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les procès qu'il avait entre les mains, et en était quelquefois mal avec les juges.

Du Hamel fit ses premières études à Caen, sa rhétorique et sa philosophie à Paris. A l'âge de dix-huit ans il composa un petit traité, où il expliquait avec une ou deux figures, et d'une manière fort simple, les trois livres des sphériques de Théodose; il y ajouta une trigonométrie fort courte et fort claire, dans le dessein de faciliter l'entrée de l'astronomie. Il a dit dans un ouvrage postérieur, qu'il n'avait imprimé celui-là que par une vanité de jeune homme; mais peu de gens de cet âge pourraient avoir la même vanité. Il fallait que l'inclination qui le portait aux sciences fût déjà bien générale et bien étendue, pour ne pas laisser échapper les mathématiques si peu connues et si peu cultivées en ce temps-là, et dans les lieux où il étudiait.

A l'âge de dix-neuf ans il entra dans les pères de l'oratoire. Il y fut dix ans, et en sortit pour être curé de Neuilly-sur-Marne. Pendant l'un et l'autre de ces deux temps, il joignit aux devoirs de son état une grande application à la lecture.

La physique était alors comme un grand royaume démembré, dont les provinces ou les gouvernemens seraient devenus des souverainetés presque indépendantes. L'astronomie, la mécanique, l'optique, la chymie, etc., étaient des sciences à part, qui n'avaient plus rien de commun avec ce qu'on appelait physique; et les médecins même en avaient détaché leur physiologie, dont le nom seul la trahissait. La physique appauvrie et dépouillée n'avait plus pour son partage que des questions également épineuses et stériles. Du Hamel entreprit de lui rendre ce qu'on lui avait usurpé, c'est-à-dire, une infinité de connaissances utiles et agréables, propres à faire renaître l'estime et le goût qu'on lui devait. Il commença l'exécution de ce dessein par son astronomia physica, et par son traité de meteoris et fossilibus, imprimés l'un et l'autre en 1660.

Ces deux traités sont des dialogues dont les personnages sont Théophile, grand zélateur des anciens, Menandre, cartésien passionné, Simplicius, philosophe indifférent entre tous les partis, qui le plus souvent tâche à les accorder tous, et qui hors de la est en droit, par son caractère, de prendre dans chacun ce qu'il y a de meilleur. Ce Simplicius ou du Hamel, c'est le même homme.

A la forme de dialogues, et à cette manière de traiter la philosophie, on reconnaît que Cicéron a servi de modèle; mais on le reconnaît encore à une latinité pure et exquise, et, ce qui est plus important, à un grand nombre d'expressions ingénieuses et fines dont ces ouvrages sont semés. Ce sont des raisonnemens phi

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losophiques qui ont dépouillé leur sécheresse naturelle, ou du moins ordinaire, en passant au travers d'une imagination fleurie et ornée, et qui n'y ont pris cependant que la juste dose d'agrément qui leur convenait. Ce qui ne doit être embelli que jusqu'à une certaine mesure précise, est ce qui coûte le plus à embellir.

L'astronomie physique est un recueil des principales pensées des philosophes tant anciens que modernes sur la lumière, sur les couleurs, sur les systèmes du monde; et de plus, tout ce qui appartient à la sphère, à la théorie des planètes, au calcul des éclipses, y est expliqué mathématiquement. De même le traité des météores et des fossiles rassemble tout ce qu'en ont dit les auteurs qui ont quelque réputation dans ces matières; car du Hamel ne se bornait pas à la lecture des plus fameux. On voit dans cẹ qu'il a écrit des fossiles une grande connaissance de l'histoire naturelle, et surtout de la chymie, quoiqu'elle fût encore alors enveloppée de mystères et de ténèbres difficiles à percer.

On lui reprocha d'avoir été peu favorable au grand Descartes, si digne du respect de tous les philosophes, même de ceux qui ne le suivent pas. En effet, Théophile le traite quelquefois assez mal. Du Hamel répondit que c'était Théophile, entêté de l'antiquité, incapable de goûter aucun moderne, et que jamais Simplicius n'en avait mal parlé. Il disait vrai; cependant c'était au fond Simplicius qui faisait parler Théophile.

En 1663, qui fut la même année où il quitta la cure de Neuilly, il donna le fameux livre de consensu veteris et novæ philosophiæ. C'est une physique générale, ou un traité des premiers principes. Ce que le titre promet est pleinement exécuté, et l'esprit de conciliation, héréditaire à l'auteur, triomphe dans cet ouvrage. Il commence par la sublime et peu intelligible métaphysique des platoniciens sur les idées, sur les nombres, sur les formes archétypes; et quoique du Hamel en connaisse l'obscurité, il ne peut leur refuser une place dans cette espèce d'états généraux de la philosophie. Il traite avec la même indulgence la privation du principe, l'éduction des formes substantielles, et quelques autres idées scolastiques; mais quand il est enfin arrivé aux principes qui se peuvent entendre, c'est-à-dire, ou aux lois du mouvement, ou aux principes moins simples établis par les chymistes, on sent que malgré l'envie d'accorder tout, il laisse naturellement pencher la balance de ce côté-là. On s'aperçoit même que ce n'est qu'à regret qu'il entre dans les questions générales, d'où l'on ne remporte que des mots, qui n'ont point d'autre mérite que d'avoir long-temps passé pour des choses. Son inclination et son savoir le rappellent toujours assez promptement à

la philosophie expérimentale, et surtout à la chymie, pour laquelle il paraît avoir eu un goût particulier.

En 1666, Colbert, qui savait combien la gloire des lettres contribue à la splendeur d'un état, proposa et fit approuver au roi l'établissement de l'académie royale des sciences. Il rassembla avec un discernement exquis" un petit nombre d'hommes, excellens chacun dans son genre. Il fallait à cette compagnie un secrétaire qui entendît et qui parlât bien toutes les différentes langues de ces savans; celle d'un chymiste, par exemple, et celle d'un astronome, qui fût auprès du public leur interprète commun; qui pût donner à tant de matières épineuses et abstraites des éclaircissemens, un certain tour, et même un agrément que les auteurs négligent quelquefois de leur donner, et que cependant la plupart des lecteurs demandent; enfin, qui, par son caractère, fût exempt de partialité, et propre à rendre un compte désintéressé des contestations académiques. Le choix de Colbert pour cette fonction tomba sur du Hamel; et après les épreuves qu'il avait faites sans y penser, de toutes les qualités nécessaires, un choix aussi éclairé ne pouvait tomber que sur lui.

Sa belle latinité ayant beaucoup brillé dans ses ouvrages, et d'autant plus que les matières étaient moins favorables, il fut choisi pour mettre en latin un traité des droits de la feue reine sur le Brabant, sur Namur, et sur quelques autres seigneuries des pays-bas Espagnols. Le roi qui le fit publier en 1667, voulait qu'il pût être lu de toute l'Europe, où ses conquêtes, et peut-être aussi un grand nombre d'excellens livres, n'avaient pas encore rendu le français aussi familier qu'il l'est devenu.

A cet ouvrage, qui soutenait les droits de la reine, il en succéda l'année suivante un autre de la même main, et en latin, qui soutenait les droits de l'archevêque de Paris contre les exemptions que prétend l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Ce fut Perefixe, alors archevêque, qui engagea du Hamel à cette en-. treprise, et apparemment il crut que le nom d'un auteur, si éloigné d'attaquer sans justice, et même d'attaquer, serait un grand préjugé pour le siége archiepiscopal. En effet, c'est là la seule fois que du Hamel ait forcé son caractère jusqu'a prendre le personnage d'agresseur; et il est bon qu'il l'ait pris une fois pour laisser un modèle de la modération et de l'honnêteté avec laquelle ces sortes de contestations devraient être conduites.

Sa grande réputation sur la latinité fut cause encore qu'en la même année 1668, Colbert de Croissy, plénipotentiaire pour la paix d'Aix-la-Chapelle, l'y mena avec lui. Il pouvait l'employer souvent pour tout ce qui se devait traiter en latin avec les mi

nistres étrangers; et quoique la pureté de cette langue puisse paraître une circonstance peu importante par rapport à une négociation de paix, les politiques savent assez qu'il ne faut rien négliger de ce qui peut donner du relief à une nation aux yeux de ses voisins ou de ses ennemis.

Après la paix d'Aix-la-Chapelle, de Croissy alla ambassadeur en Angleterre, et du Hamel l'y accompagna. Il fit ce voyage en philosophe; sa principale curiosité fut de voir les savans, surtout l'illustre Boyle, qui lui ouvrit tous ses trésors de physique expérimentale. De là il passa en Hollande avec le même esprit, et il rapporta de ces deux voyages des richesses dont il a ensuite orné ses livres.

Revenu en France, et occupant sa place de secrétaire de l'académie, il publia son traité de corporum affectionibus en 1670. Là il pousse la physique jusqu'à la médecine, dont il ne se contente pas d'effleurer les principes. Deux ans après, il donna son traité de mente humana. C'est une logique métaphysique, ou une théorie de l'entendement humain et des idées, avec l'art de conduire sa raison. Quoique les expériences physiques paraissent étrangères à ce sujet, elles y entrent cependant en assez grande quantité, elles fournissent tous les exemples dont l'auteur a besoin; il en était si plein, qu'elles semblent lui échapper à chaque

moment.

Un an après, c'est-à-dire en 1673, parut son livre de corpore animato. On peut juger par le titre si la physique expérimentale y est employée. Surtout l'anatomie y règne. Du Hamel en avait acquis une grande connaissance, et par des conférences de l'académie, et par un commerce particulier avec Stenon et du Verney. Quand du Verney commença à s'établir à Paris, et qu'il y établit en même temps un nouveau goût pour l'anatomie, du Hamel fut un des premiers qui se saisit de lui et des découvertes qu'il apportait. Un tel disciple excita encore le jeune anatomiste à de plus grands progrès, et y contribua.

Dans ce livre de corpore animato, il fait entendre qu'on lui reprochait de ne point décider les questions, et d'être trop indéterminé entre les différens partis. Il promet de se corriger, et il faut avouer cependant qu'il ne paraît pas trop avoir tenu parole; mais enfin il est rare qu'un philosophe soit accusé de n'être pas assez décisif.

Au même endroit, il se fait à lui-même un autre reproche, dont il est beaucoup plus touché ; c'est d'être ecclésiastique, et de donner tout son temps à la philosophie profane. Il est aisé de voir quelle foule de raisons le justifiaient; mais l'extrême délicatesse de sa conscience ne s'en contentait pas. Il proteste qu'il

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veut retourner à un ouvrage de théologie, dont le projet avait été formé dès le temps qu'il publia ses premiers livres, et dont l'exécution avait toujours été interrompue.

Cependant il y survint encore une nouvelle interruption. Un ordre supérieur, et glorieux pour lui, l'engagea à composer un cours entier de philosophie selon la forme usitée dans les colléges. Cet ouvrage parut en 1678 sous le titre de philosophia vetus et nova, ad usum scholæ accommodata, in regiâ Burgundia pertractata; assemblage aussi judicieux et aussi heureux qu'il puisse être des idées anciennes et des nouvelles, de la philosophie des mots et de celle des choses, de l'école et de l'académie. Pour en parler encore plus juste, l'école y est ménagée, mais l'académie y domine. Du Hamel y a répandu tout ce qu'il avait puisé dans les conférences académiques, expériences, découvertes, raisonnemens, conjectures. Le succès de l'ouvrage a été grand; les nouveaux systèmes déguisés en quelque sorte, ou alliés avec les anciens, se sont introduits plus facilement chez leurs ennemis, et peut-être le vrai y a-t-il eu moins d'oppositions à essuyer, parce qu'il a eu le secours de quelques erreurs.

Plusieurs années après la publication de ce livre, des missionnaires qui l'avaient porté aux Indes orientales, écrivirent qu'ils y enseignaient cette philosophie avec beaucoup de succès, principalement la physique, qui est des quatre parties du cours entier celle où l'académie et les modernes ont le plus de part. Des peuples peu éclairés, et conduits par le seul goût naturel, n'ont pas beaucoup hésité entre deux espèces de philosophie, dont l'une nous a si long-temps occupés.

Il semble que du Hamel ait été destiné à être le philosophe de l'orient. Le P. Bouvet, jésuite, et fameux missionnaire de la Chine, a écrit que quand ses confrères et lui voulurent faire en langue tartare une philosophie pour l'empereur de ce grand état, et le disposer par-là aux vérités de l'évangile, une des principales sources où ils puisèrent fut la philosophie ancienne et moderne de du Hamel. L'entrée qu'elle pouvait procurer à la religion dans ces climats éloignés, a dû le consoler de l'applica-, tion qu'il y avait donnée.

A la fin il s'acquitta encore plus précisément du devoir dont il se croyait chargé. En 1691, il imprima un corps de théologie en sept tomes, sous ce titre : Theologia speculatrix et practica juxta SS. Patrum dogmata pertractata et ad usum scholæ accommodata. La théologie a été long-temps remplie de subtilités fort ingénieuses à la vérité, utiles même jusqu'à un certain point, mais assez souvent excessives; et l'on négligeait alors la

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