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Le CZAR ayant fait l'honneur à l'Académie de lui répondre, le Secrétaire eut encore l'honneur d'écrire au CZAR la lettre suivante :

SIRE,

L'ACADÉMIE royale des sciences est infiniment honorée de la lettre que Votre Majesté a daigné lui écrire, et elle m'a chargé de lui en rendre en son nom de très-humbles actions de grâces., Elle vous respecte, SIRE, non-seulement comme un des plus puissans monarques du monde, mais comme un monarque qui emploie la grande étendue de son pouvoir à établir les sciences dont elle fait profession, dans de vastes pays où elles n'avaient pas encore pénétré. Si la France a cru ne pouvoir mieux immortaliser le nom d'un de ses rois, qu'en ajoutant à ses titres celui de restaurateur des lettres, quelle sera la gloire d'un souverain qui en est dans ses états le premier instituteur! L'académie a fait mettre dans ses archives la carte de la mer Caspienne, dressée par ordre de Votre Majesté; et quoique ce soit une pièce unique et très-importante pour la géographie, elle lui est encore plus précieuse en ce qu'elle est un monument de la correspondance que Votre Majesté veut bien entretenir avec elle. L'Observatoire a été ouvert au bibliothécaire de Votre Majesté, qui a voulu y dessiner quelques machines.

L'académie la supplie très-humblement d'accepter les derniers volumes de son histoire, qu'elle lui doit, et qu'elle est bien glorieuse de lui devoir.

Je suis avec un très-profond respect,

SIRE,

De VOTRE MAJESTÉ,

Le très-hunible et très- obéissant serviteur, FONTENELLE, secrétaire perpét. de l'académie royale des sciences.

De Paris, ce 15 octobre 1721.

Fait au Roi sur son Sacre, par FONTENELLE, alors direc teur de l'Académie Française, le 9 novembre 1722.

SIRE,

Au milieu des acclamations de tout le royaume, qui répète avec tant de transport celles que Votre Majesté a entendues dans Rheims, l'académie française est trop heureuse et trop honorée de pouvoir faire entendre sa voix jusqu'au pied de votre trône. La naissance, SIRE, vous a donné la France pour roi, et la religion veut que nous tenions aussi de sa main un si grand bienfait; ce que l'une a établi par un droit inviolable, l'autre vient de le confirmer par une auguste cérémonie. Nous osons dire cependant que nous l'avions prévenue: votre personne était déjà sacrée par le respect et par l'amour. C'est en elle que se renferment toutes nos espérances; et ce que nous découvrons de jour en jour dans Votre Majesté, nous promet que nous allons voir revivre en même temps les deux plus grands d'entre nos monarques, Louis, à qui vous succédez, et Charlemagnedont on vous a mis la couronne sur la tête.

COMPLIMENT

Fait au Roi le 16 décembre 1722, sur la mort de MADAME, par FONTENELLE, alors directeur de l'Académie.

SIRE,

QUAND l'art de la parole serait tout-puissant, quand l'académie française, qui l'étudie avec tant de soin, le posséderait au plus haut degré de perfection, elle n'entreprendrait pas d'adoucir la douleur de Votre Majesté. Vous regretterez trèslégitimement, SIRE, une grande princesse qui couronnait toutes ses vertus par un attachement pour vous, aussi tendre que l'amour maternel. Quoique déjà languissante, et attaquée d'un mal dont elle ne se dissimulait pas les suites, elle voulut être témoin de la cérémonie qui a consacré votre personne, et remporter de cette vie le plaisir de ce dernier spectacle si touchant pour elle. Nous osons avouer, SIRE, que l'affliction que vous ressentez de sa perte nous est précieuse; elle nous annonce,

dans Votre Majesté, ce que nous y désirons le plus. Combien doit être cher aux peuples, un maître dont le cœur sera sensible et capable de s'attendrir pour eux!

COMPLIMENT

Fait le 16 décembre 1722 à son S. A. R. le duc d'ORLÉANS, régent du royaume, sur la mort de MADAME, par FONTENELLE, alors directeur de l'Académie.

MONSEIGNEUR,

Tour le royaume partage la douleur de votre altesse royale. Les larmes que vous donnez au lien le plus étroit du sang, et aux vertus de l'auguste mère que vous perdez, il les donne à ses vertus seules, et il rend à sa mémoire le tribut dont les princes doivent être le plus jaloux. Sa bonté et son humanité lui attiraient tout ce que la dignité n'est pas en droit d'exiger de nous. Si les qualités du cœur faisaient les rangs, sa droiture, sa sincérité, son courage lui en auraient fait un au-dessus même de celui où sa naissance l'avait placée. Elle a conservé dans tout le cours de sa vie cette égalité de conduite, qui ne peut partir que d'une rare vigueur de l'âme, et d'un certain calme respectable qui y règne. La France se glorifiait d'avoir acquis cette grande princesse, et lui rendait grâces des exemples qu'elle donnait aux personnes les plus élevées. Ceux qui cultivent les lettres, sont ordinairement encore plus touchés que les autres, des pertes que fait la vertu ; du moins le sommes-nous davantage de tout ce qui vous intéresse, Monseigneur nous à qui vous accordez une protection que vos lumières rendent si flatteuse pour nous. Si `j'ose parler ici de moi, l'académie française ne pouvait avoir, auprès de vous, un interprète de ses sentimens qui en fût plus pénétré, ni qui tînt à votre altesse royale par un plus long, plus sincère et plus respectueux attachement.

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DE FONTENELLE,

Alors directeur de l'Académie Française, au discours que S. E. le cardinal DUBOIS, premier ministre, fit à cette Académie, le 3 décembre 1722, lorsqu'il y fut

reçu.

MONSEIGNEUR,

QUELLE eût été la joie du grand cardinal de Richelieu, lorsqu'il donna naissance à l'académie française, s'il eût pu prévoir qu'un jour le titre de son protecteur, qu'il porta si légitimement, deviendrait trop élevé pour qui ne serait pas roi ; et que ceux qui, revêtus comme lui des plus hautes dignités de l'état et de l'église, voudraient comme lui protéger les lettres, se feraient honneur du simple titre d'académicien!

Il est vrai, car votre éminence pardonnera aux Muses leur fierté naturelle, surtout dans un lieu où elles égalent tous les rangs, et dans un jour où vous les énorgueillissez vous-même; il est vrai que vous leur deviez de la reconnaissance. Elles ont commencé votre élévation, et vous ont donné les premiers accès auprès du prince qui a si bien su vous connaître. Mais ce grand prince vous avait acquitté lui-même envers elles, par les fruits de son heureuse éducation, par l'étendue et la variété des lumières qu'il a prises dans leur commerce, par le goût qui lui marque si sûrement le prix de leurs différens ouvrages. Je ne parle point de la constante protection qu'il leur accorde; elles sont plus glorieuses de ses lumières et de son goût que de sa protection même. Leur grande ambition est d'être connues.

Ainsi, Monseigneur, ce que vous faites maintenant pour elles est une pure faveur. Vous venez prendre ici la place d'un homme qui n'était célèbre que par elles; et quand votre éminence lui envie en quelque sorte cette distinction unique, combien ne la relève-t-elle pas?

M. Dacier se l'était acquise par un travail de toute sa vie, et qui lui fut toujours commun avec son illustre épouse, espèce de communauté inouie jusqu'à nos jours. Attaché sans relâche aux grands auteurs de l'antiquité grecque et romaine, admis dans leur familiarité à force de veilles, confident de leurs plus secrètes pensées, il les faisait revivre parmi nous, les rendait nos contemporains; et par un commerce plus libre et plus étendu qu'il

nous ménageait avec eux, enrichissait un siècle déjà si riche par lui-même. Quoique sa modestie, ou peut-être aussi son amour pour les anciens, lui persuadât que leurs trésors avaient perdu de leur prix en passant par ses mains, ils ne pouvaient guère avoir perdu que cet éclat superficiel, qui ne se retrouve point dans des métaux précieux long-temps enfouis sous terre, mais dont la substance n'est point altérée. Il employait une longue étude à pénétrer les beautés de l'antiquité, un soin passionné à les faire sentir, un zèle ardent à les défendre, toute son admiration à les faire valoir; et l'exemple seul de cette admiration si vive pouvait ou persuader ou ébranler les rebellés. Il a eu l'art de se rendre nécessaire à Horace, à Platon, à Marc-Aurèle, à Plutarque, aux plus grands hommes : il a lié son nom avec les noms les plus sûrs de l'immortalité ; et pour surcroît de la récompense due à son mérite, son nom se trouvera encore lié avec celui de votre éminence.

Quel bienfait ne nous accordez-vous pas en lui succédant? Vous eussiez pu nous favoriser comme premier ministrė : mais un premier ministre peut-il jamais nous favoriser davantage, que lorsqu'il devient l'un d'entre nous? Les grâces ne partiront point d'une main étrangère à notre égard, et nous y serons d'autant plus sensibles, que vous nous les déguiserez sous l'apparence d'un intérêt commun.

Aussi les applaudissemens que nous vous devions seront-ils désormais, non pas plus vifs, mais plus tendres. Dans un concert de louanges, il est facile de distinguer les voix de ceux qui admirent et de ceux qui aiment. Toute votre gloire est devenue la nôtre, et dans nos annales particulières, qui, aussi-bien que l'histoire générale du royaume, auront droit de se parer de vos actions et de vous, nous mêlerons à ce sentiment commun d'ambition un sentiment de zèle qui n'appartiendra qu'à nous.

Telle est la nature du ministère, dont jusqu'à présent votre éminence avait été uniquement chargée, que l'éclat des succès n'y est pas ordinairement proportionné au nombre ni à la grandeur des difficultés vaincues. Les ressorts des négociations doivent être inconnus, même après leur effort; il faut les faire jouer sans bruit, et sacrifier courageusement à la solide utilité tout l'honneur de la conduite la plus prudente et la plus délicate. Il n'y a que les événemens qui la décèlent, mais le plus souvent sans rien découvrir du détail, qui en ferait briller le mérite ; ils se font seulement reconnaître pour l'ouvrage de quelque grand génie, et donnent l'exclusion ́aux jeux de la fortune. Eussionsnous prévu que nous serions tranquilles pendant une minorité, qui semblait inviter les puissances voisines à reprendre les armes?

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