3
De Paris au Pérou, du Japon jusqu'à Rome,
Le plus sot animal, à mon avis, c'est l'homme.

Quoi! dira-t-on d'abord, un ver, une fourmi,
Un insecte rampant qui ne vit qu'à demi,

Un taureau qui rumine, une chèvre qui broute,

Ont l'esprit mieux tourné que n'a l'homme? Oui, sans doute.

1. Composée en 1667. Cette satire est tout à fait dans le goût de Perse, et marque un philosophe chagrin, qui ne peut souffrir les vices des hommes. (BOILEAU, 1713.)

2. Le docteur qui reçut, sans l'avoir demandée, la dédicace de cette satire, était Claude Morel, qui mourut en 1699, doyen de la Faculté de théologie et chanoine théologal de Paris. Il était zélé moliniste. Cette dédicace est une malice janséniste de Boileau et de son frère l'abbé Jacques Boileau, docteur de Sorbonne. Le panégyrique de l'àne allait à l'adresse du docteur Morel, qu'on surnommait Mâchoire d'âne, d'après une ressemblance purement physique. Santeuil fit la même allusion dans un éloge ironique en vers latins. Il félicite Morel d'avoir, par ses arguments, terrassé autant de jansénistes que Samson avec la mâchoire d'âne avait terrassé de Philistins. (GÉRUZEZ.) - Les docteurs de Sorbonne étaient au nombre de trente-six, tous logés à la Sorbonne, qui ne comprenait alors que la Faculté de théologie.

3. Ce vers est dans Ronsard, livre I, hymne VI.

Ce discours te surprend, docteur, je l'aperçoi.'
L'homme de la nature est le chef et le roi :

Bois, prés, champs, animaux, tout est pour son usage,
Et lui seul a, dis-tu, la raison en partage.

2

Il est vrai, de tout temps, la raison fut son lot:
Mais de là je conclus que l'homme est le plus sot.3

Ces propos, diras-tu, sont bons dans la satire,
Pour égayer d'abord un lecteur qui veut rire:
Mais il faut les prouver. En forme. J'y consens.

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1. Autrefois les premières personnes des verbes au singulier ne prenoient point d's à la fin. On réservoit cette lettre pour les secondes personnes, et on mettoit un t aux troisièmes. Par là chaque personne avoit sa lettre caractéristique; nos conjugaisons étoient plus régulières. Les poëtes commencèrent par ajouter un s aux premières personnes du singulier des verbes terminés par une consonne, afin d'éviter des hiatus. N'ayant rien à craindre pour les verbes qui finissent par un e muet, parce que cette lettre s'élide, ils la laissèrent sans s. Insensiblement l'usage des počtes est devenu si général, qu'enfin l'omission de l's aux premières personnes des verbes qui finissent par une consonne, ou par une toute autre voyelle que l'e muet, a été regardée comme une négligence dans la prose · et comme une licence dans les vers. (D'Olivet.) - Quant à la conjugaison, la principale observation est que la première personne du singulier ne prend point d's, à moins que cette lettre ne soit du radical, je voi, je vi, etc. Ces formes sans s sont restées dans notre versification à titre de licences; mais bien loin d'être une licence, c'est une régularité, car l's, conformément à la conjugaison latine, type de la nòtre, n'appartient pas à la personne (video, vidi), et c'est à tort que de la seconde personne, dont elle est caractéristique, on l'a étendue à la première. (E. LITTRÉ, Dictionnaire de la langue française.)

2. Rochester a imité ce passage de Boileau:

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L'homme seul distingué par une âme immortelle,
Monarque enorgueilli de ce superbe don,

Sur tous les animaux règne par la raison.

(Trad. de M. HENNET.)

3. Montaigne dit de la raison : « Ce n'est qu'un pot à deux anses... un trouble-fête... un glaive double et dangereux... une pierre de touche pleine de fausseté... Ses jugements manquent de base;... elle a été sophistiquée par les hommes. » (CH. LOUANDRE.)

4. En forme. Mettre ses arguments en forme, c'est les présenter avec tout l'appareil d'une discussion dans l'école. - Ce mot, détaché de ce

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