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Muse, changeons de style, et quittons la satire;
C'est un méchant métier que celui de médire;
A l'auteur qui l'embrasse il est toujours fatal: 2
Le mal qu'on dit d'autrui ne produit que du mal.
Maint poëte, aveuglé d'une telle manie,
En courant à l'honneur, trouve l'ignominie;
Et tel mot, pour avoir réjoui le lecteur,

A coûté bien souvent des larmes à l'auteur.

1. Composée en 1663. Cf. HORACE, livre II, satire I. Ecce nocet vati musa jocosa suo.

2.

(MARTIAL, livre II, épigr. XXII.)

On sait que M. de Montausier se levait tous les matins avec le projet de faire repentir Boileau de ses traits satiriques; il ne s'adoucissait qu'après avoir fait sa prière.

Un éloge ennuyeux, un froid panégyrique, Peut pourrir à son aise au fond d'une boutique, Ne craint point du public les jugements divers, Et n'a pour ennemis que la poudre et les vers: Mais un auteur malin, qui rit et qui fait rire, Qu'on blâme en le lisant, et pourtant qu'on veut lire, Dans ses plaisants accès qui se croit tout permis, De ses propres rieurs se fait des ennemis.* Un discours trop sincère aisément nous outrage: Chacun dans ce miroir pense voir son visage; Et tel, en vous lisant, admire chaque trait,

Qui dans le fond de l'âme et vous craint et vous hait.3 Muse, c'est donc en vain que la main vous démange; '

1.

Securus licet Æneam Rutulumque ferocem
Committas nulli gravis est percussus Achilles;

Aut multum quæsitus Hylas, urnamque secutus.
Ense velut stricto quoties Lucilius ardens
Infremuit, rubet auditor, cui frigida mens est
Criminibus; tacita sudant præcordia culpa.
Inde iræ et lacrymæ.

(JUVENAL, satire I.)

2. On verra dans cette variante avec quel soin Boileau se corrigeait :

3.

Mais un auteur plaisant qui court par tout le monde,

Qui contrôle les mœurs, qui nous mord et nous gronde,

Dans sa critique ardeur qui se croit tout permis,

Des lecteurs en tous lieux se fait des ennemis.

Quum sibi quisque timet, quanquam est intactus, et odit.

(HORACE, livre II, satire I, v. 23.)

Horace dit encore de la satire :

... Doluere cruento

Dente lacessiti; fuit intactis quoque cura

Conditione super communi...

(Livre II, épître I, v. 151.)

4. Saint-Marc et Le Brun trouvent cette expression un peu basse; c'est vouloir trop de noblesse dans un genre qui admet beaucoup de liberté. Molière dit dans le Misanthrope, acte I, scène II :

Qu'il faut qu'un galant homme ait toujours grand empire

Sur les démangeaisons qui nous prennent d'écrire.

2

S'il faut rimer ici, rimons quelque louange;
Et cherchons un héros, parmi cet univers,1
Digne de cet encens et digne de nos vers.
Mais à ce grand effort en vain je vous anime :
Je ne puis pour louer rencontrer une rime;

Dès que j'y veux rêver, ma veine est aux abois. 3

J'ai beau frotter mon front, j'ai beau mordre mes doigts," Je ne puis arracher du creux de ma cervelle

Que des vers plus forcés que ceux de la Pucelle."

6

Je pense être à la gêne; et, pour un tel dessein,

1.

Aut si tantus amor scribendi te rapit, aude
Cæsaris invicti res dicere...

(HORACE, livre II, satire I, v. 10-11.)

2. Voici la critique que Cotin faisait de ces vers : « Que cela est judicieux! il vient de faire un discours à la louange du roi, et il ne trouve dans le monde aucun héros digne de ses vers. » (COTIN, Crit., p. 37.)

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3. Une veine aux abois, cela n'est pas écrit avec justesse. Voltaire fait remarquer sur un vers du Nicomède, de Corneille, que cette expression aux abois, qui par elle-même n'est pas noble, n'est plus usitée aujourd'hui. Néanmoins, dit M. E. Littré, cette expression est restée, à juste titre, dans l'usage, et elle n'a rien qui l'empêche d'entrer dans le meilleur style. On en use moins librement qu'au xvIIe siècle.

Mais pardonne aux abois d'une vieille amitié,

Qui ne peut expirer sans me faire pitié.

(CORNEILLE, Cinna, acte III, scène 11.)

Louis XIV réduisant l'hérésie aux derniers abois.

(LA FONTAINE, Discours à l'Académie.)

Philisbourg est aux abois en huit jours.

(BOSSUET, Oraison funèbre du prince de Condé.)

4. Horace a dit :

Et in versu faciendo

Sæpe caput scaberet, vivos et roderet ungues.

(Livre I, satire X, v. 70.)

5. Poëme héroïque de Chapelain, dont tous les vers semblent faits en dépit de Minerve. (BOILEAU, 1713.)

6. Ce mot, de notre temps, a perdu sa vigueur. Au xvIIe siècle, il signifiait torture, tourment, question. Son étymologie est le mot hébreu Gehennon, vallée des fils d'Ennon, où l'on avait fait brûler des victimes

La plume et le papier résistent à ma main.

Mais, quand il faut railler, j'ai ce que je souhaite.
Alors, certes, alors je me connois poëte :

Phébus, dès que je parle, est prêt à m'exaucer;
Mes mots viennent sans peine, et courent se placer.
Faut-il peindre un fripon fameux dans cette ville?
Ma main, sans que j'y rêve, écrira Raumaville. 1
Faut-il d'un sot parfait montrer l'original?

Ma plume au bout du vers d'abord trouve Sofal ::
Je sens que mon esprit travaille de génie.
Faut-il d'un froid rimeur dépeindre la manie?
Mes vers, comme un torrent, coulent sur le papier ;
Je rencontre à la fois Perrin et Pelletier,
Bonnecorse, Pradon, Colletet, Titreville; 3

humaines.

C'était la question qu'on faisait subir aux accusés pour obtenir d'eux des révélations.

1. Il s'agit du libraire Somaville, dont le nom se trouve dans les éditions de 1668, 1669, 1674, 1675, sous cette forme: Saumaville.

2. Henri Sauval, avocat au parlement de Paris, né vers 1620, mort en 1670, auteur des Amours des rois de France. L'Histoire des antiquités de la ville de Paris, 3 vol. in-folio, n'a été publiée qu'en 1724. (M. CнéRON.)

Sur Pelletier, Pradon et Colletet,
L'abbé Perrin, né à Lyon, mort

3. Poëtes décriés. (BOILEAU, 1713.) voir le Discours au roi, la Ire satire. en 1680, introduisit l'opéra en France; il a traduit l'Eneide en vers. Voir la lettre XCII de Despréaux à Brossette. Ses poésies ont été recueillies en 1661 en 3 vol. in-12. - Bonnecorse, né à Marseille, mort en 1706. Il fut consul de France au Caire. Il avait publié un ouvrage en prose et en vers intitulé: Montre d'amour. Il fit plus tard, pour se venger, le Lutrigot, c'est-à-dire la parodie du Lutrin. ·Pradon, qui n'avait pas encore abordé le théâtre, avait fait beaucoup de pièces fugitives fort applaudies dans la société du duc de Nevers et de Me Deshoulières. En 1684, il publia une critique des premières satires sous ce titre : Le Triomphe de Pradon, et, en 1685, Nouvelles remarques sur tous les ouvrages du sieur D..... (Despréaux). — De 1666 à 1682, on lisait : Bardou, Mauroy, Boursault. Despréaux avait mis là Boursault pour le punir d'avoir attaqué Molière dans une petite pièce représentée en 1663 sous ce titre : le Portrait du peintre, ou la Critique

1

Et, pour un que je veux, j'en trouve plus de mille.
Aussitôt je triomphe, et ma muse en secret
S'estime et s'applaudit du beau coup qu'elle a fait.
C'est en vain qu'au milieu de ma fureur extrême
Je me fais quelquefois des leçons à moi-même ;
En vain je veux au moins faire grâce à quelqu'un :
Ma plume auroit regret d'en épargner aucun;
Et, sitôt qu'une fois la verve me domine,
Tout ce qui s'offre à moi passe par l'étamine. 2
Le mérite pourtant m'est toujours précieux :
Mais tout fat me déplaît, et me blesse les yeux;
Je le poursuis partout, comme un chien fait sa proie,
Et ne le sens jamais qu'aussitôt je n'aboie. "
Enfin, sans perdre temps en de si vains propos,

de l'École des femmes.

collections.

Titreville; on trouve de ses vers dans certaines

1. Auroit regret, syllabes bien dures. (SAINT-Marc.)

2. On ne voit pas pourquoi Le Brun et Daunou regrettent de trouver cette expression dans Boileau. Régnier avait déjà dit :

Et qui pût des vertus passer par l'étamine.

L'étamine est un morceau d'étoffe claire dont on se sert pour clarifier les liqueurs.

3. Horace :

Si quis

Opprobrio dignum latraverit, integer ipse.

Voici la remarque de Pradon sur ces vers : « Ces mots de fat, de sot et de faquin sont les mots favoris et répétés très-souvent par M. D***;, mais la comparaison qu'il fait de lui-même à un chien lui convient admirablement :

Puisque tu jappes et que tu mords,

Qu'on te voit déchirer les vivants et les morts,

A bon droit, par ton air, ton style et ta grimace,
On te peut appeler le dogue du Parnasse.

Mais qu'il prenne garde de ne pas outrer la comparaison, et qu'en voulant toujours mordre comme un chien furieux, il n'en ait aussi la destinée. » SAINT-SURIN, Nouvelles remarques, p. 45.)

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