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nombre d'amis particuliers; car quoiqu'on n'écrive que pour soi, on écrit aussi un peu pour les autres, sans s'en douter. Elle fit plus; elle laissa sortir ses papiers de ses mains, sous les sermens les plus forts qu'on lui fit de la fidélité la plus exacte. On viola les sermens : des auteurs ne crurent point qu'une modestie d'auteur pût être sincère; ils prirent des copies qui ne manquèrent point d'échapper. Voilà les avis d'une mère à son fils, les avis à sa fille imprimés; et elle se croit déshonorée. Une femine de condition faire des livres ! comment soutenir cette infamie?

Le public sentit bien cependant le mérite de ces ouvrages, la beauté du style, la finesse et l'élévation des sentimens, le ton aimable de vertu qui y règne partout. Il s'en fit en peu de temps plusieurs éditions, soit en France, soit ailleurs; et ils furent traduits en anglais. Mais madame de Lambert ne se consolait point; et on n'aurait pas la hardiesse d'assurer ici une chose si peu vraisemblable, si après ces succès on ne lui avait vu retirer de chez un libraire, et payer au prix qu'il voulut, toute l'édition qu'il venait de faire d'un autre ouvrage qu'on lui avait dérobé.

Les qualités de l'âme, plus importantes et plus rares, surpassaient encore en elle les qualités de l'esprit. Elle était née courageuse, peu susceptible d'aucune crainte, si ce n'était sur la gloire; incapable de se rendre aux obstacles dans une entreprise nécessaire ou vertueuse. Elle n'était pas seulement ardente à servir ses amis sans attendre leurs prières, ni l'exposition humiliante de leurs besoins : mais une bonne action à faire, même en faveur de personnes indifférentes, la tentait toujours vivement; et il fallait que les circonstances fussent bien contraires, si elle n'y succombait pas. Quelques mauvais succès de ses générosités ne l'en avaient point corrigée, et elle était toujours également prête à hasarder de faire le bien. Elle fut fort infirme pendant tout le cours de sa vie. Ses dernières années furent accablées de souffrances, pour lesquelles son courage naturel n'eût pas suffi sans le secours de toute sa religion.

Enfin elle décéda à Paris le 12 juillet 1733 dans la quatrevingt-sixième année de son âge, généralement regrettée, à cause des grandes qualités de son cœur et de son esprit. Nous avons d'elle, comme on l'a dit, un excellent ouvrage sous ce titre : Avis d'une mère à son fils et à sa fille, imprimé à Paris en 1728, un volume in-12; et des réflexions sur les femmes, dont il y a eu une édition en Hollande.

A L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

FONTENELLE ayant été élu par Messieurs de l'Académie Française à la place de M. DE VILLAYER, doyen du conseil d'État, y vint prendre séance le samedi 5 mai 1691, et fit le remerciment qui suit.

MESSIEURS,

Si je ne songeais aujourd'hui à me défendre des mouvemens flatteurs de la vanité, quelle occasion n'aurait-elle pas de me séduire, et de me jeter dans la plus agréable erreur où je sois jamais tombé? En entrant dans votre illustre compagnie, je croirais entrer en partage de toute sa gloire; je me croirais associé à l'immortelle renommée qui vous attend; et comme la vanité est également hardie dans ses idées, et ingénieuse à les autoriser, je me croirais digne du choix que vous avez fait dè moi pour ne vous pas croire capables d'un mauvais choix.

Mais, Messieurs, j'ose assurer que je me garantis d'une si douce illusion; je sais trop ce qui m'a donné vos suffrages. J'ai prouvé par ma conduite, que je connaissais tout ce que vaut l'honneur d'avoir place dans l'académie française, et vous m'avez compté cette connaissance pour un mérite; mais le mérite d'autrui vous a encore plus fortement sollicités en ma faveur. Je tiens, par le bonheur de ma naissance, à un grand nom, qui dans la plus noble espèce des productions de l'esprit efface tous les autres noms, à un nom que vous respectez vous-mêmes. Quelle ample matière m'offrirait l'illustre mort qui l'a ennobli le premier! Je ne doute pas que le public, pénétré de la vérité de son éloge, ne me dispensât de cette scrupuleuse bienséance quí nous défend de publier des louanges où le sang nous donne quelque part mais je me veux épargner la honte de ne pouvoir, avec tout le zèle du sang, parler de ce grand homme, que comme en parlent ceux que sa gloire intéresse le moins.

Vous, Messieurs, à qui sa mémoire sera toujours chère, daignez travailler pour elle, en me mettant en état de nè la pas déshonorer. Empêchez que l'on ne reproche à la nature de m'avoir uni à lui par des liens trop étroits. Vous le pouvez, Messieurs; j'ose croire même que vous vous y engagez aujourd'hui. Sûrs que vos lumières se communiquent, vous m'accordez

l'entrée de l'académie; et pourriez-vous me recevoir parmi vous, si vous n'aviez formé le dessein de m'élever jusqu'à vous? Oseraisje moi-même, si je ne comptais sur votre secours, succéder à un grand magistrat dont le génie, quelque distance qu'il y ait entre les caractères de conseiller d'état et d'académicien, embrassait toute cette étendue ?

Je sens que mon cœur me sollicite de m'étendre sur ce que je vous dois; et je résiste à un mouvement si légitime, non par l'impuissance où je suis de trouver des expressions dignes du bienfait, je n'en chercherais pas; mais parce que je vous marquerai mieux ma reconnaissance, lorsque j'entrerai avec une ardeur égale à la vôtre dans tout ce qui vous intéresse le plus vivement. Un grand spectacle est devant vos yeux, une grande idée vous occupe et vous rendrait indifférens à d'autres discours : je suspens mes sentimens particuliers; je cours au seul sujet qui vous touche.

Mons vient d'être soumis; tandis qu'un prince, qui tire tout son éclat d'être jaloux de la gloire de LOUIS-LE-GRAND, assemble avec faste des conseils composés de souverains, et que son ambition s'y laisse flatter par des hommages qu'il ne doit qu'à la terreur que l'on a conçue de la France; tandis qu'il propose des projets d'une campagne plus heureuse que les précédentes, projets qu'a enfantés avec peine une sombre et lente méditation : c'est aux portes de ce conseil, c'est dans le fort des délibérations que Louis entreprend de se rendre maître de la plus considérable de toutes les places ennemies.

A ce coup de foudre, l'assemblée se dissipe; le chef court, vole où il se croit nécessaire, remue tout, fait les derniers efforts, assemble enfin une assez grande armée pour ne pas être témoin de la prise de Mons sans en rehausser l'éclat. La fortune du roi avait appelé ce spectateur d'au-delà des mers. Conquête aussi heureuse que glorieuse, si au milieu du bonheur dont elle a été accompagnée, elle ne nous avait pas coûté des craintes mortelles. Il n'est pas besoin d'en exprimer le sujet : sous le règne de Louis, nous ne pouvons craindre que quand il s'expose..

Dans le même temps, Nice, qui dans les états d'un autre ennemi décide presque de leur sûreté, Nice est forcé de se rendre à nos armes, et la campagne n'est pas encore commencée. Quelle grandeur, quelle noblesse dans les entreprises du roi! Rien ne peut nuire à leur gloire que la promptitude du succès, qui peutêtre aux yeux de l'avenir cachera les difficultés du dessein, et fera disparaître tous les obstacles qui ont été ou prévenus ou surmontés. Il manque à des entreprises si vastes et și hardies la lenteur de l'exécution.

Quand nous vîmes, il y a quelques années, s'élever l'orage que formait contre nous un esprit né pour en exciter, ambitieux sans mesure, et cependant ambitieux avec conduite, enorgueilli par des crimes heureux; quand nous vîmes entrer dans la ligue jusqu'à des princes, qui malgré leur faiblesse pouvaient être à redouter, parce qu'ils augmentaient un nombre déjà redoutable: nous espérâmes, il est vrai, que tant d'ennemis viendraient se briser contre la puissance de Louis; mais ne dissimulons pas que l'idée que nous en avions, quelque élevée qu'elle fût, ne nous promettait rien au-delà d'une glorieuse résistance. Apprenons que la résistance de Louis, ce sont de nouvelles conquêtes il ne sait point assurer ses frontières sans les étendre; il ne défend ses états qu'en les agrandissant.

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Il avait renoncé par la paix à se rendre maître de l'Europe, et l'Europe entière rallume une guerre qui le rétablit dans ses droits, et l'invite à réparer les pertes volontaires de sa modération. Il tenait sa valeur captive; ses ennemis eux-mêmes l'ont dégagée, et l'univers lui est ouvert.

Que ne pouvons-nous rappeler du tombeau, et rendre spectateur de tant de merveilles, le grand ministre à qui l'académie française doit sa naissance! lui qui sous les ordres du plus juste des rois a commencé l'élévation de la France, avec quel étonnement verrait-il ses propres desseins poussés si loin au-delà de son idée et de son attente? lui qui nous fut donné pour préparer le chemin à LOUIS-LE-GRAND, aurait-il cru ouvrir une si belle et si éclatante carrière?

Surpris de tant de gloire, il pardonnerait à cette compagnie, și elle ne remplit pas sous son règne le devoir qu'il lui avait imposé de célébrer dignement les héros que la France produirait. Il verrait avec un plaisir égal et notre zèle et notre impuissance. Ceux qui voudraient entreprendre l'éloge de Louis, sont accablés sous ce même poids de grandeur, de valeur et de sagesse, qui accable aujourd'hui tous les ennemis de cet état. Une sincère soumission est le seul parti qui reste à l'envie; et une admiration muette est le seul qui reste à l'éloquence.

SA MAJESTÉ CZARIENNE ayant fait savoir à l'Académie royale des Sciences qu'Elle voulait bien étre à la téte de ses honoraires, l'Académie chargea son secrétaire de lui en écrire ; ce qu'il fit en ces termes:

SIRE,

L'HONNEUR que VOTRE MAJESTÉ fait à l'académie royale des sciences, de vouloir bien que son auguste nom soit mis à la tête de sa liste, est infiniment au-dessus des idées les plus ambitieuses qu'elle pût concevoir, et de toutes les actions de grâces que je suis chargé de vous rendre. Ce grand nom, qu'il nous est presque permis de compter parmi les nôtres, marquera éternellement l'époque de la plus heureuse révolution qui puissse arriver à un empire, celle de l'établissement des sciences et des arts dans les vastes pays de la domination de Votre Majesté. La victoire que vous remportez, SIRE, sur la barbarie qui y régnait, sera la plus éclatante et la plus singulière de toutes vos victoires. Vous vous êtes fait, ainsi que d'autres héros, de nouveaux sujets par les armes; mais de ceux que la naissance vous avait soumis, vous vous en êtes fait par les connaissances qu'ils tiennent de vous, des sujets tout nouveaux, plus éclairés, plus heureux, plus dignes de vous obéir; vous les avez conquis aux sciences, et cette espèce de conquête, aussi utile pour eux que glorieuse pour vous, vous était réservée. Si l'exécution de ce grand dessein conçu par Votre Majesté s'attire les applaudissemens de toute la terre, avec quel transport de joie l'académie doit-elle y mêler les siens, et par l'intérêt des sciences qui l'occupent, et par celui de votre gloire, dont elle peut se flatter désormais qu'il rejaillira quelque chose sur elle! Je suis avec un très-profond respect,

SIRE,

De VOTRE MAJESTÉ,

Le très-humble et très - obéissant serviteur, FONTENELLE, secrétaire perpétuel de l'académie royale des sciences.

De Paris, ce 27 décembre 1719.

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