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Un sage ami, toujours rigoureux, inflexible,1
Sur vos fautes jamais ne vous laisse paisible:
Il ne pardonne point les endroits négligés,
Il renvoie en leur lieu les vers mal arrangés,
Il réprime des mots l'ambitieuse emphase;
Ici le sens le choque, et plus loin c'est la phrase.
Votre construction semble un peu s'obscurcir :
Ce terme est équivoque; il le faut éclaircir.
C'est ainsi que vous parle un ami véritable.

Mais souvent sur ses vers un auteur intraitable

A les protéger tous se croit intéressé,

Et d'abord prend en main le droit de l'offensé.
De ce vers, direz-vous, l'expression est basse.
-Ah! monsieur, pour ce vers je vous demande grâce,
Répondra-t-il d'abord.-Ce mot me semble froid;
Je le retrancherois. C'est le plus bel endroit!

Ce tour ne me plaît pas. - Tout le monde l'admire.
Ainsi toujours constant à ne se point dédire,
Qu'un mot dans son ouvrage ait paru vous blesser,
C'est un titre chez lui pour ne point l'effacer.
Cependant, à l'entendre, il chérit la critique;

1.

Vir bonus et prudens versus reprehendet inertes,
Culpabit duros, incomptis allinet atrum
Transverso calamo signum, ambitiosa recidet
Ornamenta, parum claris lucem dare coget,
Arguet ambigue dictum, mutanda notabit.

2

(HORACE, Art poétique, v. 445-449.)

Audebit quæcumque parum splendoris habebunt,
Et sine pondere erunt, et honore indigna ferentur,
Verba movere loco, quamvis invita recedant...
Luxuriantia compescet; nimis aspera sano

Lævabit cultu, virtute carentia tollet.

(HORACE, liv. II, ép. II, v. 111-125.)

2. Voir la scène du sonnet dans le Misanthrope, acte I, scène 11:

Et comme votre esprit a de grandes lumières,

Vous avez sur ses vers un pouvoir despotique,

Mais tout ce beau discours dont il vient vous flatter
N'est rien qu'un piége adroit pour vous les réciter.
Aussitôt il vous quitte; et, content de sa muse,
S'en va chercher ailleurs quelque fat qu'il abuse :
Car souvent il en trouve : ainsi qu'en sots auteurs,
Notre siècle est fertile en sots admirateurs;
Et, sans ceux que fournit la ville et la province,
Il en est chez le duc, il en est chez le prince.
L'ouvrage le plus plat a, chez les courtisans,
De tout temps rencontré de zélés partisans ;
Et, pour finir enfin par un trait de satire,
Un sot trouve toujours un plus sot qui l'admire. 1

1.

Je viens pour commencer entre nous ce beau nœud,
Vous montrer un sonnet que j'ai fait depuis peu,

Et savoir s'il est bon qu'au public je l'expose,

ALCESTE.

Monsieur, je suis mal propre à décider la chose.
Veuillez m'en dispenser.

ORONTE.

Pourquoi?
ALCESTE.

J'ai le défaut

D'être un peu plus sincère en cela qu'il ne faut.

ORONTE.

C'est ce que je demande, et j'aurois lieu de plainte,
Si, m'exposant à vous pour me parler sans feinte,
Vous alliez me trahir, et me déguiser rien.

Et verum, inquis, amo; verum mihi dicite de me.

(PERSE, sat. I, v. 55)

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,

Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.

(LA FONTAINE, liv. II, fable XIV, le Lièvre et les Grenouilles.)

CHANT II.

1

Telle qu'une bergère, 1 au plus beau jour de fête, De superbes rubis ne charge point sa tête,

Et, sans mêler à l'or l'éclat des diamants,

Cueille en un champ voisin ses plus beaux ornements : Telle, aimable en son air, mais humble dans son style, Doit éclater sans pompe une élégante idylle.2

1. Le Journal des Savants, février 1723, a cru découvrir dans ce vers une faute considérable de langue en ce que la phrase n'est susceptible d'aucune construction... telle qu'une bergère, c'est comme si l'on disait... telle qu'est une bergère; il s'ensuit que pour rendre la phrase correcte, il faut que le substantif soit suivi de qui. - Quand on ne pourrait pas répondre avec la grammaire qu'après tel que, la proposition se construit d'une manière pleine et séparée; puis on répète tel devant une autre proposition également complète (Gram. franç. de P.-A. Lemaire, p. 193), on voit par l'usage constant de nos poëtes que cette construction est autorisée par une double ellipse. Malherbe a dit :

Tel qu'à vagues épandues

Marche un fleuve impétueux,
De qui les neiges fondues

Rendent le cours furieux, etc.

Tel, et plus épouvantable
S'en alloit ce conquérant,

A son pouvoir indomptable

Sa colère mesurant.

2. Idylle (en grec ɛldútov, petit tableau, diminutif d'ɛidos), petit poëme dont le sujet est ordinairement pastoral ou relatif à des objets champêtres. L'églogue, ouvrage de poésie pastorale où l'on introduit des bergers qui conversent ensemble. Il n'y a aucune différence fondamentale entre les églogues et les idylles. Toutefois, si l'on veut accepter la légère distinction que l'usage semble avoir établie, l'églogue veut plus d'action et de mouvement les églogues de Virgile. L'idylle peut ne contenir que des peintures, des sentiments, des comparaisons champêtres; Mme Deshoulières a fait de jolies idylles. » (É. LITTRÉ, Dict. de la langue française.)

Son tour simple et naïf n'a rien de fastueux,
Et n'aime point l'orgueil d'un vers présomptueux.
Il faut que sa douceur flatte, chatouille, éveille,
Et jamais de grands mots n'épouvante l'oreille.'
Mais souvent dans ce style un rimeur aux abois,
Jette là, de dépit, la flûte et le hautbois;
Et, follement pompeux, dans sa verve indiscrète,
Au milieu d'une églogue entonne la trompette.

2

1. Desmarets, Pradon, Saint-Marc, Condillac ont relevé dans ce morceau si orné, si délicat et si fin, toutes sortes de fautes de sens et de goût; on ne partage pas leur sentiment. Ce passage reste digne de toutes sortes d'éloges, et Marmontel a été bien inspiré quand il a dit : « Lorsque Despréaux a peint l'idylle comme une bergère en habit de fête, il l'a parfaitement définie telle que nous la concevons; une simplicité élégante en fait le mérite: elle ne mêle point les diamants à sa parure; mais elle a un chapeau de fleurs. » (Elém. de litt.)

« Un quatrain de l'ode burlesque de Scarron, Héro et Leandre, a pu fournir à Boileau l'image qui donne tant de charme à ces vers:

Avec l'émail de nos prairies,
Quand on le sait bien façonner,
On peut aussi bien couronner
Qu'avec l'or et les pierreries.

Si on ajoute à ce rapprochement ces vers de Segrais :

Telle que se fait voir, de fleurs couvrant sa tête,

Une blonde bergère, un beau jour d'une fête,

on aura une juste idée de l'art de Boileau dans l'imitation qu'il sait rendre originale. » (GÉRUZEZ, OEuvres poétiques de Boileau.)

2. A l'exception de Racan et de Segrais, chez qui l'on trouve quelques vers élégants empreints d'une poésie champêtre, tous les écrivains du XVIIe siècle ont échoué dans ce genre. Il faut se souvenir de ces vers de Racan pour justifier Boileau des éloges qu'il lui donne : le poëte parle de l'homme qui vit dans la retraite :

Il voit de toutes parts combler d'heur sa famille;
La javelle à plein poing tomber sous la faucille,
Le vendangeur ployer sous le faix des paniers,
Et semble qu'à l'envi les fertiles montagnes,
Les humides vallons et les grasses campagnes
S'efforcent à remplir sa cave et ses greniers.

Il ne faut pas non plus oublier les vers suivants de Ménage pour com

De

peur de l'écouter, Pan fuit dans les roseaux; Et les Nymphes, d'effroi, se cachent sous les eaux. Au contraire cet autre, abject en son langage,

Fait parler ses bergers comme on parle au village.
Ses vers plats et grossiers, dépouillés d'agrément,
Toujours baisent la terre, et rampent tristement :
On diroit que Ronsard, sur ses « pipeaux rustiques, >>
Vient encor fredonner ses idylles gothiques,

Et changer, sans respect de l'oreille et du son,
Lycidas en Pierrot, et Philis en Toinon. 1

Entre ces deux excès la route est difficile. 2

prendre la justesse de cette critique. Le poëte, dans son églogue adressée à Christine, reine de Suède, fait dire à Ménalque :

Un jour qui n'est pas loin ses superbes armées
Joindront à ces lauriers les palmes idumées,
Et l'on verra périr l'infidèle croissant

A l'aspect lumineux de cet astre naissant.
Mais sache encor, Daphnis, que sa main adorable,
En adresse, en valeur, à nulle autre semblable,
Au milieu de la guerre et dans les champs de Mars,
Cultive les vertus et fait fleurir les arts.
Son esprit grand et vaste embrasse toute chose,
Et l'histoire, et la fable, et les vers et la prose.
Elle sait des métaux les nobles changements;

Des globes azurés les divers mouvements, etc.

1. Ronsard, dans ses églogues, appelle Henri II, Henriot; Charles IX, Carlin; Catherine de Médicis, Catin; etc. Il emploie aussi les noms de Margot, Pierrot, Michau, et autres semblables. (BROSSETTE,) Là n'est pas le plus grand mal, tous ces noms diminutifs n'avaient rien de bas et d'indécent; mais ces personnages n'ont rien de naïf et de champêtre, leurs conversations sont bien éloignées du ton pastoral. Margot et Catin y célèbrent la science profonde de Turnèbe et de Vatable. Du reste, Vauquelin de la Fresnaye n'approuvait pas l'emploi de ces noms. Il dit dans l'avertissement de ses Idillies et Pastoralles que « les noms de Guillot, de Pierrot, Mario, au lieu de Tyrsis, Tytire, Lycoris, ne contentent pas assez son opinion. »>

2. Si l'on en croit le Bolæana, Despréaux disait que l'églogue était un genre de poésie où notre langue ne pouvait réussir qu'à demi, que presque tous nos auteurs y avaient échoué et n'avaient pas seulement frappé à la porte de l'églogue; qu'on était fort heureux quand on pouvait attraper quelque chose de ce style comme Racan et Segrais. Notre temps, plus favorisé que celui de Boilean et que le xvine siècle, a vu chez nous un poëte

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