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T'ai-je tracé la vieille à morgue dominante,
Qui veut, vingt ans encore après le sacrement,
Exiger d'un mari les respects d'un amant?

T'ai-je fait voir de joie une belle animée,
Qui souvent d'un repas sortant tout enfumée1
Fait, même à ses amants, trop foibles d'estomac,
Redouter ses baisers pleins d'ail et de tabac??
T'ai-je encore décrit la dame brelandière
Qui des joueurs chez soi se fait cabaretière,3
Et souffre des affronts que ne souffriroit pas
L'hôtesse d'une auberge à dix sous par repas?
Ai-je offert à tes yeux ces tristes Tisiphones,"

Ces monstres pleins d'un fiel que n'ont point les lionnes,
Qui, prenant en dégoût les fruits nés de leur flanc,
S'irritent sans raison contre leur propre sang;

1.

Quid enim Venus ebria curat?
Grandia quæ mediis jam noctibus ostrea mordet,
Quum perfusa mero spumant unguenta falerno,
Quum bibitur Concha, quum jam vertigine tectum
Ambulat, et geminis exsurgit mensa lucernis.

(JUVENAL, livre II, satire VI, v. 201.)

2. Regnard, dans sa satire des maris, fait aux hommes une application de ces vers :

Quel charme, quel plaisir pour cette triste femme

De se voir le témoin de ce spectacle infâme,

De sentir des vapeurs de vin et de tabac,

Qu'exhale à ses côtés un perfide estomac !

Le petit peuple ayant commencé en France à prendre du tabac par le nez, ce fut d'abord une indécence aux femmes d'en faire usage. (VOLTAIRE, Dictionn. phil., mot Tabac.)

3. Il y a des femmes qui donnent à souper aux joueurs, de peur de ne les plus revoir s'ils sortoient de leurs maisons. (BOILEAU, 1713.) Voir sur la fureur du jeu les Comédies de Dancourt.

4. Berriat-Saint-Prix a réfuté l'allégation de Brossette, d'après laquelle le poëte aurait fait ici le portrait de la première femme de son père. Il a réfuté également le même commentateur qui voulait retrouver une sœur de Boileau, Mme Manchon, dans la femme qui fait de son chien son seul entretien.

1

Toujours en des fureurs que les plaintes aigrissent,
Battent dans leurs enfants l'époux qu'elles haïssent;
Et font de leur maison, digne de Phalaris, '
Un séjour de douleur, de larmes et de cris?
Enfin t'ai-je dépeint la superstitieuse,

La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse,
Celle qui de son chat fait son seul entretien,
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien? 2
Il en est des milliers; mais ma bouche enfin lasse
Des trois quarts pour le moins veut bien te faire grâce.
J'entends, c'est pousser loin la modération.

Ah! finissez, dis-tu, la déclamation.

Pensez-vous qu'ébloui de vos vaines paroles,
J'ignore qu'en effet tous ces discours frivoles
Ne sont qu'un badinage, un simple jeu d'esprit
D'un censeur dans le fond qui folâtre et qui rit,
Plein du même projet qui vous vint dans la tête
Quand vous plaçâtes l'homme au-dessous de la bête?
Mais enfin vous et moi c'est assez badiner,

Il est temps de conclure; et, pour tout terminer,
Je ne dirai qu'un mot. La fille qui m'enchante,
Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante,
N'a pas un des défauts que vous m'avez fait voir.
Si, par un sort pourtant qu'on ne peut concevoir,
La belle, tout à coup rendue insociable,
D'ange, ce sont vos mots, se transformoit en diable,
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer,

Lui dire Eh bien, madame, il faut nous séparer;

:

1. Tyran en Sicile, très-cruel. (BOILEAU, 1713.) — Il s'empara du pouvoir, à Agrigente, vers 571 avant J.-C.

2.

Et qui, parlant beaucoup, ne disent jamais rien.

(Épître IX, v. 66.)

Nous ne sommes pas faits, je le vois, l'un pour l'autre. Mon bien se monte à tant: tenez, voilà le vôtre.

Partez délivrons-nous d'un mutuel souci.

:

Alcippe, tu crois donc qu'on se sépare ainsi?
Pour sortir de chez toi sur cette offre offensante,
As-tu donc oublié qu'il faut qu'elle y consente?
Et crois-tu qu'aisément elle puisse quitter
Le savoureux plaisir de t'y persécuter?
Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume,
De ses prétentions va t'offrir un volume:
Car, grâce au droit reçu chez les Parisiens,
Gens de douce nature, et maris bons chrétiens,1
Dans ses prétentions une femme est sans borne.*
Alcippe, à ce discours je te trouve un peu morne.
Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder.
Des arbitres!... Tu crois l'empêcher de plaider !
Sur ton chagrin déjà contente d'elle-même,

Ce n'est point tous ses droits, c'est le procès qu'elle aime :
Pour elle un bout d'arpent qu'il faudra disputer
Vaut mieux qu'un fief entier acquis sans contester.
Avec elle il n'est point de droit qui s'éclaircisse,
Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse;
Et sur l'art de former un nouvel embarras,
Devant elle Rolet mettroit pavillon bas. 3

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Où des dames, dit-on, est le vrai paradis;
Et ce qui vaut bien mieux que toutes les richesses,
Les maris y sont bons et les femmes maîtresses.

(CORNEILLE, Suite du Menteur, acte II, scène 1.)

2. Boileau fait allusion aux dispositions de la coutume de Paris, qui étaient très-favorables aux femmes.

3.

Nulla fere causa est, in qua non femina litem

Moverit accusat Manilia, si rea non est.

Crois-moi, pour la fléchir, trouve enfin quelque voie,
Ou je ne réponds pas dans peu qu'on ne te voie,
Sous le faix des procès abattu, consterné,
Triste, à pied, sans laquais, maigre, sec, ruiné,
Vingt fois dans ton malheur résolu de te pendre,
Et, pour comble de maux, réduit à la reprendre. 1

Componunt ipsæ per se, formantque libellos,
Principium atque locos Celso dictare paratæ.

(JUVENAL, satire VI, livre II, v. 243.)

1. Entre autres réfutations de la satire X, il a paru : Satire contre les hommes du XVIIe siècle, ou Récrimination des femmes contre la satire Xe de Boileau, parodiée sur les mêmes rimes, avec le texte en regard, par Mlle Honesta. Paris, Pillet aîné, 1816, in-8° de 75 pages. C'est un trèsennuyeux tour de force de bouts-rimés; voici les quatre derniers vers, et toute la satire est imprimée de la sorte:

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On trouvera, dans la Correspondance, 5 mai 1694, la lettre d'Antoine Arnauld à Charles Perrault sur le sujet de cette satire.

SATIRE XI.

( 1698. )

A MONSIEUR DE VALINCOUR

2

CONSEILLER DU ROI EN SES CONSEILS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA MARINE ET DES COMMANDEMENTS DE MONSEIGNEUR LE COMTE DE TOULOUSE.

Oui, l'honneur, Valincour, est chéri dans le monde : Chacun, pour l'exalter, en paroles abonde;

A s'en voir revêtu chacun met son bonheur ;

Et tout crie ici-bas: L'honneur! vive l'honneur !

Entendons discourir, sur les bancs des galères,

Ce forçat abhorré, même de ses confrères;

Il plaint, par un arrêt injustement donné,
L'honneur en sa personne à ramer condamné :

3

1. Composée en 1698, à l'occasion du procès intenté aux Boileau sur leur noblesse, par une compagnie de financiers.

2. Jean-Baptiste-Henri du Trousset de Valincour, de l'Académie française et de celle des sciences, né à Paris en 1653, mort en 1730. On a de lui Lettre à Mme la marquise de... sur la princesse de Clèves. Paris, 1678, in-12; la Vie de François de Lorraine, duc de Guise. Paris, 1681, in-12; des observations sur l'OEdipe de Sophocle, quelques traductions en vers, des contes, etc. (M. CHÉRON.) Voici ce qu'en dit Voltaire : « Une épître que Despréaux lui a adressée fait sa plus grande réputation. On a de lui quelques petits ouvrages: il était bon littérateur. Il fit une assez grande fortune, qu'il n'eût pas faite s'il n'eût été qu'homme de lettres. Les lettres seules, dénuées de cette sagacité laborieuse qui rend un homme utile, ne procurent presque jamais qu'une vie malheureuse et méprisée. »

3. Suivant Brossette, le duc d'Ossone, vice-roi de Naples et de Sicile, visitant un jour les gaières du port, eut la curiosité d'interroger les forçats

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