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Chacun d'eux au péril veut la première part.

1

Vendôme, que soutient l'orgueil de sa naissance,
Au même instant dans l'onde impatient s'élance :
La Salle, Béringhen, Nogent, d'Ambre, Cavois, *
Fendent les flots tremblants sous un si noble poids.
Louis, les animant du feu de son courage, 3

Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage."

1. Philippe de Vendôme, chevalier de Malte. Il était né le 23 d'août 1665 et n'avait pas tout à fait dix-sept ans lors du passage du Rhin. Nommé grand prieur de France en 1693, il mourut au Temple le 24 de janvier 1727. (M. CHÉRON.)

2. Le marquis de la Salle traversa le Rhin un des premiers, et fut blessé par les cuirassiers français qui le prirent pour un Hollandais. Le marquis de Beringhen, premier écuyer du roi et colonel du régiment Dauphin. Arnauld de Bautru, comte de Nogent, capitaine des gardes de la porte, lieutenant général au gouvernement d'Auvergne, maître de la garde-robe et maréchal de camp, tué au passage du fleuve. - D'Ambre? Louis d'Oger, marquis de Cavois ou Cavoie, depuis grand maréchal des logis de la maison du roi, né en 1640, mort le 3 de février 1716. Il est question de lui dans la correspondance entre Boileau et Racine. (M. CHÉRON.)

3.

Il rassemble avec eux ses bataillons épars

Qu'il anime en marchant du feu de ses regards.

(VOLTAIRE, Henriade, VIII, v. 303-304.)

4.

To say how Louis did not pass the Rhine.

(PRIOR, poème sur la bataille d'Hochstedt.)

Ce que Voltaire, dans une lettre où il parle de ce poëme, a traduit ainsi :

Satirique flatteur, toi qui pris tant de peine

Pour chanter que Louis n'a point passé le Rhin.

Voici ce qu'on lit dans Corneille : Louis s'adresse à ses soldats :

De vos ponts commencés abandonnez l'ouvrage,
François, ce n'est qu'un fleuve, il faut passer à nage;

Et laisser, en dépit des fureurs de son cours,

Aux autres nations un si tardif secours.

Prenez pour ce triomphe une plus courte voie,

C'est Dieu que vous servez, c'est moi qui vous envoie,
Allez et faites voir à ces flots ennemis

Quels intérêts le ciel en vos mains a remis. »
C'étoit assez en dire à de si grands courages,
Des barques et des ponts on hait les avantages,
On demande, on s'efforce à passer des premiers.
Grammont ouvre le fleuve à ces bouillants guerriers:

Par ses soins cependant trente légers vaisseaux
D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux :
Cent guerriers s'y jetant signalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un ceil qui porte la menace;
Il s'avance en courroux. Le plomb vole à l'instant,
Et pleut de toutes parts sur l'escadron flottant.
Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume,
Et des coups redoublés tout le rivage fume.1

Vendosme, d'un grand roi race toute héroïque,
Vivonne, la terreur des galères d'Afrique,
Briole, Chavigny, Nogent et Nantouillet,
Sous divers ascendants montrent même souhait.
De Termes, et Coaslin et Soubise et La Salle,
Et de Saulx et Revel ont une ardeur égale,
Et Guitry, que la Parque attend sur l'autre bord,
Sallart et Beringhem font un pareil effort.

(Les Victoires du Roi en l'année 1672. )

1. Brossette et Monchesnai prétendent que Boileau se vantait d'avoir le premier parlé en vers de l'artillerie moderne et de ce qui en dépend, comme les canons, les bombes, la poudre, le salpêtre, dont les noms sont pour le moins, disait-il, aussi beaux et les images aussi magnifiques que celles des dards, des flèches, des boucliers et des autres armes anciennes. Suivant Louis Racine, Boileau ne se vantait que d'une chose d'en avoir parlé poétiquement et avec de nobles périphrases. Il a dit, satire VIII:

C'étoit peu que sa main conduite par l'enfer
Eût pétri le salpêtre, eût aiguisé le fer, etc.

Épître IV:

De cent foudres d'airain tournés contre sa tête.

Ode sur la prise de Namur, strophe x:

Et les bombes dans les airs

Allant chercher le tonnerre

Semblent, tombant sur la terre,

Vouloir s'ouvrir les enfers.

Malherbe avait déjà dit :

Mais d'aller plus à ces batailles,

Où tonnent les foudres d'enfer,

Et lutter contre des murailles
D'où pleuvent la flamme et le fer, etc.

(Ode à la reine Marie de Médicis.)

Et dans l'ode au duc de Bellegarde :

Qui ne sait de quelles tempêtes
Leur fatale main autrefois

Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint. 1
Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oseroit balancer.
Bientôt avec Grammont courent Mars et Bellone :
Le Rhin à leur aspect d'épouvante frissonne,
Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé sont passés ;

Portant la foudre de nos rois

Des Alpes a battu les têtes?

1. Corneille :

Tout à coup il se montre (l'ennemi) et de ses embuscades
Il fait pleuvoir sur eux cent et cent mousquetades :

Le plomb vole, l'air siffle, et les plus avancés
Chancellent sous les coups dont ils sont traversés.
Nogent, qui flotte encor dans les gouffres de l'onde,
En reçoit dans la tête une atteinte profonde;

Il tombe, l'onde achève, et, l'éloignant du bord,
S'accorde avec le feu pour cette double mort.

2. Henri-Jules de Bourbon, duc d'Enghien, né en 1643, mort le 1er d'avril 1709, et fils de Louis II de Bourbon, prince de Condé (le grand Condé), né en 1621, mort le 11 de décembre 1686. (M. CHÉRON.) — S'épand a vieilli, surtout au figuré. (FÉRAUD.) Il était encore très-fréquent au xvire siècle :

Sur un bruit épandu que le destin et moi,

-

(CORNEILLE, Suite du Ment., II, n.)

Son amour épandu sur toute la famille.

(ID., Pol., V, vi.)

La terreur de son nom, qui devance ses armes,
Épandit dans ses rangs de si vives alarmes.

(PERRAULT, Poëme de la Peint.)

Océan qui sur tes rives
Épands tes vagues plaintives.

(LAMART., Harm., II, 13.)

Quel est sur votre front ce nuage épandu?

(VICTOR HUGO, Ch. du Crépuscule, II, 19.)

Bossuet dit de ce fils: « Le prince le mène aux leçons vivantes et à la pratique. Laissons le passage du Rhin, le prodige de notre siècle et de la vie de Louis le Grand. » (Oraison funèbre du prince de Condé.)

Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles,'
Force les escadrons, et gagne les batailles ;
Enghien, de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui dès son enfance à la victoire instruit. 2
L'ennemi renversé fuit et gagne la plaine;
Le dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne ;
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords. 3

Du fleuve ainsi dompté la déroute éclatante
A Wurts jusqu'en son camp va porter l'épouvante.
Wurts, l'espoir du pays, et l'appui de ses murs;

4

1. Bossuet a dit du même prince: « Son ombre eût pu encore gagner des batailles. » (Oraison funèbre du prince de Condé.)—Corneille (Illusion, acte II, scène ) fait dire à son Capitan :

Le seul bruit de mon nom renverse les murailles,
Défait les escadrons et gagne les batailles.

On lit dans Tassoni (Sechia rapita, V, v. 38-39):

2.

Il magnanimo cor di Salinguerra

Che fa del nome suo tremar la terra.

Aux combats, dès l'enfance instruit par la victoire.

(VOLTAIRE, Henriade, I, v. 26.)

3. Corneille avait rassemblé sur les bords du Rhin les mânes de Drusus, de Varus, de Germanicus, de Jean d'Autriche, de Farnèse, de Tolède, des Nassaus, pour voir faire au roi ce qu'eux tous n'ont pu faire; le Rhin passé, il ajoute :

Tandis que l'escadron, fier de cette déroute,

Mêle au sang hollandois les eaux dont il dégoutte,

De honte et de dépit les mânes disparus

De ces bords asservis qu'en vain ils ont courus

Y laissent à mon roi, pour éternel trophée,

Leurs noms ensevelis et leur gloire étouffée.

Le vent s'est abattu, le Rhin s'est fait docile.

Wurts, qui

4. Commandant de l'armée ennemie. (BOILEAU, 1713.) commandait le camp destiné à s'opposer au passage du Rhin, s'était acquis beaucoup de réputation en défendant Cracovie pour les Suédois, contre les impériaux. Il mourut à Hambourg le 24 de mai 1676. (M. Chéron.)

Wurts... Ah! quel nom, grand roi, quel Hector que ce Wurts!
Sans ce terrible nom, mal né pour les oreilles,
Que j'allois à tes yeux étaler de merveilles!
Bientôt on eût vu Skink 1 dans mes vers emporté
De ses fameux remparts démentir la fierté;

Bientôt... Mais Wurts s'oppose à l'ardeur qui m'anime.
Finissons, il est temps: aussi bien si la rime
Alloit mal à propos m'engager dans Arnheim,
Je ne sais pour sortir de porte qu'Hildesheim. 3
Oh! que le ciel, soigneux de notre poésie,
Grand roi, ne nous fit-il plus voisins de l'Asie!
Bientôt victorieux de cent peuples altiers,

Tu nous aurois fourni des rimes à milliers.
Il n'est plaine en ces lieux si sèche et si stérile
Qui ne soit en beaux mots partout riche et fertile."
Là, plus d'un bourg fameux par son antique nom
Vient offrir à l'oreille un agréable son.
Quel plaisir de te suivre aux rives du Scamandre;
D'y trouver d'Ilion la poétique cendre;
De juger si les Grecs, qui brisèrent ses tours,
Firent plus en dix ans que Louis en dix jours!
Mais pourquoi sans raison désespérer ma veine?
Est-il dans l'univers de plage si lointaine

PRIOR:

Wurts!... Who could mention in heroic... Wurts!

1. Ce fort, qui passait pour imprenable, fut assiégé le 18 et pris le 21 de juin 1672. (M. CHÉRON.)

2. Ville considérable du duché de Gueldre, prise par Turenne le 14 de juin 1672. (M. CHÉRON.)

3. Petite ville de l'électorat de Trèves. (BROSsette.)

4. Tanto est sermo græcus latino jucundior, ut nostri poetæ, quoties dulce carmen esse voluerunt, illorum id nominibus exornent. (QUINTILIEN, Instit. oratoires, liv. XII, ch. x.)

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