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sera sûr de pouvoir compter; il faut encore, pour contenter sa raison, entendre ce résultat, et savoir pourquoi il est venu tel qu'il est. Ainsi, dans la théorie précédente ( 8. 14.), on a trouvé, non-seulement que la force centrifuge renferme le carré de la vitesse, mais encore pourquoi elle le renferme nécessairement. Ici, je demande pourquoi l'attraction suit les carrés des distances plutôt que toute autre puissance? Je .ne crois pas qu'il

fût aisé de le dire.

VII.

Du moins est-il bien certain que cette loi des carrés ne suffirait pas pour expliquer plusieurs phénomènes de chymie si violens, que les plus hautes puissances de l'attraction ne sembleraient qu'à peine y pouvoir atteindre. Cette loi des carrés n'est donc pas une loi générale de la nature.

VIII.

Les deux corps A et B, égaux en masse, s'attirent avec une force égale, si l'on n'y considère rien de plus : mais cela subsiste-til encore, si A, toujours de la même masse, a un plus grand volume que B? Il semble que la force de A soit plus dispersée; mais, d'un autre côté, elle embrassera mieux B, et avec quelque avantage.

IX.

Si A et B, égaux en masse et en volume, ne different qu'en ce que l'un est solide et l'autre fluide, ont-ils une force égale? ou quelle sera la différence de leurs attractions?

X.

Les corps A, B et C, égaux, étant rangés sur la même ligne et avec des distances égales, l'action mutuelle des deux extrêmes A et C passe-t-elle au travers de B, ou y est-elle arrêtée?

Xİ.

Mais une chose encore plus importante, c'est de savoir si, avec l'attraction, quelle qu'en soit la loi, on admettra aussi la force centrifuge? Un corps circulant sera attiré, ou vers le centre, ou vers la circonférence du cercle qu'il décrit, et en même temps il tendra, par sa force centrifuge, à s'éloigner du centre. Cette force, dans le premier cas, diminue donc l'effet de l'attraction; et dans le second, elle l'augmente. L'un ou l'autre cas arrive perpétuellement, sans exception; et les effets toujours certainement altérés par la force centrifuge, le devraient être sensiblement, du moins en quelques occasions rares. Mais cela ne se rencontre jamais : les effets de l'attraction sont tou- jours purs et sans mélange, à cet égard, dans le système new

tonien, et par conséquent ce système est incompatible avec la force centrifuge. Cependant c'est une force bien réelle, bien démontrée, bien reconnue, même de ceux qui en reconnaissent encore quelques autres.

XII.

Malgré tout cela, dira-t-on, il est de fait que le système newtonien répond juste à tous les phénomènes. Comment est-il si heureux, s'il est faux? Je conviens qu'il répond juste aux phénomènes célestes; et il ne laisse pourtant pas d'être faux. Ce paradoxe demande une assez longue explication.

Les astronomes n'avaient point encore de règle générale pour la détermination des différentes distances des planètes au soleil, lorsque Képler conçut, en homme d'esprit et en grand philosophe, que, comme tout est lié dans la nature, ces distances inconnues pourraient bien avoir quelque rapport aux révolu tions de ces mêmes planètes autour du soleil, dont les temps étaient bien certainement connus.

Il chercha ce rapport, et il trouva cette belle règle qui immortalisera son nom, que les distances sont comme les racines cubiques des carrés des révolutions. Ce rapport ne fut tiré d'aucun principe connu d'ailleurs, ni même adapté à rien d'établi ce n'est qu'un simple fait qui n'a pu résulter que d'un nombre affreux de calculs très-embarrassés; et par là même il pouvait légitimement être suspect; mais toutes les observations de tous les astronomes se sont toujours accordées à le confirmer. C'est déjà une loi fondamentale du ciel.

D'un autre côté, Huyghens a très-ingénieusement découvert l'expression de la loi de la force centrifuge, adoptée pareillement de tout le monde, mais parce qu'elle était prouvée bien géométriquement.

Enfin, le fameux livre de Newton est entièrement fondé sur le principe des attractions en raison inverse des carrés des distances, principe qui s'accordait avec la règle de Képler, et par conséquent ne pouvait être combattu par les faits ou les observations astronomiques.

Mais comme les Cartésiens avaient les attractions en horreur, et qu'ils se flattaient de les avoir bannies pour jamais, ils attaquèrent le système newtonien, et firent voir qu'en appliquant aux corps célestes les forces centrifuges de Huyghens, et en les supposant en équilibre entre eux, il en naissait nécessairement la règle de Képler, et même le principe fondamental du livre de Newton, pourvu seulement qu'on veuille bien appeler force centrifuge ce qu'il appelait attraction. Je ne puis m'empêcher

de dire ici, quoique sans nécessité, que la règle de Képler, démontrée géométriquement, et par les premières idées, me paraît une chose d'un grand prix.

Si avant que de donner son livre, Newton avait su cela, soit par quelque ouvrage d'un autre, soit par sa seule pénétration, qui sans doute allait au plus haut point, il n'aurait fait, quant à l'essentiel, que changer le nom de force centrifuge en celui d'attraction, et masquer un système connu pour le produire comme nouveau. Mais il n'est pas apparent qu'un aussi grand homme ait été capable de tant d'adresse. On peut fort bien ne pas s'apercevoir que la règle de Képler tire son origine d'un certain degré de mouvement précis imprimé à tout le système solaire, unique entre une infinité d'autres également possibles, et qu'il faut de plus qu'il y ait équilibre, et équilibre très-durable, non entre les planètes de ce système, mais entre des couches sphériques qui les contiendront, ainsi qu'il a été prouvé dans la théorie (30). Encore une chose qui pouvait empêcher Newton de donner dans ces idées, c'est que ces couches demandent le plein, et lui était persuadé du vide. Quoi qu'il en soit, il est de fait qu'il a vu la contestation assez échauffée entre ses sectateurs et les Cartésiens; qu'ils y ont mis en avant l'équilibre, point très-important et nouveau, et qu'il a toujours été spectateur tranquille de tout, sans y prendre aucune part.

XIII.

Venons au plein, qui n'a été que supposé dans notre Théorie. Certainement, il n'y a guère d'idée en nous plus ancienne que celle du vide : tous les enfans l'imaginent partout où ils ne voient rien, et une infinité d'hommes pensent à peu près de même toute leur vie. Selon les philosophes, qui ont eux-mêmes conservé cette idée si naturelle, il y a l'espace distinct de la matière dont il est le lieu, et où elle peut également être ou n'être pas placée. On ne peut concevoir cet espace qu'infini, et de plus incréé ; et ce second point doit faire de la peine. L'espace serait un être réel semblable à Dieu; d'ailleurs, il ne serait ni matériel ni spirituel.

XIV.

Si la matière est infinie, il y a autant de matière que d'espace; tout est plein, et l'idée forcée d'espace devient tout-àfait inutile: la matière sera elle-même son lieu, parce qu'elle ne peut exister autrement. Il est vrai qu'alors on tombe, à l'égard du mouvement, dans des difficultés qui peuvent paraître considérables. La matière toute en masse ne peut se mouvoir en

ligne droite, puisqu'elle n'a pas où aller; elle ne peut non plus se mouvoir circulairement, car il n'y a point de centre dans l'infini: une sphère infinie enfermerait contradiction, puisque toute figure est ce qui est terminé extérieurement. Mais tous les inconvéniens seront levés, si l'on conçoit la masse infinie de la matière divisée en une infinité de sphères finies. Ce sont là les fameux tourbillons de Descartes, dont ceci prouve la nécessité dans l'hypothèse du plein et de l'infinité de la matière. Ils avaient déjà par eux-mêmes une grande apparence de possibilité, et même, pour ainsi dire, un certain agrément philosophique.

XV.

Si la matière est finie, elle ne serait toujours, par rapport à l'espace, qu'un infiniment petit; et l'univers, quoique trèsréel, ne serait qu'un vide immense qui ne contiendrait rien, privé de toute force, de toute action, de toute fonction, à une petite partie près, qui ne mériterait pas d'être comptée. Le Tout-Puissant n'aurait rien versé dans ce vase.

XVI.

On croirait remédier à cet inconvénient, en supposant que la matière, quoiqu'infinie, serait un moindre infini que l'espace, comme l'infini des nombres pairs, ou celui des impairs, est moindre que celui de la suite totale des nombres naturels. Mais alors l'attraction, qui se lie si bien, à ce qu'on croit, avec le vide, et qui est mutuelle entre tous les corps, agirait perpétuellement sur eux, pour les rapprocher les uns des autres, quelque dispersés qu'ils fussent d'abord ; et elle agirait sans avoir aucun obstacle à surmonter, puisque l'espace ou le vide n'a aucune force, ni attractive, ni répulsive. Les vides semes originairement, si l'on veut, entre tous les corps, disparaîtraient donc en plus ou moins de temps, et il ne resterait plus qu'un grand vide total au dehors de tous les corps violemment appliqués les uns contre les autres. Il est visible que, pour la vérité de cette idée, il n'est pas nécessaire que le rapport de l'infini de l'espace à celui de la matière, soit de 2 à

comme

il a été posé dans l'exemple des nombres. Tout autre rapport, pourvu que l'espace soit le plus grand; fera le même effet.

XVII.

Dans ce même cas, les tourbillons cartésiens ne réussiraient pas non plus. Il faut, pour les mettre en action continue, qu'ils tendent toujours par eux-mêmes à s'agrandir, et qu'ils s'en empêchent toujours les uns les autres. Or, il est aisé de voir

que des vides semés entre eux les détruiraient, en les empêchant d'être comprimés de toutes parts; que quelques-uns étant détruits les premiers, les autres le seraient plus facilement, et toujours plus facilement, etc. Dans le cas précédent, le monde se pétrifiait; dans celui-ci, il s'évapore.

XVIII.

Comme on ne lui voit absolument aucune disposition à l'un ni à l'autre de ces deux accidens, il s'ensuit que l'espace réel ou le vide n'existe pas, même dans le système newtonien, οὐ il est cependant si établi et si dominant. Je puis ajouter qu'il n'est pas besoin pour l'action perpétuelle et réciproque des tourbillons cartésiens, que la matière soit infinie; car, ne le fût-elle pas, les derniers tourbillons et les plus extérieurs de ce grand tout, n'auraient pas plus de facilité à s'étendre, puisqu'il n'y aurait pas d'espace au-delà d'eux.

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