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Où ta valeur, grand roi, ne te puisse porter,
Et ne m'offre bientôt des exploits à chanter?
Non, non, ne faisons plus de plaintes inutiles :
Puisqu'ainsi dans deux mois tu prends quarante villes,
Assuré des beaux vers dont ton bras me répond,
Je t'attends dans deux ans aux bords de l'Hellespont.1

1. Tarare-ponpon, ajouta Bussy-Rabutin, qui d'ailleurs écrivit une lettre où toute l'épître était amèrement censurée. Le P. Rapin et le comte de Limoges s'entremirent pour réconcilier Despréaux et Bussy qui, se craignant l'un l'autre, ne jugèrent pas à propos de continuer la quereile. (DAUNOU.) Cf. dans la Correspondance, une lettre de Boileau à Bussy-Rabutin, du 25 de mai 1673.

Dans le second tome du Mercure hollandois, contenant les conquestes du roi Louis XIV, dit le Grand, sur les Provinces-Unies des Pays-Bas, par le sieur P. Louvet, D. M. conseiller historiographe de S. A. R. souveraine de Dombes, imprimé à Lyon, 1674, on trouve un petit poëme sur le Passage du Rhin, où l'auteur cite ce vers de M. Despréaux, et pousse bien plus loin l'hyperbole :

Des temps et de nos jours un des premiers oracles,
Dans un style pompeux, parlant de tes miracles,
T'attend dedans deux ans aux bords de l'Hellespont:
Ma muse plus hardie, ô grand roi, te répond
Que du moins ta valeur, à nulle autre seconde,
Tonnera dans deux ans aux quatre coins du monde.

(M. CHÉRON.)

Voir sur le passage du Rhin Mme de Sévigné, lettre du 3 juillet 1672; VOLTAIRE, Siècle de Louis XIV, ch. X.

ÉPITRE V.1

A M. DE GUILLERAGUES?

SECRÉTAIRE DU CABINET.

Esprit né pour la cour, et maître en l'art de plaire, Guilleragues, qui sais et parler et te taire,

3

Apprends-moi si je dois ou me taire ou parler.
Faut-il dans la satire encor me signaler,

1. Composée et publiée en 1674.

2. Gabriel-Joseph de Lavergne, comte de Guilleragues, secrétaire des commandements du prince de Conti, secrétaire de la chambre et du cabinet du roi, ambassadeur à la cour ottomane, né à Bordeaux, mort d'apoplexie à Constantinople le 5 de décembre 1684. Les Curiosités historiques, Amsterdam, 1739, 2 vol. in-12, contiennent, tome I, p. 55-87, une Relation de l'audience donnée sur le Sofa, à M. de Guilleragues, le 28 d'octobre 1684. On a de lui: Relation véritable de ce qui s'est passé à Constantinople. Paris, 1682, in-12; Ambassades du comte de Guilleragues et de M. de Girardin auprès du Grand Seigneur. Paris, 1687, in-12. Il a dirigé pendant quelque temps la Gazette de France, où il inséra l'éloge de Turenne; il aurait pris part à la traduction des Lettres d'une religieuse portugaise, attribuée généralement à Subligny. Cf. Mémoires de Saint-Simon, édition Garnier frères, t. II, p. 200. (M. Chéron.)

« Guilleragues disoit hier que Pellisson abusoit de la permission qu'ont les hommes d'être laids. » (Mme DE SÉVIGNÉ, lettre du 5 janvier 1674.) – « M. de Guilleragues par la constance de son amour, son esprit et ses chansons, doit aussi trouver place parmi les adorateurs de Mme de Maintenon. » (Souvenirs de Mme de Caylus.) — Quand il partit pour Constantinople, le roi lui dit : ((... Si vous voulez vous acquitter à mon gré de votre ambassade, faites tout le contraire de ce qu'a fait votre prédécesseur (M. de Nointel). Sire, répondit-il, je ferai en sorte que Votre Majesté ne donne pas la même instruction à mon successeur. »

3.

Dicenda, tacendaque calles?

(PERSE, sat. IV, v. 5.)

Et, dans ce champ fécond en plaisantes malices,
Faire encore aux auteurs redouter mes caprices?
Jadis, non sans tumulte, on m'y vit éclater,
Quand mon esprit plus jeune, et prompt à s'irriter,
Aspiroit moins au nom de discret et de sage;
Que mes cheveux plus noirs ombrageoient mon visage.1
Maintenant que le temps a mûri mes désirs,
Que mon âge, amoureux de plus sages plaisirs,
Bientôt s'en va frapper à son neuvième lustre,2
J'aime mieux mon repos qu'un embarras illustre. 3
Que d'une égale ardeur mille auteurs animés

Aiguisent contre moi leurs traits envenimés;

Que tout, jusqu'à Pinchène, et m'insulte et m'accable:

1. Ses cheveux commençoient à blanchir. (BRossette.)

2. A la quarante et unième année. (Boileau, 1713.) Il n'avoit alors que trente-huit ans. (BROSSETTE.) Il était né le 1er novembre 1636 et l'épître V fut composée en 1674.

3. Embarras illustre, l'expression est hardie; elle est heureuse. (SAINTMARC.) Certainement, illustre est pris dans son sens étymologique : qui met en lumière.

4. Pinchesne étoit neveu de Voiture. (BOILEAU, 1713.) - Estienne Martin, seigneur de Pinchesne, né à Amiens « qui, dit le Catalogue manuscrit de la Bibliothèque impériale, s'imaginoit avoir de l'esprit, parce qu'il estoit neveu de Voiture, » a publié : Poésies héroïques; Poésies meslees; Amours et poésies chrestiennes. Paris, A. Cramoisy, 1670, 1672 et 1674, in-4o; les Sept Psaumes de la pénitence, paraphrasés en vers françois. Paris, A. Cramoisy, 1671, in-12; Essais et échantillons de l'heureuse alliance présentée au roi au retour de ses conquestes de Hollande, in-4°; les OEuvres de Voiture et sa défense par Costar, mises au jour par ledit Pinchesne. Paris, 1650 et 1653, in-4°. « Ses poésies, ajoute le catalogue déjà cité, n'ont rien de recommandable que la rime, qui est fort froide. »

D'un Pinchesne in-quarto Dodillon étourdi...

(Le Lutrin, ch. V, v. 173.) (M. CHÉRON.)

Pinchesne, peu de temps après la publication de cette épître (1675), répondit à Boileau. Il lui dit : De quoi te plains-tu?

Si le commun persécuteur

Des beaux-esprits en toi je fronde,

Je n'insulte qu'un insulteur.

Aujourd'hui vieux lion, je suis doux et traitable;'
Je n'arme point contre eux mes ongles émoussés.
Ainsi que mes beaux jours mes chagrins sont passés :
Je ne sens plus l'aigreur de ma bile première,

Et laisse aux froids rimeurs une libre carrière.

Ainsi donc, philosophe à la raison soumis,

2

Mes défauts désormais sont mes seuls ennemis : 3
C'est l'erreur que je fuis; c'est la vertu que j'aime.
Je songe à me connoître, et me cherche en moi-même :
C'est là l'unique étude où je veux m'attacher.

4

Que, l'astrolabe en main, un autre aille chercher

Si le soleil est fixe ou tourne sur son axe,

Si Saturne à nos yeux peut faire un parallaxe;

5

1. Allusion à la fable du Lion devenu vieux. (PHÈDRE, I, 20; La Fontaine, III, 14. 1668.)

2. De 1674 à 1713 on a toujours imprimé :

Ainsi que mes chagrins mes beaux jours sont passés.

(BERRIAT-SAINT-PRIX.)

3. C'est aussi l'idée qu'Horace développe dans la plupart de ses épîtres :

Spectatum satis et donatum jam rude quæris,
Mæcenas, iterum antiquo me includere ludo:

Non eadem est ætas, non mens...

Nunc itaque et versus et cetera ludicra pono,

Quid verum atque decens curo et rogo et omnis in hoc sum.

(Épître I, liv. I, v. 2.)

Certemus, spinas animone ego fortius, an tu

Evellas agro et melior sit Horatius, an res.

(Épitre XIV, liv. I, ad Villicum.)

Neque enim; quum lectulus aut me

Porticus excepit, desum mihi : « Rectius hoc est;

Hoc faciens vivam melius; sic dulcis amicis

Occurram; hoc quidam non belle; numquid ego illi
Imprudens olim faciam simile? »

(Satire I, liv. IV, v. 133.)

4. L'astrolabe sert à mesurer la hauteur des astres au-dessus de l'horizon. Mme de la Sablière a dit que le poëte parlait de l'astrolabe sans le connaître.

5. La parallaxe, ce mot est féminin, est la différence entre le lieu appa

1

Que Rohaut vainement sèche pour concevoir

Comment, tout étant plein, tout a pu se mouvoir;
Ou que Bernier compose et le sec et l'humide
Des corps ronds et crochus errants parmi le vide: 3

rent et le lieu véritable d'un astre, c'est-à-dire entre la place que semble occuper l'astre vu de la surface de la terre et celle qu'il occuperait vu du centre. (BROSSETte.)

1. Fameux cartésien. (BOILEAU, 1713.) Jacques Rohault professeur de la philosophie cartésienne, gendre de Cl. Clerselier, autre cartésien, né à Amiens en 1620, mort à Paris en 1675, et inhumé en l'abbaye de SainteGeneviève, à côté de Descartes. On a de lui: Traité de physique. Paris, Thierry, 1671, in- 4o, et Paris, G. Desprez, 1705, in-12; OEuvres posthumes (de mathématiques) données au public par Cl. Clerselier, son beau-père. Paris, Desprez, 1682, in-4°. Il existe de son Traité de physique de nombreuses traductions latines et anglaises. (M. CHÉRON.)

2. Célèbre voyageur qui a composé un abrégé de la philosophie de Gassendi. (BOILEAU, 1713.) — François Bernier, médecin et voyageur, né à Angers, mort à Paris le 22 de septembre 1688. Il était en relation avec les personnages les plus illustres de son temps. Il a publié : Histoire de la dernière révolution des Etats du Grand-Mogol. Paris, 1670 et 1671, 4 vol. in-12; l'Abrégé de la philosophie de Gassendi. Lyon, 1678, vol. in-12; quelques opuscules de philosophie cartésienne et différents mémoires et notices dans le Journal des Savants. Il sera de nouveau question de Bernier dans une note de l'Arrêt burlesque. (M. CHERON.)

3. « S'il y a quelque vide dans la nature, ou si tout est absolument plein, c'est une question qui a partagé les philosophes anciens et modernes, et particulièrement les deux plus célèbres philosophes du dernier siècle, Descartes et Gassendi. Notre auteur les désigne en citant leurs plus déclarés partisans. Rohaut dit avec Descartes que, tout espace étant corps, ce qu'on appelle vide seroit espace et corps par conséquent, et qu'ainsi non-seulement il n'y a pas de vide, mais qu'il n'y en peut pas même avoir. Bernier, au contraire, veut, après Gassendi, que tout soit composé d'atomes indivisibles qui errent dans un espace vide infini, et que ces atomes ne puissent se mouvoir sans laisser nécessairement entre eux de petits espaces vides. Car, disent les gassendistes, comment les corps peuvent-ils se déplacer et occuper la place de divers autres corps, si le vide ne leur donne la liberté nécessaire à ce mouvement? A quoi les cartésiens répondent qu'il suffit pour cela que, dans le même temps qu'un corps se meut, les corps contigus se déplacent l'un l'autre, de telle manière que, par un mouvement qui revient au circulaire, le dernier occupe la place du premier à mesure qu'il la cède. Et comme la différente configuration des corps semble s'opposer à ce mouvement, ces philosophes ajoutent que, la matière étant divisible à l'infini,

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