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Dieu, la simplicité des lois que Dieu a établies, et qu'il n'a pas établir moins simples, les fait naître.

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Cela veut dire proprement que le dessein de Dieu n'a pas été sage; car, il n'a pu être pleinement exécuté, puisqu'il n'a pu être exécuté que d'une manière qui faisait entrer les monstres dans l'ouvrage de Dieu, quoiqu'ils ne fussent pas du dessein. Or, une exécution pleine, non-seulement comprend tout ce qui est dans le dessein, mais exclut tout ce qui n'en est point. Il est aussi vicieux de faire trop que trop peu; et puis, si vous me dites que la simplicité des lois a fait faire à Dieu plus que ce qui était de son dessein, je suis en droit de croire qu'elle lui a fait faire moins, quoique je ne puisse pas vous montrer ce moins qui n'est point, comme vous prétendez me montrer ce plus qui est.

Et voyez quelle bizarrerie et quelle contrariété cela met dans la nature de Dieu. Il est très-sage, il doit exécuter son dessein pleinement; il est très simple, il doit l'exécuter simplement : mais il ne peut l'exécuter pleinement et simplement en même temps; sa sagesse et sa simplicité se combattent; il faut qu'il relâche de l'exécution pleine de son dessein, pour donner ce qui est dû à la simplicité.

Il y aurait bien plus de sujet de croire qu'il relâcherait de la simplicité, ou que même il y renoncerait entièrement, plutôt que de laisser imparfaite l'exécution de son dessein. Car enfin, il vaut mieux se servir de moyens imparfaits, que de manquer quelquefois sa fin; et la simplicité de l'action n'est qu'une manière d'exécution, préférable, à la vérité, quand elle se rencontre, mais non pas digne d'être recherchée aux dépens d'une exécution pleine et entière.

Cela est si vrai, que le P. Malebranche convient que Dieu sort quelquefois de la simplicité de son action, et agit par des voies extraordinaires, quand l'ordre le demande. Qu'est-ce que cet ordre ? c'est la sagesse de ses desseins. Il préfère donc, en ces cas-là, l'exécution pleine et entière de ses desseins, à la simplicité de l'exécution. Il en devrait toujours faire autant; l'ordre de mande toujours la même chose. Je voudrais bien savoir pourquoi en d'autres cas, comme dans celui des monstres, Dieu préférera la simplicité de l'exécution à l'exécution pleine et entière de son dessein. Il est toujours sûr que c'est un système assez bigarré que celui où tantôt la sagesse de Dieu l'emporte sur la simplicité, tantôt la simplicité l'emporte sur sa sagesse.

Dans le combat de ces deux attributs par rapport à l'exécution du dessein, la sagesse devrait toujours l'emporter; mais il vaut encore mieux qu'il n'y ait point de combat. Je crois que, s'il le fallait, j'exposerais un ordre physique, car je n'entends parler

I.

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que de celui-là, où non-seulement vous ne trouveriez pas que celle de deux choses qui ne doit point être subordonnée à l'autre, lui fût subordonnée, et gênée, pour ainsi dire, par elle, mais même où vous ne trouveriez aucune des deux subordonnée à l'autre. Chacune aurait son étendue aussi entière et aussi absolue que si elle n'avait point à s'ajuster avec l'autre vous verriez l'exécution du dessein de Dieu aussi pleine que si elle n'était nullement simple, et aussi simple que si elle était fort éloignée d'être pleine. En effet, cela paraît convenir à deux choses qui naissent de deux attributs de Dieu : je ne crois pas que ces attributs se donnent les uns aux autres des modifications et des restrictions.

Mais ce n'est pas là de quoi il est question présentement. Il me suffit d'avoir prouvé que quand Dieu exécute un dessein, sa première intention est de l'exécuter pleinement, ensuite le plus simplement qu'il se puisse.

Le dessein de Dieu est qu'il y ait des planètes qui se meuvent sans cesse, des animaux qui se succèdent sans cesse les uns aux autres, etc.; et pour cela il faut que les parties de la matière aient des mouvemens inégaux, et se les communiquent.

Supposé, comme le prétendent les Cartésiens, que les corps n'aient nulle force mouvante, il ne se présente à Dieu que deux moyens d'exécuter son dessein :

Ou de mouvoir inégalement les corps à chaque instant, selon ce dessein ;

Ou d'établir une Cause occasionnelle de l'inégale distribution des mouvemens telle que le choc.

C'est-à-dire, qu'il faut que Dieu remue inégalement les corps sans s'assujettir à rien qu'à son dessein, ou en s'assujettissant å une Cause occasionnelle.

Sur quoi je raisonne ainsi.

En cas que Dieu s'assujettisse à une Cause occasionnelle, ou son dessein est aussi pleinement exécuté que s'il ne s'y assujettissait pas, où il n'est pas aussi pleinement exécuté.

Si le dessein n'est pas aussi pleinement exécuté, Dieu ne s'assujettira point à la Cause occasionnelle.

Car l'autre manière d'agir sera plus sage, et par conséquent elle l'emporterait, fût-elle moins simple en elle-même.

. Si le dessein de Dieu est aussi pleinement exécuté par la voie de la Cause occasionnelle, voilà les deux manières égales quant à la sagesse ; c'est à la simplicité à décider.

Comparons-les donc toutes deux sur la simplicité. De manière ou d'autre, Dieu ne distribuera pas mouvemens inégaux, ni à moins de corps différens.

moins de

Mais établir une Cause occasionnelle, c'est assurément prendre un circuit, et un circuit qui, selon la supposition présente, ne contribue en rien à une exécution plus pleine et plus entière du dessein.

Cela décide. Il serait donc contre la simplicité, telle que nous l'avons définie, que Dieu établît une Cause occasionnelle.

Comment voudrait-on que la simplicité de l'action de Dieu vint d'une chose étrangère à laquelle il aurait égard, et à laquelle il ne servirait de rien qu'il eût égard? Au contraire, cela même qu'il enfermât sans nécessité une chose étrangère dans son action, en détruirait entièrement la simplicité.

Si l'on dit qu'il faut que Dieu établisse une Cause occasionnelle pour agir avec uniformité, ce n'est pas l'uniformité dont il est question présentement; car l'uniformité et la simplicité ne sont pas la même chose, quoique sur cette matière-ci on les confonde assez volontiers, et peut-être assez utilement pour les desseins que l'on a mais l'uniformité elle-même, nous l'allons traiter amplement; je crois avoir assez combattu la simplicité que l'on vante tant dans le système des Causes occasionnelles.

CHAPITRE V.

Qu'il semble que dans le système des Causes occasionnelles, Dieu n'agit point par des lois générales.

AGIR avec uniformité, agir par des lois ou volontés générales, ce sout là de belles idées, et on voit bien qu'il faut qu'elles conviennent à Dieu. Mais qu'est-ce que des lois générales? Qu'est-ce que l'uniformité qui doit être dans l'action de Dieu ? Je doute qu'on le sache tout-à-fait bien. On attribue à Dieu ces mots-là, et on n'entend pas trop la chose qu'on lui attribue. Examinons cette matière avec un peu de soin.

L'action par laquelle un être intelligent agit hors de lui, a deux rapports, l'un à son dessein et à la fin qu'il se propose, l'autre à la nature du sujet sur lequel il agit.

Elle ne peut avoir d'autre rapport au dessein que de l'exécuter: mais à la nature des objets, elle en peut avoir trois différens ; ou d'être précisément telle que le demande la nature de ce sujet, ou d'être au-delà de ce qu'elle demande, et en quelque façon contre, ou d'être telle que la nature de ce sujet y soit indifférente. Je m'explique.

Si je veux faire une machine qui sonne les heures, je prends des pièces de métal, et les arrange ou les façonne d'une certaine manière : cette action est indifférente à la nature de ces pièces de métal, car de leur nature elles ne demandent point

d'être façonnées ou arrangées d'une manière plutôt que d'une

autre.

Mais ces pièces de métal étant devenues une machine la par figure et l'arrangement que je leur ai donnés, elles prennent une nouvelle nature; il ne faut plus les considérer simplement comme de la matière; il les faut considérer comme une machine.

La nature d'une machine est qu'après avoir reçu du mouve→ ment de dehors, elle exécute ensuite, étant abandonnée à ellemême, le dessein pour lequel on l'a faite.

Ainsi, lorsque je donne du mouvement à cette machine, j'agis selon que sa nature le demande.

Mais si je n'avais pu la disposer si bien, que le mouvement que je lui donnerais une fois lui fit sonner naturellement les heures, et qu'il fallût que j'allasse les lui faire sonner toutes de -ma main, alors j'agirais au-delà de la nature de cette machine, ou même, si vous voulez, contre; car la nature d'une machine exclut qu'après lui avoir donné du mouvement, on lui fasse faire ce qu'elle n'eût pas fait d'elle-même.

Une action est uniforme, lorsqu'elle a toujours le même rapport, tant au dessein qu'à la nature du sujet.

Ainsi une action qui exécute un dessein, peut être uniforme en trois manières.

Ou étant toujours selon la nature du sujet, ou toujours audelà, ou lui étant toujours indifférente.

Ces trois sortes d'uniformités sont entièrement égales, prises précisément dans l'espèce d'uniformité: cependant trois actions qui auraient ces différens rapports, ne seraient pas également parfaites.

Que je donne toujours en des temps réglés du mouvement à une machine qui n'a besoin de cela que pour sonner les heures, ou que j'aille lui faire sonner toutes les heures de ma main, ou que, sans avoir fait une machine, je sonne toutes les heures en frappant deux pièces de métal l'une contre l'autre, ce qui sera une chose indifférente à ces deux pièces de métal qui ne sont simplement que de la matière ; ces trois actions, quoique d'une égale uniformité, ne sont pas d'une perfection égale. Il n'y a que la première qui soit parfaite, parce qu'elle suppose que parmi toutes les dispositions possibles où la nature de ces pièces de métal souffrait que je les misse, j'ai justement choisi celle où elles sonneront d'elles-mêmes les heures, pourvu qu'on leur donné ce que toute machine demande, c'est-à-dire du mouvement. Ainsi j'ai confié l'exécution de mon dessein à la nature seule des sujets sur lesquels j'agis; et dans tous les effets qu'elle

produit d'elle-même, elle ne fait plus que m'obéir. Mon dessein lui est si exactement proportionné, que tout ce qu'il demande, elle le demande aussi, et je ne puis rien faire pour elle qui ne me conduise à ma fin. Il est de ma sagesse de n'avoir formé sur les sujets que des desseins que leur nature pouvait exécuter, et il est de mon intelligence de les avoir mis justement dans les dispositions où leur nature seule devait exécuter mes desseins. Si j'ai choisi ce dessein proportionné à leur nature, et cette disposition proportionnée à mon dessein, parmi une infinité d'autres desseins et d'autres dispositions, je suis d'une sagesse et d'une intelligence infinies.

La seconde sorte d'action est imparfaite de l'une ou de l'autre de ces deux manières. Si les pièces de métal ont pu être disposées de sorte qu'elles sonnassent les heures sans que j'y misse la main, j'ai manqué d'intelligence de ne pas m'aviser de cette disposition: si elles n'ont jamais pu être disposées de cette sorte, j'ai manqué de sagesse de leur demander une chose qui était au-delà de leur nature.

La troisième action n'est imparfaite qu'au cas que cas que des pièces de métal aient pu être mises dans une disposition où elles eussent sonné les heures d'elles-mêmes. En ce cas-là elle ne manque pas de sagesse ; car selon la supposition, elle ne demande aux choses que ce qu'elles peuvent faire : mais elle manque d'intelligence de ne leur faire pas exécuter son dessein par leur nature seule, comme il se pourrait. Il y a toujours plus d'habileté à faire une machine qui exécute votre dessein, qu'à n'en faire pas quand il est possible d'en faire une.

Avant que la machine que je veux faire soit faite, je ne puis agir plus parfaitement que d'une action indifférente à la nature des sujets; car s'ils résistaient à quelque disposition, je manquerais de sagesse en les y mettant: mais comme je les suppose indifférens à toute disposition, mon action sera toujours indifférente à leur nature; c'est à mon dessein à me déterminer.

Mais la machine faite, je ne dois plus agir que précisément

selon sa nature.

Vous voyez donc par ces trois espèces d'actions que nous avons proposées, que l'uniformité, en tant que simple uniformité, ne suffit pas pour rendre une action parfaite; mais qu'il faut que ce soit une uniformité qui suppose de la sagesse et de l'intelligence.

Remarquez encore qu'une action n'en est pas plus parfaite pour être plus uniforme, si ce n'est de cette uniformité d'intelligence et de sagesse.

Je suppose qu'il soit impossible qu'une machine sonne les heures

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