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poésie élevée. Sa tragédie d'Aspar tomba, et l'auteur, humilié de cet échec, auquel il ne s'était probablement pas attendu, brûla son manuscrit. Cependant ce contre-temps ne le dégoûta pas autant de la carrière dramatique, que la perte d'une cause l'avait dégoûté des plaidoiries. Il fit encore dans la suite avec Mlle. Bernard la tragédie de Brutus, et quelques comédies sur lesquelles nous reviendrons en parlant des divers ouvrages de Fontenelle.

Ses véritables succès dans les lettres commencèrent lorsqu'il eut rencontré le genre propre à ses talens, c'est-à-dire lorsqu'il eut commencé à porter dans les sciences la finesse et la pénétration de son esprit délicat et philosophique, et à traiter des matières savantes avec l'agrément qu'il savait donner à tout, et qui avait été inconnu avant lui, si l'on excepte les écrits de Voiture avec lequel il avait quelques rapports.

De Paris il était retourné dans sa ville natale, et ce fut à Rouen qu'il composa les Dialogues des morts avec le jugement de Pluton, l'Eloge de Pierre Corneille, les Lettres du chevalier d'Her... et ses Entretiens sur la pluralité des Mondes. L'Histoire des Oracles et les Eglogues suivirent de près cette série d'ouvrages. Il donna les deux opéras de Thétis et Pélée, d'Enée et Lavinie, et remporta un prix à l'académie française par son discours sur la Patience. Cette vertu sur laquelle il avait si bien disserté, l'académie la mit en quelque sorte chez lui à l'épreuve. Il se présenta quatre fois comme candidat pour un des quarante fauteuils, et chaque fois on lui préféra des hommes qui n'ont laissé après eux aucune réputation, Il disait dans sa vieillesse : J'ai souvent raconté ces mésaventures aux jeunes candidats quiavaient frappé, comme moi, inutilement aux portes de l'académie, mais je n'en ai jamais consolé aucun. » Fontenelle, par le parti qu'il avait pris dans la fameuse dispute sur les anciens et les modernes, avait déplu à des académiciens, tels que Boileau et Racine qui défendaient le goût antique. Possédant à un haut degré ce que l'esprit des modernes a de plus exquis, il était peu sensible aux beautés sublimes du génie des auteurs classiques des Grecs et des Romains, et il n'a jamais su leur rendre la justice qui leur est due. Aussi avait-il pris dans cette dispute le parti de Perrault contre les anciens, mais avec la modération qui distinguait son caractère, et qui n'était presque pas un mérite en lui, puisqu'elle tenait à son tempérament. L'abbé Bignon le nommait le patriarche d'une secte dont il n'était pas.

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Un autre sujet de l'inimitié d'une partie de l'académie contre Fontenelle, c'est que justement fier de la gloire de son oncle, il ne reconnaissait pas d'autre gloire sur la scène tragique; l'opinion

publique n'avait pas encore assigné les rangs selon le mérite, et les passions ou les préjugés empêchaient le goût de deviner le jugement de la postérité. Racine et ses amis, irrités de l'indifférence que les partisans exclusifs de Corneille affectaient pour Phèdre et Britannicus, firent peu de cas du jeune neveu de Corneille. Racine n'avait pas dédaigné d'aiguiser l'épigramme contre l'auteur d'Aspar ; mais Fontenelle n'eut pas besoin de ce persiflage pour apprendre qu'il avait fait une mauvaise tragédie.

Cependant la persévérance et la réputation de Fontenelle surmonterent tous les obstacles, et même en assez peu de temps. En 1691, et dans la 34° année de son âge, il fut reçu à l'académie française qui n'avait jamais accueilli encore un aussi jeune littérateur. Ce fut son oncle Thomas qui répondit en qualité de chancelier de l'académie à son discours : « M'abandonnerai-je, s'écria le frère du grand Corneille, à ce que les sentimens m'inspirent? La proximité du sang, la tendre amitié que j'ai pour vous, la supériorité que me donne l'âge, tout ensemble me le permet, et vous le devez souffrir; j'irai jusqu'à vous donner des conseils. Au lieu de vous dire que celui qui a si bien fait parler les morts, n'était pas indigne d'entrer en commerce avec d'illustres vivans, au lieu de vous applaudir sur cet agréable arrangement des différens Mondes dont vous nous avez offert le spectacle, sur cet art si difficile, et qu'il me paraît que le public trouve en vous si naturel, de donner de l'agrément aux matières les plus sèches, je vous dirai que quelque gloire que vous aient acquise dès vos plus jeunes années les talens qui vous distinguent, vous ne devez les regarder que comme d'heureuses dispositions, etc. »

On fit sur cette séance de mauvais couplets satiriques, dont Voici un échantillon :

Quand le novice' académique
Eut salué fort humblement,
D'une normande rhétorique
Il commenca son compliment,
Où sottement

De sa noblesse poétique

Il fit un long dénombrement.

Ces vers sans esprit et sans goût ont été attribués à Racine. Il faut que l'auteur de Phèdre ait eu une aversion bien prononcée contre Fontenelle, pour avoir pu passer pour l'auteur de pareils vers. Peut-être ne sont-ils pas davantage de Mlle. Deshoulières à qui on les a aussi attribués, et qui avec sa mère était dans le parti opposé à Fontenelle.

Quelques années après sa réception dans le sein de l'académie

française, en 1697, le neveu de Corneille qui avait déjà fait ses preuves comme savant par la préface du Traité des infiniment petits du marquis de l'Hôpital, fut nommé secrétaire de l'académie des sciences. Cette institution qui languissait depuis quelque temps, réorganisée sur un plan bien conçu était destinée à briller d'un nouveau lustre. Fontenelle y contribua plus peut-être qu'on n'avait espéré. En devenant l'historien de l'académie, il sut intéresser toutes les classes de la société aux travaux des savans, et aux progrès des sciences; par ses éloges des académiciens morts il éleva un monument durable à ses confrères. Pendant quarante ans il rendit de grands services à l'académie dont il était le secrétaire, et lorsque la vieillesse le força enfin de quitter cette charge, il eut des successeurs plus savans, mais aucun d'eux n'a eu le talent avec lequel Fontenelle répandait des fleurs sur l'histoire des sciences. On raconte qu'après sa mort il arriva une lettre du Pérou, dans laquelle on annonçait qu'une des productions de l'Europe, qu'on y attendait avec le plus d'impatience, c'était l'Histoire de l'Académie des Sciences, et que plusieurs dames avaient appris le français afin de pouvoir lire cet ouvrage. Fontenelle ne s'était pas contenté d'être le secrétaire des savans; il avait lui-même composé plusieurs ouvrages scientifiques, tels que les Elémens de la géométrie de l'infini, et la Théorie des tourbillons, et il avait prouvé que s'il possédait le talent de donner aux matières les plus épineuses une forme agréable et gracieuse, il n'en était pas moins capable d'approfondir ces matières, si rebutantes pour des esprits superficiels. Il donna aussi en 1732 une nouvelle édition corrigée et augmentée du Dictionnaire des Sciences et Arts, de Thomas Corneille, (3 vol. in-fo.) Dans l'académie française il prononça plusieurs harangues et discours que l'on trouvera parmi ses œuvres. Après avoir rempli plusieurs fois les fonctions de directeur de l'académie, il pria ses confrères, en 1749, de l'en dispenser à l'avenir en raison de son grand âge. Déjà, en 1741, il comptait 50 années de séance dans l'académie; cette année ses collègues, dont il était le doyen depuis 17 ans, crurent devoir faire une exception à leurs statuts en sa faveur, et l'élurent pour leur directeur du trimestre, lieu de tirer au sort pour cette dignité académique : le Nestor des académiciens présida la séance solennelle de la S. Louis 1741. Deux générations avaient disparu depuis que Fontenelle cultivait les lettres, et il vivait alors au milieu d'une génération nouvelle qui n'avait pas moins d'admiration pour ses talens et pour son caractère que les contemporains de Corneille. Peu d'écrivains ont eu, comme Fontenelle, la satisfaction de voir en quelque sorte la postérité commencer pour eux.

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Il avait été nommé aussi membre de l'académie des inscriptions et belles-lettres; mais trop occupé de ses fonctions de secrétaire de l'académie des sciences, il n'avait pas eu le loisir de prendre part aux travaux des érudits. D'autres académies de France et de l'étranger, telles que celles de Rouen, Nancy, Londres, Berlin et Rome, avaient inscrit son nom dans la liste de leurs associés. Quoiqu'une partie du mérite des écrits de Fontenelle se perdit pour les étrangers, il en restait néanmoins assez pour être généralement goûté.

S'étant fixé à Paris, Fontenelle avait demeuré d'abord chez son ami M. le Haguais, avocat général à la cour des aides. Il avait composé pour lui plusieurs discours solennels que le ministère public dont ce magistrat était chargé l'obligeait de prononcer. Il avait rendu un service semblable à un autre ami intime, M. Brunel, qui avait été son camarade de collége, et qu'il perdit trop tôt. C'est au sujet du portrait de M. le Haguais, homme d'un caractère silencieux, que Fontenelle a fait cette remarque spirituelle qui était un éloge du peintre Rigaud: « On dirait qu'il se tait. »

Fontenelle ne quitta la demeure de son ami que pour accepter un logement au Palais Royal que le Régent lui donna avec le titre de son secrétaire particulier, et avec une pension de mille écus, qui fut dans la suite réduite à moitié par le duc d'Orléans, fils du Régent. Il fut souvent consulté par le prince dont il avait toute la confiance. Cependant il sut conserver son indépendance sans manquer au respect. Il refusa sa voix comme académicien à un candidat, qui était introducteur des ambassadeurs, et que le duc d'Orléans protégeait. Ce prince lui ayant demandé s'il avait déjà quelque engagement, Fontenelle répondit qu'il n'en prenait avec personne, si ce n'était avec lui – même; et comme ce prince insistait, Fontenelle lui fit sentir que ce choix ferait peu d'honneur à l'académie. Le duc d'Orléans fut assez raisonnable pour céder; et lorsque des courtisans lui insinuèrent que c'était manquer à son altesse, que de lui refuser une demande aussi simple, d'autant plus qu'il logeait dans son palais celui dont il essuyait un refus: «Dites, répondit le prince, que je le loge dans un galetas. » Personne ne possédait autant que Fontenelle tous les dons de la nature, nécessaires à un courtisan. Mais il savait occuper un rang plus respectable dans la société. Le prince le gronda même un jour de ce qu'il le voyait si rarement. Monseigneur, répliqua Fontenelle, vous avez fait une si grande fortune! Il n'avait tenu qu'à Fontenelle d'être nommé président perpétuel de l'académie des sciences, titre qu'il lui eut été permis d'ambitionner; cependant il répondit à la proposition du prince,

qu'il aimait mieux continuer de vivre avec ses égaux. Une seule fois le secrétaire de l'académie fut employé par le Régent dans une affaire politique importante. Il s'agissait de répondre, au nom de la France, au manifeste du cardinal Albéroni, ministre d'Espagne. La plume facile de Fontenelle se prêta à ce travail, et le manifeste français parut; mais il ne fit aucun effet c'est que la grâce, la finesse et l'enjouement n'avaient été d'aucun secours dans la composition d'un semblable écrit.

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Fontenelle demeurait encore au Palais Royal quand le fameux système de Law tourna toutes les têtes, et réduisit à la mendicité un grand nombre de familles. Il disait dans la suite, peut-être par plaisanterie, qu'il n'avait jamais bien compris ce système, qu'il avait commencé à l'étudier quand Law tomba en discrédit, et qu'il ne savait s'il avait gagné ou perdu dans cette espèce de révolution. Des amis vinrent le solliciter de quitter le Palais Royal, où des furieux voulaient mettre le feu pendant la nuit pour se venger du Régent, protecteur du Système. Fontenelle ne crut pas devoir céder en courage au Régent, et resta. En 1730, dans il alla demeurer auprès de son neveu, M. Richer d'Aube, la rue St.-Honoré, et dès lors il n'eut plus d'autre demeure. Personne n'aimait plus que lui ces douces habitudes qui naissent d'une vie régulière. Exempt de tous les défauts qui choquent dans le commerce familier, il vivait sans difficulté avec des personnes douées même de caractères opposés au sien. Doux, affable, indulgent, spirituel, il plaisait à tous, et était recherché par tout le monde; ce qui fit dire à Piron lorsqu'il vit passer son convoi : Voilà la première fois que Fontenelle sort de chez lui sans dîner en ville. Cependant Fontenelle bornait son commerce habituel à un petit nombre de personnes, dont l'esprit et le caractère s'accordaient le mieux avec les siens. La marquise de Lambert, si connue par son esprit et ses grâces, était de sa société. Fontenelle charmait habituellement les réunions qui avaient lieu chez elle tous les mardis. La Motte qui était aussi de cette société choisie, a tracé dans une lettre à la duchesse du Maine, le trait des principaux convives de la marquise. Voici comment il esquisse le portrait de son ami : « A l'égard de M. de Fontenelle, vous ne serez point étonnée de l'entendre traiter d'extraordinaire. C'est un homme qui a mis le goût en principes, et qui en conséquence, demeurera froid où les Athéniens étouffaient de rire, et où les Romains se récriaient d'admiration. Vous savez d'ailleurs, madame, qu'il a prétendu effacer les grands maîtres dans tous les genres; car pourquoi ne lui supposerions-nous pas les intentions les plus mauvaises? c'est la bonne façon de deviner les hommes. Badinage, galanterie, sentimens, philosophie, géo

por

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